L'ÉTRANGE DOSSIER KHADIM BA
Ce personnage du secteur énergétique sénégalais, croupit depuis plusieurs semaines à la prison du Cap Manuel pour des infractions douanières et de change que rien, selon un mémorandum juridique, ne semble prouver matériellement

Depuis plusieurs semaines, Khadim Ba, homme d'affaires bien connu dans le secteur de l'énergie, est sous mandat de dépôt à la prison du Cap Manuel. En cause : une affaire de fuel, d'importations et de change. En toile de fond : un dossier douanier lourd, mais semé d'approximations et de conditionnels. Pendant que la procédure suit son cours, un mémorandum vient ébranler, point par point, la version officielle.
Il n'est ni importateur, ni déclarant, ni banquier. Pourtant, c'est lui que les agents ont trouvé au bout de la chaîne. Khadim Ba dort en prison depuis plusieurs semaines. Son nom apparaît au centre d'un dossier pour délit d'importation irrégulière et infraction à la législation des changes. Un dossier où les cargaisons sont bien arrivées, les déclarations bel et bien enregistrées, les banques dûment mandatées. Un dossier où les traces sont nombreuses, mais où les responsabilités, elles, semblent glisser de main en main.
Alors pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Et surtout, sur quoi repose exactement l'accusation ? Dans les pages du procès-verbal, les verbes hésitent. On suppose, on présume, on écrit au conditionnel. Pourtant, la Douane agit, saisit, poursuit. Et dans l'ombre de ces actes administratifs, c'est une mécanique plus vaste qui se dévoile : celle d'un appareil qui semble avoir trouvé son homme, avant d'avoir trouvé les preuves.
Le document que nous avons reçu : un mémorandum juridique adressé aux plus hautes autorités, déroule une ligne de défense minutieuse : Khadim Ba n'est pas l'importateur des hydrocarbures en question, rôle dévolu à la Société Africaine de Raffinage (SAR). Il n'est pas non plus déclarant en douane, ni représentant légal des sociétés impliquées dans la transaction. Et selon ses conseils, les documents incriminés (attestations d'importation, autorisations de change) ont été produits dans les règles, visés par les services compétents, puis validés par les banques.
Mais surtout, le texte attaque le cœur de l'affaire : les agents de la Douane auraient agi sur la base de présomptions, sans produire les déclarations douanières censées appuyer leurs accusations. Aucune preuve matérielle des infractions n'est versée dans le dossier. Mieux : les déclarations litigieuses, listées en annexe du mémorandum, existent bel et bien et ont permis de dédouaner les marchandises au bureau des pétroles de Dakar. La Douane, elle, évoque une recherche sur le système GAINDE... qui ne les aurait pas retrouvées.
Autre faille soulevée : la loi invoquée. En matière d'infractions de change, seule la loi uniforme n°2014-12, en vigueur dans l'UEMOA, est applicable. Elle stipule que seul le ministre des Finances peut initier des poursuites. Or, dans le cas de Khadim Ba, ce n'est pas lui qui en est à l'origine. Une entorse qui rendrait, selon la défense, l'ensemble de la procédure caduque.
Le procès-verbal lui-même est contesté : cumulant infraction douanière et infraction de change sans l'autorité compétente, rédigé sans mention explicite des pièces saisies, il violerait plusieurs dispositions du Code des Douanes. À ce titre, ses nullités pourraient suffire à faire tomber toute la procédure.
Enfin, le document pose une dernière question, plus politique que juridique : pourquoi la Douane a-t-elle écarté ses interlocuteurs naturels : la SAR, le transitaire, les banques, pour cibler un homme qui, sur le papier, n'apparaît pas dans les circuits officiels des transactions incriminées ? Pourquoi construire une affaire sur un nom plutôt que sur des faits ?
En attendant des réponses, Khadim Ba reste en détention. Et le doute, lui, grandit au rythme des silences administratifs.