L'APR PERD LA BATAILLE DE L'OPINION
Divisé depuis la présidentielle, l'ancien parti au pouvoir peine à mener une défense efficace face aux poursuites judiciaires contre ses cadres, contrairement à la stratégie médiatique et juridique qu'avait déployée le PDS pour protéger Karim Wade

Le régime de Bassirou Diomaye a pour crédo le Jub, le Jubal, et le Jubanti qui signifie respectivement la droiture, la probité et l'exemplarité. Joignant l'acte à la parole, le pouvoir a lancé une opération de reddition des comptes visant particulièrement les membres de l'ancien régime. Ces derniers voient également leur image ternie aussi bien au Sénégal qu'à l'étranger malgré la contestation des faits qui leur sont reprochés.
L'image de Macky Sall est écornée à l'international. Il est accusé, avec son gouvernement, d'avoir maquillé les chiffres des finances publiques. Les Pastéfiens le prennent aussi pour responsable de la soixantaine de personnes mortes lors des manifestations dans le pays entre 2021 et 2024. D'aucuns réclament d'ailleurs sa traduction pour tous ces faits précités devant la haute cour de justice.
La gestion de l'ancien régime est également fouillée avec des actions judiciaires déclenchées çà et là, soit pour des dénonciations soit dans le cadre de l'exploitation de rapports tels que celui de la Cour des comptes concernant le fonds Force Covid-19 et celui du Cellule nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF) concernant des faits de blanchiment de capitaux.
Et dans la série d'arrestations et de mise en accusation, on peut compter Lat Diop, Farba Ngom, Ndèye Saly Diop Dieng, Moustapha Diop, Sophie Gladima, Ismael Madior Fall, Mansour Faye, Mamadou Ngom Niang, .... Des proches de l'ancien Chef de l'Etat Macky Sall et de son ancien Premier ministre Amadou Ba sont également cités dans un dossier d'association de malfaiteurs en groupe criminel organisé, blanchiment de capitaux commis par un groupe criminel organisé.
Depuis le déclenchement du processus de reddition des comptes, les membres de l'ancien parti au pouvoir, l'APR, essaient en vain de convaincre l'opinion de l'existence d'une entreprise d'acharnement contre leurs personnes. Mais cela ne produit pas l'effet escompté puisque l'opinion ne semble pas adhérer à cette cause.
D'autant que les montants énumérés comme détournés ont créé de la stupeur chez les Sénégalais. Ces derniers ont du mal à croire qu'autant d'argent a pu être détourné dans le pays classé parmi les plus pauvres au monde. Et le fait que certains d'entre les personnes incriminées proposent de cautionner des centaines de millions voire des milliards fait que les Sénégalais ont moins de sensibilité sur leur sort. En effet, dans la mentalité sénégalaise, la consignation est en quelque sorte synonyme d'acceptation du fait pour lequel la personne est inculpée.
La stratégie payante du PDS
En plus, l'APR, divisée depuis la présidentielle de mars 2024, a perdu beaucoup de force. Elle a enregistré beaucoup de départs. Et elle peine aujourd'hui à dicter son opinion dans l'espace public. Elle n'a pas un bloc compact avec de grosses pointures capables de porter le combat.
On se rappelle qu'en 2012, après l'emprisonnement de Karim Wade, le Parti démocratique sénégalais (PDS) avait réussi à faire adhérer l'opinion dans son combat contre "l'injustice" vécue par Wade-fils. Pourtant, le pouvoir de Macky Sall avait réussi dans un premier temps à faire croire aux Sénégalais que Karim s'était enrichi illicitement durant le règne de son père Abdoulaye Wade. Toutefois, les libéraux ont su contrecarrer ce discours à travers une série de manifestations, autorisées ou pas; mais également à travers une bataille médiatique permanente et une saisine des juridictions et instances internationales. Finalement Karim a été le seul homme politique poursuivi et condamné par la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei).
Depuis le déclenchement des actions judiciaires contre les responsables apéristes, ces derniers se contentent souvent de tenir des conférences de presse pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme un acharnement. Ils ont également produit un contre-rapport déposé au FMI pour se défendre des accusations formulées dans le rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques entre 2019 et mars 2024. Auparavant, ils avaient publié un livre blanc dressant le bilan des 12 ans de Macky Sall à la tête du pays.
Et tout cela ne semble pas produire des effets puisque une bonne partie de l'opinion, même des anti-Pastef, sont sidérés depuis les déballages du nouveau pouvoir sur les détournements de deniers publics et autres crimes financiers.
Il faut relever également qu'hormis ces actions précitées, les apéristes ont du mal à engager une véritable bataille de terrain. Aujourd'hui, une bonne partie d'entre eux sont préoccupés par d'éventuels dossiers qui pourraient les incriminer. Face à cette traque, il est difficile pour tout un chacun de s'engager pleinement dans la bataille d'opinion et de descendre sur le terrain pour mener une épreuve de force contre l'actuel régime.
Il faut noter également la difficulté pour l'APR de faire adhérer l'opposition dans sa bataille surtout concernant la gestion des deniers publics et la défense de son leader Macky Sall. En effet, la plupart des membres de l'actuelle opposition ont eu des démêlés avec Macky Sall et son régime. Khalifa Sall avait été freiné dans sa trajectoire politique par le pouvoir Macky Sall qui avait mis sur la table l'affaire de la caisse d'avance de la ville de Dakar pour l'emprisonner et le rendre plus tard inéligible aux élections.
Quant à Karim Wade, il a été condamné pour enrichissement illicite avant d'être exilé à Doha. Sans compter les rapports très tendus entre Thierno Alassane Sall et le régime Macky Sall avant son départ du pouvoir. Au-delà de tous ces leaders, les mémoires sont encore vives face à l'histoire récente marquée par des heurts entre le pouvoir de Macky Sall et une bonne partie de ceux qui sont avec lui aujourd'hui dans l'opposition.