CES PRATIQUES ANCREES DANS LES CROYANCES POPULAIRES DES PECHEURS
La communauté des pêcheurs est encore très attachée à certaines croyances populaires (Sacrifices, offrandes, rituels) dont certaines restent très ancrées dans les mentalités

La pêche demeure la principale activité des communautés léboues du Sénégal. Mais dans l’exercice quotidien de ce métier ancestral, ces pécheurs attachent une importance capitale à des pratiques païennes censées les protéger contre les mauvais esprits qui peupleraient la mer.
Des pirogues alignées sur le rivage, d’autres au repos dans l’eau non loin de la plage. Des femmes, bassines à la main, attendent avec impatience le retour des pêcheurs. Quelques groupes se forment par-ci et par-là, suscitant des discussions tous azimuts. Nous sommes à Soumbédioune et il est 15 heures 30 minutes. La célèbre baie qui longe une partie de la Corniche Ouest en face de l’îlot Sarpan est toujours aussi animée et colorée même si elle a perdu un peu son lustre d’antan avec les travaux de construction du tunnel. Son marché aux poissons est tout aussi fameux que le vieux village artisanal naguère paradis des touristes.
Comme dans les autres quartiers lébous de la capitale et de l’intérieur du pays, la communauté des pêcheurs est encore très attachée à certaines croyances populaires dont certaines restent très ancrées dans les mentalités. Par exemple, avant d’aller en mer, les pêcheurs respectent scrupuleusement des pratiques censées les protéger contre les mauvais sorts et les coups durs. «Les pêcheurs artisanaux ont des croyances païennes. La preuve, dans tous les villages d’origine lébou ou niominka (sérère), vous trouvez des ‘’khamb’’. Ce sont des lieux de cultes traditionnels implantés dans les maisons avec des tas de canaris, de cornes d’animaux, de gris-gris… Ils sont bien entretenus. Ces esprits édictent les sacrifices à faire comme égorger des bœufs, moutons ou chèvres ou verser du lait en mer, se laver avec des gris-gris, laver la pirogue», confie Daouda et Ndiaye, un vieux pécheur. «Ces pratiques nous ont été léguées par nos ancêtres. Nous leur accordons une grande importance. Il arrive même que le capitaine de la pirogue nous dise les types de poisson qu’il va ramener. Et ce, avant même d’aller en mer. C’est dans ses rêves qu’il voit tout cela», ajoute un autre pécheur du nom de Moussa Ndoye.
Selon Lamine Ndoye, président de l’association des ‘’Wanner’’ (une tribu de la communauté lébou de Soumbédioune), le peuple lébou a une particularité : il est fortement attaché aux croyances païennes. Ainsi, au niveau de chaque plage, il y a des esprits dont il faut respecter les recommandations. « Les offrandes et les sacrifices sont incontournables. Dans chaque famille léboue, on gère les Khambs qui sont souvent dans un coin reculé de la maison. Même les pêcheurs qui viennent de l’intérieur du pays, à force de cohabiter avec leurs collègues lébous, finissent souvent par s’approprier ces pratiques.
A Dakar, chaque année, il y a ce que l’on appelle les ‘’sarakhou Ndakarou’’ (sacrifices, Ndlr)». Ces sacrifices sont des prières collectives qui datent de 1895. Un moment de recueillement que toute la communauté léboue observe durant une journée par des récitals du Saint Coran, explique Moussa Ndoye. «Quand on était enfant on nous disait de dessiner une étoile, de réciter la Fatiha (NDLR : la première sourate du Coran) et d’enjamber l’étoile avec le pied droit avant d’entrer en mer», renseigne-t-il.
Parfois, les activités de pêche peuvent être suspendues pour une durée bien précise, non pas pour des raisons surnaturelles mais simplement parce que les informations délivrées par la météo déconseillent d’y aller. Cela, les pêcheurs le savent. Ils savent également, par expérience, qu’il y a des jours et des périodes de l’année où la mer est poissonneuse ou pas. «La pêche industrielle a les moyens de naviguer en mer quel que soit le temps qu’il fait. Par contre, la pêche artisanale qui se fait avec une pirogue dépend des aléas du climat. C’est une question de rationalité. Quand tu es dans une pirogue et que ta vision ne va pas au-delà de 20 mètres, la pêche ne sera pas possible», a expliqué Moussa Ndoye.
Interpellé sur la question, l’anthropologue Madické Guèye, doctorant en archéologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), affirme que ces croyances ont une importante essentielle dans le quotidien des pécheurs. «Ces pratiques leur permettent non seulement d’être en sécurité, mais surtout d’avoir une mer poissonneuse.
Dans la société sénégalaise d’une manière générale, elles occupent une place importante. Les pêcheurs lébous font confiance à des rituels tels que le Ndeup qui est une sorte de séance d’exorcisme, destinée à purifier l’âme et l’esprit de l’individu, pour le protéger des esprits maléfiques ou djinns. C’est une thérapie de groupe visant à guérir les personnes souffrant de troubles mentaux ou d’état dépressif. En dehors de cela, ces pratiques ont aussi des effets thérapeutiques. Elles sont axées par rapport à des périodes et des orientations», indique-t-il.
Les Lébous constituent une communauté traditionnellement pécheurs mais aussi agriculteurs. Ils sont concentrés dans la presqu’ile du Cap Vert (Dakar) qu’ils occupaient avant l’arrivée des premiers colons dans la région. Selon l’histoire orale, ils se sont installés dans la région de Dakar après un long voyage dont le point de départ serait l’Egypte. Leur itinéraire aurait englobé l’Océan Atlantique et débouché dans la zone du Cayor. Aujourd’hui, cette communauté s’est établie dans plusieurs localités de la capitale sénégalaise notamment à Mbao, Bargny, Rufisque, Yoff, Ouakam, etc