GESTION DE L’HYDRAULIQUE RURALE, UNE REFORME EN EAUX TROUBLES
Le Quotidien s’est rendu dans 5 régions où officient Seoh, Aquatech et Flexeau pour constater que les populations sont loin de l’accès universel à une eau potable

Depuis la création de l’Office des forages ruraux (Ofor) en 2014, l’Etat du Sénégal s’est engagé dans la professionnalisation de la gestion de l’eau potable dans le monde rural. Le Quotidien s’est rendu dans 5 régions où officient Seoh, Aquatech et Flexeau pour constater que les populations sont loin de l’accès universel à une eau potable. Une réforme contestée et chahutée dans certaines zones avec au bout du compte une remise en cause de l’autorité de l’Etat. Cette enquête a été réalisée grâce à la collaboration du Forum civil.
GESTION DE L’EAU DANS LES ZONES RURALES DE THIES ET DIOURBEL : Aquatech dans le creux de la vague
Sans doute nostalgiques des Asufor, des collectifs «Aquatech dégage» se sont formés dans plusieurs communes pour dessaisir l’opérateur privé de la gestion de l’eau, malgré un contrat de 10 ans avec l’Ofor depuis mars 2016
Une litanie de bidons jaunes asséchés autour d’un forage artisanal décore le sol. Les plus nantis ont des ânes pour le transport de l’eau, tandis la plupart des femmes attendent de poser la bassine sur la tête approvisionner leur maison… C’est le quotidien des femmes de Touba Toul, commune rurale située dans le département de Thiès. «Je suis devenue mince à cause des bidons. Je fais 20 bidons le matin et 20 autres le soir», se plaint Sara Diouf, dont le visage traîne des traces de vieillesse. Dans ce vaste espace public du village de Keur Lamane, sans eau potable et sans électricité, Binetou gère le forage grâce à un compteur Woyofal de la Senelec. «On achète une carte de 20 mille pour faire fonctionner le forage qui a besoin d’électricité. Chaque bidon rempli, c’est 5 francs. Parfois, je peux me retrouver avec 50 mille francs», explique la sexagénaire. Après la fin du forfait électrique, Binetou dépose l’argent au niveau du Comité provisoire pour la gestion du forage. Délégataire du service public (Dsp) de l’eau potable dans cette zone, l’opérateur Aquatech a été chassé par les populations qui lui reprochent des jours de pénurie d’eau. Il faut relever que dans le cadre de la réforme relative à l’accès universel à une eau potable de qualité en milieu rural, l’Ofor a signé des contrats de 10 ans avec les opérateurs Seoh, Aquatech, Flexeau et Soges. Désigné depuis le 10 mars 2016 comme Dsp des zones rurales des régions de Thiès et Diourbel, Aquatech a débuté ses activités en avril 2018. Mais l’entreprise qui collabore avec Munif Groupe de l’homme d’affaires Tahirou Sarr fait face à la défiance des populations. «Depuis octobre 2020, on a pris de force le contrôle du forage. On restait 3 à 4 jours sans avoir de l’eau. Et si on n’en trouve, c’est à 3h ou 4h du matin avec une faible pression», dénonce Daouda Diouf, coordonnateur provisoire du Comité de gestion des forages de Touba Toul. Ce dernier a acheté un âne à 35 mille francs, rien que pour le transport quotidien de ses 20 bidons d’eau.
Des collectifs de jeunes prennent le pouvoir
Dans la réforme sur l’hydraulique rurale, Aquatech doit approvisionner 2 millions 453 mille 599 personnes, d’après le contrat de performance paraphé entre la Société et l’Ofor. La société, qui a débuté ses activités en avril 2018, est rejetée par beaucoup de villages. De Mboro à Bambey Sérère, en passant par Touba Toul, Baba Garage, Ngoyé, Ndangalma ou Tocky Gare, l’entreprise d’origine canadienne, selon son site, a été supplantée par des collectifs citoyens qui ont pignon sur rue. Des zones de non-droit où l’Etat, impuissant, voit son autorité remise en cause par des groupes organisés. «Nous contrôlons désormais 80% des forages dévolus à Aquatech qui brille par sa mauvaise gestion. On reste des jours sans eau et les factures sont chères», justifie Modou Diouf, chargé de communication de l’Union du monde rural (Umr). Face au refus de certaines populations à payer les factures à cause de la rareté de l’eau, l’Etat a commandité une Mission d’évaluation de la réforme de l’hydraulique rurale. Le Quotidien a pu disposer des conclusions du rapport provisoire de cette étude, déposées sur la table du ministre de l’Eau et de l’assainissement depuis mai 2021 et jusqu’ici non rendues publiques. L’enquête révèle que sur un nombre total de 270 forages prévus, Aquatech ne gère actuellement que 93. En 2019, 17 villages de la zone ont refusé la gestion du nouveau Dsp (4 dans la région de Diourbel et 13 dans celle de Thiès). L’opérateur est en proie à des difficultés liées à l’électrification des forages et à la fourniture en carburant de ceux qui ne sont pas électrifiés. A Mboro, depuis le 4 décembre 2020, Aquatech a été forcé de plier bagages par une déferlante humaine. Dans cette localité où la nappe phréatique cohabite avec les activités des Industries chimiques du Sénégal (Ics) et de la Gco, le liquide précieux est une denrée rare, voire inttrouvable. Dans sa somptueuse résidence R+2 nichée dans le calme olympien de la Cité Serigne Mansour, Aitou a déboursé 300 mille pour édifier un forage artisanal dans la maison qui jouxte l’un des deux forages de la commune. «L’eau est de couleur verte. On boit cette eau parce qu’on n’a pas d’autres alternatives. Si cela ne dépendait que de nous, on allait avoir un robinet avec de l’eau potable. On est à 10 mètres du forage et on ne peut pas avoir de l’eau», se résigne-t-elle. Pour minimiser les risques sanitaires, le comprimé Aquatabs est dissolu dans l’eau. Certaines populations décident de ne plus payer l’eau. Suffisant pour mettre le Dsp en difficulté financière. Avant son départ de Mboro, il traînait une facture d’électricité impayée de 52 millions et 9 millions à Touba Toul. «On avait fait des marches et des manifestations de protestation et Aquatech nous a reçus pour faire des promesses allant dans le sens d’améliorer les choses. Mais la situation de manque d’eau s’est empirée», rembobine El Hadji Malick Guèye, coordonnateur du mouvement «Aquatech dégage» qui assure maintenant la gestion des deux forages de Mboro, situés à Ngayène et à la Cité Serigne Mansour.
PERFORMANCES DES DSP : Seoh au-dessus de la vague
L’opérateur Seoh reste confronté depuis le démarrage de l’exploitation à des difficultés concernant l’état du réseau qui affecte les performances techniques, notamment le rendement de réseau, particulièrement dans le périmètre de Notto-Ndiosmone-Palmarin. «Au plan financier, Seoh déplore l’absence de mécanismes de récupération de la Tva, avec la structure de la grille tarifaire en vigueur», note le rapport de la Mission d’évaluation. De tous les Dsp, la société Aquatech a subi le plus de préjudices. En plus des forages toujours entre les mains d’Asufor, l’opérateur souffre du faible taux d’incorporation des systèmes d’alimentation en eau au démarrage de l’exploitation (93 sur 264 systèmes). C’est notamment dans les sites les plus rentables où il y a la réalisation d’importants travaux de remise en état (Mboro, Touba Toul, Taïba Ndiaye). Aquatech déplore aussi la problématique du recouvrement de la Tva, la baisse du tarif opérée après la mise en service de la Dsp, le retard dans le programme de remise à niveau des forages qui devait être financé par la Banque africaine de développement (Bad), entre autres difficultés. Quid de l’opérateur Flexeau ? «Aucun audit de maintenance n’a encore été réalisé», souligne le rapport provisoire de la Mission d’évaluation. Malgré toutes ces difficultés, le chiffre d’affaires de Seoh a enregistré une croissance annuelle moyenne de 33,95% entre 2015 (380 millions de francs Cfa) et 2019, soit 1 milliard 243 millions francs Cfa, d’après les données de la Mission d’évaluation. En 2019, Aquatech a réalisé le deuxième chiffre d’affaires le plus important à un peu plus d’un milliard, représentant environ 29% du chiffre d’affaires consolidé. Flexeau a pour sa part réalisé 22% du chiffre d’affaires avec près de 803 millions.
DES ASUFOR A L’OFOR : Les raisons d’une réforme
La réforme sur l’hydraulique rurale s’est déroulée en plusieurs phases. Des Comités de gestion des forages dans les années 1980 à l’instauration de la Réforme du système de gestion des forages ruraux motorisés en 1999, le processus est passé en 2002 à l’implication des privés dans la maintenance des forages motorisés. Une autre étape a été franchie en 2005 avec l’adoption de la loi organisant le Service public de l’eau potable et de l’assainissement collectif en milieu urbain et rural au Sénégal (Spepa) qui a consacré l’avènement des Associations des usagers des forages ruraux (Asufor). Détournements de deniers publics et d’objectifs… la gestion de certaines Asufor a été marquée par le «non renouvellement des instances, opacité dans la gestion financière, peu de délégation de service, mauvaise qualité de service, manque de légitimité». Il était attendu de la réforme que les populations rurales aient de l’eau en qualité et en quantité et qu’il n’y ait pas de rupture dans sa fourniture. Dans le cadre de ses activités, l’Ofor a finalisé la contractualisation avec 4 fermiers, sur un total de 8 prévus et qui couvrent au total 5 régions sur un total de 13. Les résultats sont mitigés parce qu’à date, il ressort que sur les 1 989 Systèmes d’approvisionnement en eau potable, (constitués de 2 065 forages et de 57 Unités de potabilisation et de traitement), 312 seulement sont sous Dsp, soit 15% des Saep. Dans les zones sous Dsp, la moitié des Saep n’est pas encore intégrée au périmètre d’affermage. Pour les opérateurs qui ont été installés, ils s’accordent tous à dire que l’Ofor n’a pas été en mesure de mettre à exécution l’une des clauses contractuelles consistant à leur confier des ouvrages et infrastructures fonctionnels. En termes de qualité de l’eau, les problèmes de salinité n’ont pas encore été résolus par les opérateurs.
GESTION DE SEOH DANS LE NOTTO-NDIOSMONE-PALMARIN GOROM-LAMPSAR : A la quête de l’eau de secours
Les pénuries d’eau sont fréquentes dans le périmètre couvert par Seoh. Qui fait face à des difficultés dans le réseau de distribution depuis 2017, soit deux ans après son arrivée comme délégataire de service public en eau potable.
Dans le département de Mbour, les 38 villages de la commune de Ndiaganiao souffrent du manque d’eau. Dans cette zone où seuls 6 villages sont électrifiés, la Société d’exploitation des ouvrages hydrauliques (Seoh) cristallise les frustrations à cause de la rareté de l’eau. Les femmes arpentent parfois nuitamment la piste latéritique à la recherche du liquide précieux. «On a un problème de pression de l’eau. Il faut se réveiller à 2h ou 3h du matin pour avoir de l’eau», déplore Mor Sarr. «Actuellement, dans la zone des Bas-Fond, l’eau est un luxe. Il y a des villages qui ne disposent pas d’eau, et pour obtenir le liquide précieux il faut s’approvisionner auprès des charretiers. Et cela coûte cher. Nous avons entendu le ministre de la Santé dire qu’il faut se laver les mains pour éviter les maladies. Mais nous lui rappelons que tant qu’il n’y a pas d’eau, il ne peut pas y avoir de santé. Donc pas d’eau, pas de salubrité et pas de développement», se plaint Lamine Diouf, porte-parole des 9 villages dénommés Bas-Fonds. La même situation est observée à Tassette (Thiès), Fimela, Yayème et Ndangane dans le département de Fatick. Pour Ndiaganiao, il est déploré des forages qui sont installés dans cette commune qui dessert les zones de Djifer et Joal. La première délégation de service public de l’eau potable en milieu rural, débutée le 1er juillet 2015, a été adjugée à la Société d’exploitation d’ouvrages hydrauliques (Seoh) pour la zone Notto-Ndiosmone-Palmarin et Gorom Lampsar (NDP & GL). L’opérateur Seoh couvre une trentaine de villages entre Thiès et Fatick, notamment dans la zone du Diobass. Dans le département de Fatick, les communes de Diofior avec 13 mille habitants, Fimela (30 mille) et Palmarin (11 mille) sont alimentées par un forage qui vient de Tassette. Dans ces zones, les difficultés ont commencé en 2017.
«Détournement de deniers publics»
Face aux multiples manifestations, l’Ofor, par l’intermédiaire de son directeur de l’Exploitation, Ndiamé Diop, au cours d’une visite, annonce en mars 2019 un programme de la Banque mondiale à hauteur de 1 milliard 200 millions pour améliorer le réseau. «En juin 2020, il y avait un semblant de solution et l’eau commençait à couler. Le directeur de l’Exploitation de l’Ofor nous avait promis une solution définitive en mars 2021. La situation s’empire aujourd’- hui», déplore Samba Faye, membre du mouvement les Cœurs verts de Fimela. Dans cette zone touristique, les hôtels subissent de plein fouet le manque d’eau. Dans ce contexte de pandémie, la rareté du liquide précieux pose un problème économique et sanitaire. «Même pour raccorder deux mètres, Seoh demande 150 mille francs», regrette M. Faye, Docteur en gestion. Où est passé le milliard 200 millions de la Banque mondiale ? En août 2019, le directeur régional de Seoh à Fatick, Pape Alé Samb, a été placé sous mandat de dépôt pour «abus de confiance, détournement de deniers publics et abus de biens sociaux». Pour résoudre les problèmes techniques signalés, le délégataire a entrepris des travaux d’envergure de remise en état sur le réseau qui relèvent des obligations de l’Ofor. Concernant la capacité de production, un déficit est noté avec l’atteinte de la capacité limite de production des forages, nécessitant la réalisation d’ouvrages de captage et la connexion des forages d’eau douce situés dans son périmètre.
GESTION DE FLEXEAU DE KAOLACK-KAFFRINE : Le fluor fait grincer les dents
Dans les régions de Kaolack et Kaffrine, Flexeau reconnaît que l’eau servie n’est pas de qualité, mais rejette la responsabilité de l’Ofor qui n’a fait aucun investissement dans la zone, selon l’opérateur.
A Porokhane, département de Nioro, l’approvisionnement en eau s’est amélioré. Des 5 forages, seuls 2 fonctionnaient avant l’arrivée du délégataire de service public Flexeau qui a démarré ses activités en juin 2019 dans les régions de Kaolack et Kaffrine. Mais c’est la qualité de l’eau qui trouble les organismes des populations. «On a souvent ici des cas de diarrhée à cause de l’eau que l’on consomme. Ceux qui ont les moyens ici ne boivent pas cette eau. On achète de l’eau minérale», signale Néné Ba qui fixe sa bassine où déverse l’eau de robinet. Dans le département de Koungheul, la même situation est constatée. «On nous avait promis de rendre accessible l’eau, moins chère. Mais Flexeau n’est jamais venue pour laver le forage. On tousse énormément. On boit une eau qui n’est pas de qualité. Du temps des Asufor, on lavait le forage chaque 2 ou 3 mois», enrage Moustapha Sall, président de l’Asufor Pathé Thiangaye dont le forage est en panne depuis un an. Des 4 délégataires déjà concernés par la réforme, Flexeau est la seule entreprise 100% sénégalaise. La société gère le périmètre Kaolack-Kaffrine avec 311 Systèmes d’approvisionnement en eau potable (Saep) dont 268 forages sont sous affermage. «La zone exploitée est caractérisée par la qualité de l’eau, avec notamment des problèmes de fluor et de salinité des eaux souterraines», constate la Mission d’évaluation de la réforme de l’hydraulique rurale. Dans la zone de Kaolack et Kaffrine, l’eau ne manque pas dans la plupart des villages visités. «Mais elle est chère. On paie 250 francs/m3. Nos factures sont salées», déplore El Hadji Fall, président de l’Asufor de Xendé, un village du département de Kaffrine. Le prix pratiqué par Flexeau est le même partout chez les délégataires de service public de l’eau potable en milieu rural. D’ailleurs dans cette zone, le prix fixé par les Asufor était de 300 francs/m3. En 2020, Flexeau avait un taux de couverture de 79%, soit le plus élevé de toutes des régions. «Il n’y a pas de qualité ici et l’eau manque parfois», signale Bobo Cissé, président de l’Asufor de Nganda (Kaffrine). Face à la pénurie, les femmes sont parfois obligées d’aller la chercher dans les villages environnants, à savoir Diama Gadio et Danko.
«La responsabilité de la qualité de l’eau incombe à l’Ofor»
Sur la qualité de l’eau, Flexeau se lave. Cela ne relève pas de la responsabilité de Flexeau, mais de l’Etat du Sénégal. «La responsabilité de la qualité de l’eau incombe à l’Ofor. Il y a un système de décoloration qui avait été promis par l’Ofor, mais qui n’est toujours pas réalisé. On donne l’eau que servaient les Asufor, on ne s’en cache pas», se défend Abdoul Aziz Guèye, directeur des Opérations de Flexeau. Par ailleurs, l’opérateur indique avoir engagé un important programme de transition énergétique par l’installation intégrale de minicentrales solaires dans tous les forages. «Actuellement, il y a 129 forages qui sont déjà solarisés. 3 300 panneaux solaires sont en route pour installation et nous allons en importer 10 mille», renseigne M. Guèye. Ce dernier précise que depuis l’installation de Flexeau en juin 2019, «aucun investissement de l’Etat n’a été réalisé alors que Flexeau en est à 2 milliards d’investissement». Pour rappel, le fermier Seoh effectue à fréquence mensuelle des analyses bactériologiques et physicochimiques sur l’étendue du périmètre. Parallèlement, l’Ofor a mandaté l’Université Assane Seck de Ziguinchor pour effectuer une campagne d’analyse au niveau du Ndp et les résultats obtenus sont satisfaisants. Une campagne a été menée dans le périmètre de Thiès-Diourbel avec le laboratoire de Caritas. En sus, l’Ofor a mandaté le laboratoire de Sentech pour le suivi de la qualité de l’eau dans les périmètres de Thiès-Diourbel, Tambacounda et GoromLampsar.
NON-RESPECT D’ENGAGEMENT, DEFICIT D’INFRASTRUCTURES … Les résultats mitigés de l’Ofor
Malgré des réalisations probantes, l’Office des forages ruraux doit encore, dans sa gestion de l’hydraulique rurale, faire des efforts pour que la réforme sur le sous-secteur aboutisse.
625 forages et 401 châteaux d’eau ont été construits en milieu rural entre 2014 et 2020, pour faciliter l’accès des populations à l’eau potable. L’annonce a été faite le 6 juillet dernier par Lamine Kâ, directeur des Etudes et de la planification de l’Office des forages ruraux (Ofor). Il a aussi souligné que l’Ofor a réalisé au cours de cette période 14 mille 829 branchements domiciliaires, 4 542 bornes-fontaines et 476 abreuvoirs pour le cheptel. Selon lui, un réseau d’eau de 7 339 km dans le monde rural a produit une amélioration des conditions de vie de 1 million 528 mille 560 personnes. Malgré tout, la réforme est loin d’être aboutie. L’Ofor et les opérateurs traînent des manquements qui menacent la pérennité du projet. Dans le rapport de la Mission d’évaluation sur la réforme de l’hydraulique rurale, il est indiqué que «si les performances en matière de gestion sont très satisfaisantes, avec un taux moyen de près de 90%, les performances techniques et de satisfaction des missions de service public sont très faibles et s’établissent en moyenne, respectivement à 44 et 40%». Pour l’étude, «les performances techniques sont affectées par les faibles scores constatés dans les domaines de l’autonomie financière, de la qualité de l’eau, de l’accès à l’eau et l’organisation pour le pilotage, qui varient de 16 à 42% en moyenne sur la période considérée», c’est-à-dire entre 2017 et 2019. Concernant les objectifs de remise à niveau des forages défectueux, les cibles (35 forages) sont en cours de réalisation, car le premier semestre de l’exercice 2020 a été consacré à la préparation des procédures de passation des marchés. En plus, le Plan d’eau et d’assainissement en milieu rural (Peamir) prévoit pour l’hydraulique rurale une enveloppe d’environ 22 milliards de francs Cfa, à consacrer aux travaux de remise à niveau des Saep de la zone centre (Thiès, Diourbel, Kaolack, Kaffrine, Fatick) et un programme de 30 mille branchements particuliers. Le Quotidien a tenté d’avoir la version du directeur de l’Hydraulique et du ministre de l’Eau, mais nos nombreuses demandes n’ont pas connu de suite. Dans les zones concernées par la Dsp, des cibles de branchement particulier de l’ordre de 20 mille 977 n’ont pas connu de résultats probants, «seuls 987, soit 5% de la cible sont atteints», d’après la Mission d’évaluation. Pis, les travaux de réalisation de 5 000 branchements particuliers qui devaient se réaliser en 2020 dans le périmètre Ndp/GL ont connu des retards de procédure, justifiant le décalage des réceptions pour l’année 2021.
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PAPE BAYE DIOP, DIRECTEUR DE LA COMMUNICATION, DE L’INFORMATION ET DES RELATIONS EXTERIEURES A AQUATECH : «Des mafias ont pris en otage des forages»
«Il y a des intérêts sociaux et financiers qui font que des mafias ont pris en otage des forages. Ces politiciens sont aussi instrumentalisés par les maraîchers qui veulent cultiver sans payer. Ils avaient acquis ces avantages du temps des Asufor, parce qu’ils n’avaient même pas de compteurs. Aquatech a dit non. Quand on signait le contrat avec l’Etat du Sénégal, il est inscrit que les forages devaient être remis à neuf. Il y a des forages qui ont 30, 40 ans. Mais l’Etat ne l’a pas fait, parce qu’il n’a pas que ça à faire. Il y a l’électricité, l’école, la santé avec le Covid19… Aujourd’hui, la réhabilitation a débuté. Quand nous avons commencé en 2018, nous avons trouvé un réseau dans un état catastrophique. Nous avons des arriérés de paiement parce que les gens ne paient pas. Depuis 2018, nous avons investi 1,2 milliard en pompes, en véhicules, en salaires etc. Nous avons des dettes à la Senelec dans les localités qui ne paient pas. Dans les villages où les gens paient, Aquatech ne doit rien à la Senelec. Aquatech a porté plainte devant la gendarmerie de Thiès contre ce collectif «Aquatech dégage» et partout où des mafias se sont installées. D’abord, ils utilisent le nom Aquatech alors que ce collectif n’a aucune légalité, mais fait des factures et récupère de l’argent. On n’est pas là pour faire la police. Il y a dans ce pays un sous-préfet, un préfet, un gouverneur, la police et la gendarmerie. L’Etat n’a qu’à prendre ses responsabilités pour rétablir l’ordre.»
NDIAME DIOP, DIRECTEUR DE L’EXPLOITATION A L’OFOR : «Prématuré de parler d’échec de la réforme»
«Je crois que c’est prématuré de parler d’échec, parce que ça vient de démarrer. Il y a toujours des réglages à faire, des points faibles et des points forts. Les dernières études montraient que seuls 20 à 25% des Asufor fonctionnaient normalement, conformément aux textes qui les régissent. Sur plus de 2 200 forages, l’Etat continuait à réparer et à renouveler des équipements en cas de panne, alors que les Asufor encaissaient les recettes. Pour les Asufor, c’est 2 ou 3 personnes qui géraient dans une opacité totale. Leurs arguments étaient qu’elles construisaient des écoles, aidaient des étudiants, entre autres activités à but social. Je suis désolé, mais c’est un détournement d’objectifs. Ces Asufor prétendent construire des écoles, alors que quand il y a des pannes de forage, elles se tournent vers l’Etat. L’argent de l’eau doit rester à l’eau. Il y a aussi des enjeux politiques, religieux et on est appelé à gérer tout ça. Pour les problèmes techniques, c’est la conséquence des actions des Asufor qui ne respectaient pas les normes. L’autorité de l’Etat doit être restaurée. Si seulement 20% de la population paient l’eau, comment l’opérateur peut payer ses factures d’électricité ? Ce sont ces populations qui ont mis en difficulté Aquatech.».
FALLOU, DIRECTEUR GENERAL DE SEOH : «Depuis 2018, on a un problème de réseau»
«Quand nous avons démarré en 2015, jusqu’en 2017, il y avait trop de soucis, parce que la production permettait de gérer. Depuis 2018, on a un problème de réseau. Et plus précisément dans la zone de Ndangane qui se trouve en bout de réseau. Cette situation est due au fait qu’à partir de 2017, il y a eu le projet des îles du Saloum qui n’avait pas prévu la phase en amont, c’est-à-dire quand on fait du projet qui consomme énormément d’eau, il faut renforcer la production. Il y a eu manque de renforcement de la production malgré la forte demande dans les localités de Bassoul, Djirnda et Dionewar. L’eau est aspirée par cette grosse conduite qui fait que nous avons des épisodes de manque d’eau, particulièrement à Ndangane et Yayème. A partir de mai, la situation est redevenue à la normale jusqu’en 2019. La pénurie a recommencé de janvier à avril. L’Etat a mis en place un projet appelé Peamir avec un financement de la Banque mondiale parce que faire un forage coûte très cher. Les travaux doivent se réaliser en 18 mois. Aujourd’hui, si la question n’est pas résolue à 100%, une bonne partie de Yayème est alimentée en eau. Avant octobre 2021, on espère que les travaux seront terminés. Et la situation va beaucoup s’améliorer.».
YELY COULIBALY, SECRETAIRE GENERAL DU SYNDICAT DES TRAVAILLEURS DE L’HYDRAULIQUE RURALE : «Cette réforme est un échec total»
«Depuis l’avènement de l’Ofor, les forages sont entre les mains d’aventuriers qui ne savent rien de l’hydraulique. Au début, les Associations des usagers de forages ruraux (Asufor) étaient bien organisées. Il y avait leur caisse et ils faisaient beaucoup de social en construisant des salles de classe, des maternités et aidaient les étudiants de la localité. Cette réforme est un échec total. L’Ofor a échoué. Les villageois sont en train de souffrir. Nous demandons son audit. Depuis sa création en 2014, les agents de l’hydraulique sont en train de souffrir. Ils n’ont plus d’indemnités de logement, de déplacement, d’habillement et de pharmacie. Il y a les agents de l’hydraulique, les conducteurs de forage, les personnels de soutien appelés bénévoles et les retraités qui sont en train de souffrir. Les agents n’ont plus d’Ipm. 2012 à 2021, les cotisations à l’Ipres et à la Caisse de sécurité sociale ne sont pas versées, alors qu’on nous tire 6 000 francs Cfa par mois.»