«LA DERNIERE DOTATION EN VEHICULES DE NOS TRIBUNAUX DATE DE PLUS DE 10 ANS»
Cheikh Ahmed Tidiane Youm, secrétaire à la presse de l’Ums

En perspective de l’élection présidentielle de Février2019, l’Union des Magistrats du Sénégal (Ums) a tenu en mi-novembre 2018, sur deux jours, un atelier de formation, en partenariat avec l’USAID, pour sensibiliser tous les acteurs impliqués sur leurs rôles et responsabilités dans le processus électoral. Dans cet entretien accordé à l’As, le Secrétaire à la presse de l’Ums, Cheikh Ahmed Tidiane Youm, évoque les recommandations issues de la rencontre, le rôle du magistrat dans le processus électoral, etc. Sur la question des infrastructures et de l’équipement des juridictions, le magistrat relève que, pour les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance, la dernière dotation en véhicule date de plus de 10 ans et estime qu’il est temps que les autorités adoptent une stratégie d’équipement des juridictions qui soit pérenne.
L’UMS vient de boucler un atelier de formation des magistrats sur le processus électoral. Quel en était l’objectif ?
L’objectif de cet atelier de lancement, qui rentre dans le cadre d’un programme d’activités initié par l’UMS, en partenariat avec l’USAID, était de sensibiliser tous les acteurs impliqués, en particulier les magistrats, sur leurs rôles et responsabilités dans le processus électoral. Il s’agissait, plus précisément, de susciter des échanges sur les différentes phases dudit processus et les différents aspects de l’intervention des magistrats ; fournir aux participants des informations pertinentes et utiles sur la législation applicable en la matière ; formuler des recommandations destinées à garantir la tenue d’une élection libre, transparente, sincère et apaisée. Qui en étaient les participants ? La rencontre a enregistré la participation d’une soixantaine de personnalités constituées de magistrats intervenant dans le processus électoral, de représentants de la Direction Générale des Elections, de la CENA et des organisations de la société civile, d’avocats, de professeurs d’université et d’autres personnes ressources choisies en raison de leur expertise ou de leur niveau d’implication dans le processus électoral. Différentes questions ont été abordées lors de la première journée, à travers quatre sous-thèmes portant sur la candidature à l’élection présidentielle, les infractions pénales commises en période électorale, le contrôle des opérations de vote et l’observation électorale, et enfin le rôle et la responsabilité des magistrats dans le recensement des votes et la proclamation des résultats. La deuxième journée a été consacrée à deux ateliers portant, d’une part, sur le parrainage et, d’autre part, sur l’observation, la supervision, le recensement et la proclamation des résultats.
Pouvez-vous revenir sur le rôle du magistrat dans le processus électoral ?
Le magistrat joue un rôle important dans le processus électoral. Il intervient déjà dans la phase de l’inscription sur les listes électorales, à travers le traitement du contentieux y afférent. Le jour du scrutin, il effectue une mission de supervision en qualité de magistrat délégué de la Cour d’appel. Ces délégués sont déployés sur l’ensemble du territoire national pour veiller au bon déroulement des opérations électorales et au respect des dispositions du code électoral dans les bureaux et centres de vote. Le magistrat joue également un rôle dans le recensement des votes, puisque ce travail est effectué par des commissions départementales et la commission nationale de recensement des votes. Enfin, c’est toujours le magistrat qui, après la proclamation des résultats, est chargé de traiter le contentieux susceptible de s’ensuivre en statuant sur les contestations éventuelles en cas de recours.
Qu’est-ce qui a été retenu à l’issue de ce conclave ?
Je rappelle que l’objectif était de réfléchir sur les voies et moyens pouvant permettre à chaque acteur de jouer sa partition pour garantir la transparence et la sincérité du scrutin. A cet égard, des recommandations ont été formulées par l’atelier, relatives, d’une part, au parrainage et, d’autre part, à l’observation, la supervision et le recensement des votes. Concernant le premier point, l’atelier a préconisé la modélisation et la sécurisation des fiches de parrainage pour les prochaines échéances électorales et la mise en place par le Conseil constitutionnel d’un dispositif de contrôle du parrainage. Certes, cela est déjà prévu par le code électoral ; mais il s’agit juste d’une faculté et non d’une obligation. Or, par souci de transparence et pour prévenir des contentieux qui peuvent être lourds de conséquence, il est nécessaire de fixer les règles du jeu en définissant, d’ores et déjà, les modalités du contrôle du parrainage. Pour le même souci de transparence, les représentants de candidats devraient pouvoir participer à la procédure de contrôle, comme c’est le cas pour les autres phases du processus électoral. Relativement au second point, l’on peut retenir les principales recommandations qui ont trait au renforcement de la collaboration entre les autorités administratives, les membres des commissions électorales départementales autonomes (CEDA) et les magistrats délégués de la Cour d’Appel ; à la mise à disposition à temps des moyens financiers, matériels et logistiques ; au renforcement des capacités des magistrats et l’amélioration de la formation des membres des bureaux de vote ; une veille rigoureuse par les magistrats délégués au respect scrupuleux des dispositions du code électoral au niveau des bureaux de vote, et leur présence à toutes opérations électorales ; l’augmentation, de 24 heures, du délai légal de traitement imparti aux commissions de recensement des votes ; le déploiement de magistrats délégués et membres de commissions de recensement à l’étranger pour plus de crédibilité des résultats du vote des sénégalais de l’extérieur. Nous espérons, avec la bonne volonté des autorités et de tous les acteurs impliqués, parvenir à relever le défi en améliorant et fiabilisant davantage notre système électoral pour le bien de notre démocratie.
Des acteurs politiques dans l’opposition disent déjà que les dés des joutes de 2019 sont pipés. Comment un magistrat peut-il contribuer pour un scrutin transparent ?
Compte tenu de l’importance de ses rôles, responsabilités et prérogatives, le magistrat contribue à la transparence du scrutin en exerçant simplement son office conformément à la loi et à son serment. Toutefois, il faut souligner qu’il est important que tous les autres acteurs intervenant dans le processus électoral, qu’il s’agisse des autorités administratives, observateurs indépendants, comme des politiques, jouent également leur partition puisque le magistrat n’est pas le seul acteur concourant à la transparence d’une élection. Pour sa part, l’UMS s’attèle à impulser une réelle dynamique de capacitation des magistrats afin de contribuer davantage à la régularité et à la transparence des scrutins à venir. Pour la préparation de l’élection présidentielle et des élections locales de 2019, il est d’ailleurs envisagé la tenue d’une vingtaine de sessions de formation à partir de décembre 2018 dans les ressorts des Cours d’appel de Dakar, Thiès, Saint-Louis, Kaolack et Ziguinchor, afin de préparer suffisamment les magistrats pour qu’ils puissent remplir convenablement leur mission.
L’UMS a souvent décrié le manque d’infrastructures dans certains tribunaux. La situation ne s’améliore toujours pas. Qu’envisagez-vous de faire ?
En tant qu’association chargée de la défense des intérêts matériels et moraux des magistrats, l’UMS ne peut rester insensible à ce genre de situations et a le devoir, à chaque fois qu’elles se présentent, d’attirer l’attention des autorités concernées pour que des solutions appropriées leur soient apportées. Ce qu’elle n’a pas manqué de faire dans le cas évoqué. Si la réforme de la carte judiciaire qui est à l’origine de cette installation est à saluer, notamment parce qu’elle participe du rapprochement de la justice des justiciables, l’atteinte de ses objectifs requiert la mise en place de toutes les mesures d’accompagnement nécessaires telles que la construction de tribunaux ou la mise à disposition de locaux pouvant abriter provisoirement les juridictions nouvellement créées, ce qui est du ressort de l’Exécutif. Au nombre des problèmes d’équipement qui préoccupent l’UMS, il y a aussi la question des véhicules de service. Figurez-vous que pour les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance, la dernière dotation en véhicule date de plus de 10 ans. Actuellement, ces véhicules sont complètement amortis et certains sont même inutilisables. Il est temps que les autorités adoptent une stratégie d’équipement des juridictions qui soit pérenne de manière à permettre le renouvellement, à intervalles réguliers, du parc automobile des juridictions. Encore une fois, ce n’est pas un luxe, pour des chefs de juridiction dont certains sont à des centaines de kilomètres des villes, de disposer de véhicules de service. Tout cela pour vous dire que la question des infrastructures et de l’équipement des juridictions tient à cœur l’UMS qui vient d’ailleurs d’obtenir de l’USAIDun don d’équipements d’une valeur de 40 millions de francs au profit de nos juridictions. Nous sommes disposés en tous cas à réfléchir avec les autorités pour trouver les solutions idoines et éviter qu’à l’avenir pareilles situations ne se reproduisent car, au-delà des difficultés d’ordre matériel et pratique qu’elles posent dans le fonctionnement du service public, c’est aussi une question de dignité de la Justice.