«L’AFP EST DEVENU UN GROUPEMENT D’INTERETS PERSONNELS»
Barham Thiam, responsable de l’Afp en Amérique du nord

Une rébellion couve au sein de l’alliance des forces de progrès (Afp), à cause de l’orientation du parti qui n’agrée pas un bon nombre de responsables qui mijotent une stratégie. Dans cet entretien accordé à «L’as», le responsable des progressistes de l’Amérique du nord, Barham Thiam, confie qu’ils ont engagé des réflexions aussi bien au Sénégal que dans la diaspora, parce qu’ils ne se retrouvent plus dans la direction prise par Moustapha Niass qui a renoncé à sa vision au profit de celle du président Macky Sall.
«L’as» : on note des frustrations au sein de l’alliance des forces de progrès (Afp). qu’est-ce qui est à l’origine de cette situation ?
Barham Thiam : La frustration de progressistes est justifiée pour la simple raison que les militants estiment que la Direction de l’Afp les a négligés au profit de la mouvance présidentielle, Benno Bokk Yakaar. Car des militants qui se sont battus depuis la création du parti ne se retrouvent plus dans l’orientation prise par le bureau politique. Il y a eu plusieurs actions posées qui font que les militants ne se retrouvent plus. Je pense qu’en tant que parti qui se réclame démocratique, il devait y a avoir un cadre pour permettre à tous les militants d’exprimer leurs opinions sur le fonctionnement et l’orientation du parti que nous avons créé ensemble. Lorsque le président Moustapha Niass avait lancé l’appel, j’ai été le premier à mettre en place un mouvement d’élèves à Kaolack pour soutenir sa candidature. Nous avons scellé ce compagnonnage sur la base de principes et d’orientations précises. Maintenant, si l’on s’écarte de cette vision en adoptant une nouvelle démarche, c’est normal que les militants expriment leur désaccord. Je ne sais pas si l’on peut qualifier cela de frustrations, mais c’est l’expression de notre opinion.
Vous reprochez à Moustapha Niass d’avoir renoncé à sa vision au profit du président Macky Sall ?
Je pense qu’on pouvait cheminer ensemble dans le cadre de Benno Bokk Yakaar et garder nos principes et orientations. Tout le monde sait qu’en 2012, l’opposition a tout fait pour dégager Me Wade du pouvoir. Nous avons vu comment Bennoo a éclaté en deux entités. C’est cet éclatement qui est à l’origine de leur défaite. Pourtant ce que les deux candidats avaient refusé l’un pour l’autre, c’est ce qu’ils ont accepté aujourd’hui pour Macky Sall. Moustapha Niass avait refusé de céder pour Ousmane Tanor Dieng et vice-versa. Par exemple Tanor et Niass, qui étaient des pionniers des Assises Nationales qui avaient réuni les cadres de tous les secteurs, disent aujourd’hui que Macky Sall n’avait pas signé la charte. Alors que tout le monde sait qu’il l’avait signée. Où sont les principes dans ce compagnonnage ? Ils ferment les yeux et se mettent une corde au cou pour dire au président Macky Sall : « tirez-nous par où vous voulez ». On n’acceptera pas ça. Je pense que l’Afp doit cheminer avec la mouvance dans le respect de nos principes. On n’avait pas créé l’Afp pour le président Macky Sall. Ça a été une surprise générale lorsque l’Afp a renoncé à présenter un candidat, ainsi que le Parti socialiste qui est une formation historique. C’est comme s’ils ont oublié les principes pour le partage du gâteau. On peut dire que le président Macky Sall a bien travaillé lorsqu’on parle d’infrastructures ; mais sur le plan social, de la justice et de la transparence, il y a beaucoup de choses à revoir. Je pense qu’il était important qu’on regarde les programmes des différents partis de la coalition, par exemple les grandes mesures de Moustapha Niass, pour voir comment les intégrer dans les programmes. Aujourd’hui, c’est mieux d’être un conseiller du président de la République pour espérer influencer ses décisions que d’être un président de l’Assemblée nationale ou un président du Haut Conseil qui ne peut rien faire changer.
L’avis de la base a-t-il été recueilli pour que l’Afp soutienne Macky Sall à a présidentielle ?
Il y a eu une consultation des militants mais la forme de la consultation est discutable ; parce que pour une décision aussi importante de soutenir une candidature, il devait y avoir un congrès, mais pas un bureau politique élargi. Cette décision est contestable parce qu’on avait soutenu le président Macky Sall qui devait faire un mandat de cinq ans. Il s’est dédit pour faire un mandat de 7 ans. Il était alors normal de convoquer à nouveau les instances pour voir s’il faut encore soutenir le président Macky Sall, parce que la décision du parti était devenue caduque. Et puis l’Afp n’appartient pas à une seule personne. Des gens sont morts pour le parti et d’autres ont perdu leur travail et leurs études parce qu’ils croient à un idéal. Si on arrive au point où votre leader, qui est votre référence, décide d’une orientation contraire aux principes de départ, cela devient grave. Et tous les esprits libres doivent dire non. En tant que responsable de l’Afp en Amérique du Nord, je n’ai pas été invité lors de la récente rencontre d’investiture du président Macky Sall. Et j’ai exprimé mon désaccord sur plein de choses par rapport au fonctionnement du parti. Il y a une discipline de parti certes, mais encore faudrait-il qu’il y ait une démocratie interne. Les raisons pour lesquelles on se battait au lycée, à l’université et à l’extérieur, c’est pour la vision de Niass qui suscitait l’espoir. Les gens me disent de gérer juste mes affaires personnelles ? mais si tout le monde fait de la sorte, où ira le Sénégal ? A la limite, le parti est un groupement d’intérêts personnels. On berne le peuple. Lorsque je vois cette jeunesse pleine d’énergie en chômage alors qu’elle peut amorcer le développement du pays, ça fait mal. Nous sommes en train de travailler avec des équipes au Sénégal et à l’étranger ; et dans les prochains jours, nous allons déclencher la machine. Nous appelons tous les progressistes et les Sénégalais qui pensent qu’un autre Sénégal est possible et que l’espoir est encore permis, à réfléchir sur la situation actuelle du pays et l’avenir du Sénégal. Certains progressistes avaient pensé qu’on allait saboter l’investiture de l’Afp pour le président Macky Sall, comme l’avait fait Malick Gakou. On ne fera jamais cela. On va prendre nos responsabilités parce qu’on ne se retrouve plus pratiquement dans cette orientation du parti. J’ai fait quelques mois au Sénégal, nous sommes en train de réfléchir avec des responsables qui partagent le même constat. Nous allons prendre la meilleure décision pour le Sénégal. Le courage, la volonté et l’engagement ne manquent pas.
L’Afp était très puissante en Amérique du nord, n’êtes vous pas en train de perdre du terrain au vu de la mobilisation d’Ousmane Sonko ?
Je ne sais pas. Mais en réalité, si vous faites un discours dans lequel les Sénégalais se retrouvent, je pense qu’ils vont rallier parce qu’ils sont fatigués. Puisque l’Afp n’a pas pu capitaliser ses atouts en Amérique du Nord, c’est normal que Sonko ait cette mobilisation. D’ailleurs, l’Afp n’existe plus dans la tête des Sénégalais ; ils parlent plutôt de l’Apr.