«IL VA ETRE TRES DIFFICILE D’AVOIR UN SENEGAL PROPRE»
El hadji Mamadou Sonko est biologiste environnementaliste, enseignant chercheur à l’Ise de l’Ucad

Le président Macky Sall, a lancé une campagne dénommé Sénégal «zéro déchet», le jeudi 8 août dernier, afin de rendre propre le pays. Pour le biologiste, environnementaliste et enseignant-chercheur à l’Institut des sciences de l’environnement (Ise) de la Faculté des sciences et techniques de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, El Hadji Mamadou Sonko, pour le moment, il n’est pas possible d’avoir un «Sénégal propre» à cause de l’incivisme des populations et du mode de gestion des déchets.
Que pensez-vous de la campagne «zéro déchet» lancée par le chef de l’Etat, Macky Sall ?
Pour qui connait le Sénégal et Dakar, c’est d’abord un slogan. Il peut y avoir une volonté politique des autorités, mais dans la réalité, on peut, sans se tromper, dire que ça va être difficile d’avoir un Sénégal zéro déchet. De toute façon, les déchets sont associés à la vie humaine. Dès qu’on vit et on consomme, on va toujours produire des déchets. On ne peut pas échapper à cette logique. Maintenant, l’enjeu c’est comment gérer les déchets. C’est une question de gérer les déchets qui est posée et c’est là où se trouve toute la problématique. Par rapport, à la situation actuelle, il va être très difficile même d’avoir un Sénégal propre parce que ce qui reste à faire est très élevé. Le manque de poubelles, par exemple, est une chose facile à rattraper. On peut, en deux ou trois semaines, en produire assez pour tout le pays. Là, ce n’est pas le problème. Ce dernier est beaucoup encré et c’est un problème de comportement. Toute la problématique se trouve à ce niveau. Le manque d’éducation des populations, l’incivisme, c’est autant de problèmes qui font que c’est très difficile de gérer ces déchets. Autour d’une poubelle, on peut trouver des gens qui jettent des ordures par terre. Parce qu’ils ne prennent pas le temps de se déplacer jusqu’à la poubelle pour mettre dedans les ordures ou soulever simplement l’ouverture, si c’est fermée. Il y a la volonté parce que le ministre de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique commence à faire des choses, mais il faut s’investir dans la durabilité. Une chose, c’est de déguerpir des gens qui occupent illégalement un espace ; une autre, c’est de s’investir dans la durabilité.
Que doit-on faire pour inverser la tendance ?
On doit arriver à adresser toute la filière. Il faut avoir une gestion de filière. C’est ce qui manque. Actuellement, on se préoccupe de comment collecter les déchets, alors que la gestion des déchets c’est tout une filière. Il y a la collecte, le transport, le traitement, l’élimination et la valorisation. On n’est pas encore arrivé à une bonne politique de gestion des déchets. Alors qu’il y a beaucoup de milliards qui sont investis. Il faut une discussion sur la gestion des déchets, des assises. Et c’est urgent. Lancer un programme «zéro déchet», il y a derrière une volonté certes, mais il faut arriver, derrière cette volonté-là, à mettre tout l’arsenal qui doit l’accompagner au plan technique, mais aussi socio-économique. Il y a après une éducation, qu’il faut faire. Pour les générations actuelles, je trouve que c’est perdu d’avance. Parce que nous avons des comportements qui sont très loin d’une gestion normale des déchets à l’échelle individuelle. Les gens ont des habitudes qu’il va être très difficile de corriger. Je pense qu’il va falloir investir chez les enfants.
Vous préconisez une initiation des générations futures au nettoiement, mais qu’est-ce qu’il est possible d’être fait maintenant ?
La seule solution pour les générations actuelles, c’est de sanctionner. Avoir peut-être une Police de l’environnement qui, en cas d’un comportement en déphasage avec une bonne gestion de l’environnement, prend des sanctions. Mais, étant entendu aussi qu’on mette des poubelles où les gens pourront mettre leurs ordures. Il y a aussi dans certains quartiers où c’est difficile d’accès le rythme de rotations (des camions de ramassages des ordures, ndlr). Il y a des acteurs qui sont dans le secteur qui, des fois, sont indexés comme étant des fauteurs de troubles, comme les charretiers. Mais, parfois, on peut être dans des endroits où les camions ne passent que très rarement, les gens sont obligés donc de faire venir ces charrettes.
Le plastique constitue un sérieux problème pour l’environnement. Que faut-il faire ?
Il faut aller dans le sens de réduire l’usage du plastique à son maximum possible. C’est bon de faire des lois, mais au-delà de la loi, il faut prendre en charge les comportements. Il faut voir qu’est ce qu’on va proposer à la place des sachets. La loi sur le plastique, sa motivation était de ne pas bloquer le petit commerce. Mais, ce petit commerce fait plus de dégâts. Les sachets d’eau, c’est un scandale en termes de production de déchets plastiques. Les gobelets qu’on utilise pour vendre le café, c’est aussi un problème. Est-ce qu’il n’est pas utile de mettre une taxe supplémentaire pour essayer d’acheter ces sachets ? C’est plusieurs politiques qu’on doit mettre en place pour ne pas bloquer ce petit commerce.
Quelle analyse faite-vous du mode de gestion des déchets ?
L’unité de coordination de la gestion des déchets solides (Ucg) accompagne, mais quand il y a un problème, les gens ne voient pas l’Ucg. C’est le maire qui est ciblé. Et c’est lui qui est beaucoup plus proche des populations. C’est lui qui est indexé en premier. La solution, par exemple dans les pays développés, ce sont les municipalités qui gèrent. Je pense qu’on peut donner l’argent à des municipalités et demander après une formation. Comme, elles n’ont pas encore l’expertise, l’Ucg peut accompagner le temps que les gens commencent à se former et avoir tout le dispositif nécessaire pour gérer les déchets. Il faut quand-même trouver des solutions avant qu’on ne soit envahi par nos déchets et ce sera une difficulté à rattraper.
Le président de la République, Macky Sall veut instituer une Journée de nettoiement mensuel, comme c’est le cas dans certains pays. Est-ce une pratique qui peut prospérer?
Connaissant la population du Sénégal, ça va être difficile. Dans d’autres pays, ça a réussi parce qu’il y a des expériences qui ont fait que la relation des populations avec l’Etat est différente. C’est possible, mais il faut trouver le bon attelage. On a l’avantage avec les chefs religieux. Ils sont des leviers à actionner. Si on passe par ces derniers, on peut avoir au moins une journée où les populations se mobiliseront. C’est faisable, mais il faut que l’approche soit différente. Si cela vient de l’Etat, cela ne va pas réussir. En pareille circonstance, on ne voit pas l’Etat, mais le candidat, l’appartenance à un parti.