«NOUS SENTONS DE PART ET D’AUTRE UN BESOIN DE DIALOGUE»
Ababacar Fall, secrétaire général du Gradec, sur le forum des partis politiques

Face à l’impasse du dialogue politique, à 3 mois de la présidentielle prochaine, ou encore devant l’inefficacité des cadres de concertation mis en place depuis un certain moment, car ayant débouché sur des désaccords sur les questions essentielles, la société civile a senti la nécessité d’intervenir. Ou du moins, le Groupe de recherche et d'appui-conseil pour la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec), avec l’appui de Osiwa, compte créer un «cadre moins passionné» à travers un Forum des partis politiques prévu le 29 novembre prochain. De l’avis de son Secrétaire général, Ababacar Fall, après des rencontres et des échanges, les acteurs politiques ne cachent pas leur volonté de dialoguer entre eux. Dans cet entretien, l’expert électoral revient sur le concept du Forum, la démarche, le retour des acteurs, etc
Vous préparez en ce moment un Forum des partis politiques, expliquez-nous le concept.
Le concept de forum des partis politiques est né d’une analyse et d’une appréciation que nous avons faites du déroulement des multiples cadres de concertations ou commissions techniques de revues du code électoral entre les acteurs politiques. Nous y avions participé à l’époque, en tant qu’acteurs politiques. Lorsque nous sommes arrivés à la société civile également, nous avons participé à ces concertations dans le cadre de la Plateforme de la société civile pour la transparence des élections. Certains d’entre nous y ont participé en tant qu’experts du ministère de l’Intérieur. Ce que nous avons constaté durant ces rencontres, c’est que les acteurs n’arrivaient pas à s’entendre sur l’essentiel et qu’il y avait plus de désaccords que d’accords sur les problèmes liés au processus électoral, au Code électoral. En 2014 déjà avec l’Acte III de la décentralisation, en 2017 avec la refonte partielle du fichier électoral en 2016, récemment avec la loi sur le parrainage, le bulletin unique etc, nous notons que pour l’essentiel, les acteurs politiques ne s’entendent pratiquement pas. Parce que la façon dont ces cadres de concertations sont composés pose problème car, les plénipotentiaires qui viennent, arrivent avec des positions de partis et les gens sont très figés par rapport à leurs positions. Alors, ils passent des heures, des semaines voire des mois, à discuter pour finalement déboucher sur des désaccords sur les questions essentielles. On transmet donc au président de la République pour arbitrage. Vous savez, quand on arbitre, on ne fait pas seulement des heureux, on fait aussi des mécontents. Nous avons réfléchi par rapport à cette question et nous avons dit aujourd’hui que notre pays a besoin de dialogue. Compte tenu de cette situation que j’ai décrite, nous sommes dans une sorte d’impasse politique. Il n’y a pas de dialogue. Quand le ministère ou le gouvernement appelle à un dialogue ou une concertation l’opposition dite significative boycotte, même l’opposition qui va dans ces rencontres, en sort plus souvent insatisfaite. Nous avons dit qu’il faut essayer de trouver un cadre plus neutre et moins passionné, à l’initiative de la société civile, pour faire en sorte que des discussions franches et sérieuses puissent se faire. C’est la raison pour laquelle nous avons mis sur la table ce concept de forum des partis politiques, qui est en fait un cadre d’échanges et de rencontres sous forme de panels de discussions, pour amener les acteurs à renouer avec le fil du dialogue.
Concrètement, que comptez-vous faire lors du Forum des partis politiques ?
Nous avons pensé à des thématiques qui sont au cœur du débat politique, aujourd’hui. Il y a surtout l’élection présidentielle à venir, la gestion des opérations électorales. Dans la gestion des opérations électorales, vous avez beaucoup de choses à savoir la question du fichier qui alimente le débat en ce moment. Vous avez également la question de la distribution des cartes d’électeurs, je pense que c’est un sujet de préoccupation pour toute la classe politique et pour tous les citoyens. On a remarqué que lors des élections législatives, la question des cartes a posé beaucoup de problèmes. Il y a eu plus de deux millions d’électeurs qui n’ont pas pu disposer de leur carte et qui ont été privés de leur droit de vote. Nous sommes à la veille de l’élection présidentielle et jusque-là, il y a un débat sur la question des cartes. Certains disent qu’ils arrivent à recevoir leur carte, d’autres qu’ils ont reçu leur carte avec la mention «personne non inscrite sur le fichier électoral». C’est la même chose pour l’intégrité de notre système électoral, ces facteurs corruptogénes sont ceux qui sont à la base des conflits électoraux, de la violence électorale. Nous avons pensé que sur ces questions là nous avons besoin de discuter, d’échanger et de recueillir tout les points de vue, parce que l’essentiel est qu’on puisse arriver à s’entendre sur un minimum de règles du jeu.
Comment allez-vous vous y prendre ?
Le forum va se passer en deux temps. Il y a des questions qui vont être abordées avant l’élection présidentielle : c’est la gestion des opérations électorales et l’intégrité du système et la sécurisation du vote des citoyens. Quand je parle de sécurisation du vote, c’est tout le processus qui permet de garantir le vote du citoyen, le recensement dans des conditions de transparence, l’acheminement des Pv, la proclamation des résultats. Il y a une deuxième étape qui se fera après l’élection. Cette deuxième étape concerne des questions essentielles, fondamentales, de fond. Effectivement sur la question de l’autorité en charge de l’élection, il y a un débat nonobstant les problèmes qui sont posés par rapport au ministère de l’Intérieur partisan qui est là pour le moment. Nous avons pensé qu’il fallait faire une réflexion profonde pour voir ce qui était meilleur pour le renforcement de notre démocratie. Est-ce qu’il est possible d’avoir un ministre de l’Intérieur neutre ? On l’a eu à l’époque avec le général Cissé, le général Niang, Cheikh Guèye en 2012. Ou, est ce qu’il faut aujourd’hui aller vers un système avec une haute autorité chargée de la démocratie et des libertés et qui s’occuperait de la modernité du système partisan ? Cette question, nous avons choisi de la traiter après l’élection présidentielle parce que, c’est une question importante qui ne peut pas être réglée maintenant. Il y a beaucoup d’études par rapport à la limitation des partis, par rapport à leur financement qui ne trouvent pas aujourd’hui de solutions de mise en œuvre satisfaisantes. Nous sommes dans un Etat de droit et nous devons d’aujourd’hui renforcer les libertés publiques, les libertés à tout point de vue. Il y a également une autre thématique, c’est la question de la rationalisation des dépenses de campagne. Nous n’avons pas voulu la traiter pour le moment. Car, nous sommes déjà dans la campagne avec le parrainage, les gens vont peut être engager des moyens. Enfin, il y a la question de la réforme globale de notre code électoral parce que vous n’êtes pas sans savoir qu’aujourd’hui on parle de Code consensuel de 1992.
Peut-on encore se référer à ce code ?
A mon avis, ce Code est maintenant derrière nous. Combien de modifications ont été apportées à ce Code et des modifications unilatérales qui n’ont pas entraîné l’adhésion de l’ensemble des acteurs ? Il va falloir aujourd’hui, à l’instar de ce qui s’est fait en 92 autour de personnalités neutres, de magistrats comme feu Kéba Mbaye, que les acteurs politiques puissent se réunir. Sur la base de nouveaux paradigmes et ces changements qui ont marqué ces vingt ou trente dernières années, il faut voir comment arriver à obtenir un Code au niveau des standards internationaux ou démocratiques les plus élevés. Donc pour vous dire nous faisons un forum des partis politiques étalé sur une année. Nous avons démarré au mois de septembre, il y a eu des étapes préliminaires, aujourd’hui nous sommes dans la phase de rencontres avec les acteurs politiques, la société civile, les acteurs institutionnels et nous allons continuer sur cette lancée.
Quelle a été la réaction des partis de l’opposition rencontrés, notamment sur l’autorité en charge de l’élection?
Effectivement, il y a certains qui nous ont posé la question de l’autorité en charge de l’élection sous le rapport que c’est une question qu’il faut régler ici et maintenant. Mais nous, nous avons dit qu’il y a aujourd’hui un président de la République qui a été élu, c’est lui qui nomme aux emplois civils et militaires. Nous leur avons dit que c’est une question qui nous préoccupe et dans le cadre du Comité de facilitateurs qui a été mis en place avec d’autres organisations de la société civile, notamment le Cosce, il y a aujourd’hui des démarches qui sont entrain d’être menées en direction des autorités et des partis politiques. Cette question a été posée. Peut-être que d’ici là le président pourrait donner une suite favorable. Mais nous ne faisons pas une fixation sur cette question pensant que quel que soit ce qui va se passer, que le ministre de l’Intérieur actuel soit maintenu ou changé, cela n’enlève en rien à notre volonté de travailler pour des élections transparentes, paisibles. Mais, nous pensons que si c’est le prix à payer pour avoir des élections calmes et transparentes et que le président de la République, tenant compte des enjeux de l’heure, de tous les risques de revendications des acteurs politiques sur cette question, y donne droit, je pense que ce ne serait que bénéfique pour lui. Ce ne serait qu’une manière de renforcer notre démocratie. Parce que, renforcer la démocratie, c’est être à l’écoute des acteurs. Ses prédécesseurs ont fait quand même preuve d’ouverture, sur cette question. Donc, nous pensons que sur cette question, le président Macky Sall doit faire preuve de beaucoup plus d’ouverture. Je n’ai rien contre le ministre Aly Ngouille Ndiaye. Ce qui m’intéresse, c’est que ces questions qui relèvent de ses prérogatives soient bien gérées. Mais, sur la question électorale, si le président de la République pense qu’en mettant une personnalité neutre, il peut contribuer à faire baisser la tension, à créer les conditions à la tenue d’élections calmes, tant mieux. Maintenant, si le ministre de l’Intérieur actuel est maintenu, et qu’il est appelé à organiser les élections, c’est à lui de fausser les pronostics, en tout cas, de faire en sorte que ceux qui avaient pensé qu’il ne pouvait pas organiser les élections dans la transparence, qu’il puisse avoir raison sur eux en ayant une posture républicaine. C’est là où nous l’attendons s’il est amené à gérer ces élections.
Dans le cadre des rencontres que vous avez initiées, quels sont les partis politiques rencontrés et le retour obtenu?
Ce qu’il est important de noter, c’est que nous sommes à trois cent vingt partis (320) et vous conviendrez avec moi qu’à partir d’un certain nombre il est difficile déjà de parvenir à des discussions sereines et nous allons faire un ciblage et essayer de cibler une quarantaine, voire une cinquantaine de partis politiques, qui ont une certaine représentativité, ont été à des élections, ont une représentation parlementaire, ont une expérience de gouvernement. Nous allons faire en sorte que toutes les sensibilités soient représentées, que ça soit l’opposition, le parti au pouvoir, la mouvance présidentielle, et même les institutions tels que la Cena, le Cnra, le ministère de l’Intérieur, celui de la Justice. Nous allons essayer d’impliquer ces institutions. Nous leurs avons déjà écrit pour les rencontrer et nous avons déjà rencontré la Cena, qui a accueilli vraiment ce projet de manière très favorable en y adhérant. Il est important de noter également que pour les partis que nous avons ciblés, c’est à dire la quarantaine ou la cinquantaine, nous sommes aujourd’hui pratiquement à la fin des rencontres. Nous rencontrons aujourd’hui (ndlr : hier) même l’Apr. Il nous reste quelques autres partis. Mais, pour l’essentiel, je peux dire qu’à l’unanimité tous les acteurs que nous avons rencontrés, qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition, ont salué cette démarche qui, à leur avis, constitue une initiative heureuse, parce que nous pensons que cela peut être un moment de déclic pour emmener les acteurs à se parler.
Est-ce à dire qu’il y a un besoin de dialogue ?
Nous n’avons pas rencontré un acteur politique, de quelque bord que ce soit, qui nous a dit que votre initiative n’est pas bonne. Nous avons senti, à travers les échanges approfondis que nous avons eu, de part et d’autres, un besoin de dialogue. Le problème c’est : qu’est ce qui bloque et qui empêche le dialogue ? C’est normal que, quand on va à des élections, qu’il y ait parfois la tension verbale, qu’il y ait un peu de la surenchère. Mais, ce que nous sentons profondément de la part des acteurs, c’est ce besoin de dialogue. Ils nous l’ont dit très clairement. Ils disent que ce pays nous appartient à nous tous, quelles que soient les divergences, à un moment, nous avons besoin de nous asseoir et de dialoguer. C’est l’objectif que nous visons à travers l’organisation de ce Forum. Nous sommes dans une posture de neutralité. Même au niveau des experts que nous avons choisis pour communiquer sur ces thèmes, nous avons pris des personnalités neutres. Cela nous permet de montrer aux acteurs que nous sommes à équidistance des différents camps politiques. Cela a permis une adhésion des acteurs, alors que si c’était le gouvernement qui convoque, compte tenu du fait que les gens n’ont plus confiance, certains y vont, d’autres non. Ce n’est pas notre cas et c’est l’objectif que nous recherchons.
Vous parlez de cadre moins passionné, dans un contexte très passionné et tendu. Comment comptez-vous vous y prendre à quelques 3 mois de l’élection ?
Ça semble être contradictoire, mais c’est possible. Je vais vous donner un exemple. En 2010-2011, lorsqu’à la suite de l’audit du fichier électoral, le président Wade avait, par décret, mis en place le Comité de veille, c’était un cadre multi acteurs, où vous aviez les acteurs de l’administration électorale, les bailleurs, mais aussi les différents pôles politiques, et le cadre dirigé par la société civile, en l’occurrence le président Mazide Ndiaye. On était dans un contexte de tension, les gens faisaient beaucoup de contestations sur le fichier, sur la gouvernance du président Wade, sur le troisième mandat, etc. Au début, dans ce comité, il y avait beaucoup de tiraillements, beaucoup de bisbilles. Mais, à force de discuter, nous avons beaucoup contribué à la pacification du champ politique. Parce que, nous avions fait des missions croisées ensemble. Dans chaque mission, on fait en sorte qu’il y ait toutes les composantes, de telle sorte qu’au bout de quelques mois, il y ait une atmosphère de sérénité. Nous pensons, aujourd’hui, qu’en mettant un cadre, que les gens viendront non pas pour défendre des positions politiques, mais pour proposer ce qui est mieux pour le renforcement et la consolidation de notre système électoral et démocratique et nous ne rejetons aucune proposition, aucune idée. En tant qu’acteurs, nous allons vraiment écouter les gens. Sur les différentes communications, les gens vont discuter, faire des propositions et nous allons tout prendre, tout analyser puis faire la restitution avec l’ensemble des acteurs et voir ce qui est mieux pour le pays. De ce point de vue, nous allons faire le plaidoyer au niveau des autorités, quelles que soient les autorités qui seront là pour l’application de ces mesures consensuelles. C’est la raison pour laquelle j’ai dit que nous allons le faire dans un cadre moins chargé politiquement pour avoir des discussions vraiment pas passionnées. Et nous pensons que nous allons y arriver.
Comment pensez-vous y arriver quand on sait que la société civile est taxée d’opposants encagoulés ou de parti pris pour un camp ?
C’est vrai, on vit cette situation. Des fois même l’opposition nous taxe d’être à la solde du pouvoir. Le pouvoir également nous taxe d’être des opposants encagoulés. Vous avez vu la réaction, avant-hier, du président de la République, concernant Amnesty international. Cela pour moi ne doit pas nous émouvoir, parce que quand on fait du bien, les gens vous accuseront de tous les maux. Si nous nous sommes confortés à l’idée que nous faisons une bonne chose pour la démocratie, nous devons avoir la carapace dure par rapport à ces critiques. Nous maintenons le cap, en nous disant que nous avons un objectif. Cet objectif, c’est d’arriver à faire en sorte que la sérénité revienne, que les gens reviennent à plus de raisons et que les conditions d’un dialogue constructif, serein, soient crées afin que notre pays, après l’élection présidentielle, puisse rapidement tourner la page, quel que soit celui qui sera élu. Cela, pour pouvoir aborder d’autres chantiers plus importants. Nous avons des défis, autrement plus importants, que nous avons à relever. L’élection est une étape qu’il faut franchir, mais nous pensons qu’il faut le faire dans la paix, surtout dans la transparence et le respect du jeu. Et pour établir la confiance, cela nous amené à aller vers les acteurs. Parce que, nous aurions pu nous contenter de concevoir l’idée de ce Forum des partis politiques et envoyer des invitations. Peut-être que certains viendront, d’autres non. Mais, nous avons choisi d’aller vers les acteurs d’abord, avant la tenue du Forum pour leur dire voilà ce que nous voulons et voilà les objectifs visés. Le fait qu’on ait discuté et échangé avec les acteurs avant de les convier à la rencontre peut faire le succès des rencontres. Si ce Forum réussit, nous allons le pérenniser. Nous allons, en accord avec Osiwa qui nous accompagne, voir comment créer les conditions pour pérenniser l’idée de Forum.
Comment faire pour ne pas avoir des Assises nationales ou Cnri bis, avec des recommandations formulées sans suite ?
Il me semble que si nous voulons éviter ces questions, qu’on ait besoin à chaque fois d’organiser des Assises, où les gens viennent prendre des engagements ou discutent sur des réformes et ensuite que ça n’aboutisse à rien, il faut à mon avis les conditions de création de véritables contre-pouvoirs. Ce qu’il faut, c’est mettre le citoyen au cœur de ce que nous faisons, parce qu’en définitive ce sont les citoyens qui décident. Ce que les politiques font, ils le font au nom des citoyens. Donc, je pense que dans ce que nous faisons, nous ne devons pas perdre de vue que les citoyens doivent être au cœur de l’action. C’est justement cela qui va faire la force de la société civile. Nous avons aujourd’hui plusieurs sociétés civiles. Nous devons travailler à fédérer les sociétés civiles, faire en sorte que les mouvements citoyens puissent éclore dans le pays et qu’ils puissent s’ériger en sentinelle pour amener les pouvoirs politiques, sur toutes les questions de gouvernance à aller dans le sens des intérêts des populations. Si nous avons une société civile très forte avec des mouvements citoyens forts, je pense qu’ils pourraient contraindre les pouvoirs à aller dans le sens des conclusions qui sont issues de ces assises. Sinon, chaque pouvoir qui vient, il crée sa commission de réforme ou ses assises, les gens arrivent à des conclusions pertinentes, il passe dessus après