LE BIG-BROTHERISME DE MASSE DE PÉGASUS
Quels sont les pays africains concernés par l’espionnage du logiciel israélien ? Plusieurs gouvernements africains ont été épinglés dans l’enquête menée par un consortium de médias et portant sur cet espionnage révélé par des journalistes.

Un tribunal de Casablanca a condamné ce lundi 19 juillet le journaliste et défenseur des droits humains Omar Radi à six ans de prison dans une double affaire d'« espionnage » et de « viol » à l’issue de son procès en première instance. L’enquête pour « espionnage » avait été ouverte fin juin 2020 après la publication d’un rapport d’Amnesty International affirmant que le téléphone du journaliste avait été piraté via le logiciel Pegasus. Introduit dans un smartphone, ce logiciel permet d’en récupérer les messages, photos, contacts et même d’écouter les appels de son propriétaire.
Des soupçons de longue date
La veille de ce verdict, dimanche 18 juillet, une enquête publiée par un consortium de médias internationaux, dont les quotidiens français Le Monde, britannique The Guardian, et américain The Washington Post, a révélé que des journalistes, des personnalités politiques nationales ou étrangères avaient été potentiellement ciblés par le logiciel Pegasus de la firme israélienne NSO. Le nom d'Omar Radi figure bien sur la liste obtenue par le réseau basé en France Forbidden Stories (« Histoires interdites ») et l’ONG Amnesty International, comptant selon eux 50 000 numéros de téléphone sélectionnés par les clients de NSO depuis 2016 pour une surveillance potentielle. Les soupçons pèsent depuis longtemps sur cette société israélienne. « Nous ne parlons pas ici juste de quelques États voyous, mais d’une utilisation massive d’un logiciel espion par au moins une vingtaine de pays », a expliqué lundi la secrétaire générale d’Amnesty, Agnès Callamard, à la BBC radio. « Il s’agit d’une attaque majeure contre le journalisme critique », a-t-elle souligné.
D’après le journal britannique The Guardian, Pegasus infiltre aussi bien les appareils Android que l’iPhone, fabriqué par Apple. Dans certains cas, précise le journal, l’utilisateur du téléphone n’a même pas besoin de cliquer sur un lien ou d’activer une quelconque mise à jour. Il opère en sourdine, échappant même aux antivirus.
L’Afrique dans l’œil du cyclone des espions
Si le gouvernement marocain a catégoriquement dénoncé comme « mensongères » les informations selon lesquelles les services du royaume « ont infiltré les téléphones de plusieurs personnalités publiques nationales et étrangères et de responsables d’organisations internationales à travers un logiciel », d’autres gouvernements en Afrique sont concernés. Parmi eux, on trouve l’Algérie, la République démocratique du Congo, l’Égypte, l’Ouganda, le Rwanda et le Togo, selon une carte publiée par la plateforme Forbidden Stories, qui rassemble des journalistes d’investigation du monde entier. Comme le révèle Le Monde, la spécificité de ces pays est de se concentrer sur « des journalistes, des opposants, des avocats, des défenseurs des droits de l’homme, qui sont les principales cibles de ce logiciel ».
Carte des pays cités dans l'enquête sur le logiciel Pegasus.
Fondée en 2011, NSO, régulièrement accusée de faire le jeu de régimes autoritaires depuis l’alerte lancée en 2016 par un dissident émirati, Ahmed Mansoor, assure que son logiciel sert uniquement à obtenir des renseignements contre des réseaux criminels ou terroristes. « Il y a 20-30 ans, les exportations d’armes ont permis à Israël de forger de nombreuses relations diplomatiques ou officieuses avec des pays d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient, et c’est la même chose aujourd’hui. Mais Israël a plus de choses à vendre, une panoplie de cyberoutils », a expliqué à l’AFP Yoel Guzansky, chercheur à l’Institut des études sur la sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv. « Mais c’est un couteau à double tranchant car Israël peut aussi être vu comme aidant des régimes autocratiques à réprimer les libertés civiles » a-t-il ajouté.
Dans le cas du Maroc, le site d’information français Mediapart a annoncé, ce lundi 19 juillet, le dépôt d’une plainte auprès du procureur de la République de Paris, « au nom [du] journal, de Lénaïg Bredoux et d’Edwy Plenel », deux de ses journalistes dont les téléphones auraient été espionnés par les services de renseignements du royaume chérifien.