LE 1ER MAI DES DÉFLATÉS
Pour Babacar, Aminata, Fatou et des milliers d'autres, ce 1er Mai est un jour de deuil. Licenciés des structures publiques et parapubliques par les nouvelles autorités, ils partagent aujourd'hui le même désarroi face à l'incertitude du lendemain

Pour les personnes licenciées dans le secteur public-parapublic, ce 1er Mai n’est pas une Fête du travail. C’est le moment de partager leurs «souffrances» et les drames sociaux.
Le 31 décembre 2024 fut un bug pour lui. Babacar a perdu son boulot au Fera où il bossait depuis 3 ans. Si les rémunérations n’étaient pas exceptionnelles (un peu plus de 100 mille), elles permettaient pourtant d’entretenir sa petite famille logée dans la banlieue dakaroise. «J’ai tout perdu», dit-il. Depuis 5 mois, il cherche à recoller le fil de cette vie perdue après la décision de rompre son contrat.
Selon le Rassemblement des travailleurs du Sénégal, créé dans la foulée des licenciements décidés par les nouvelles autorités dans les structures publiques et parapubliques, il y a plus de 30 mille personnes frappées par la mesure. Pour Babacar et son amie Aminata, c’est l’anéantissement d’un rêve. Après ce moment, tout a changé. «Avec mon travail au Fera, j’avais un traitement fixe qui permettait de régler certaines charges familiales. Maintenant, c’est l’incertitude», souligne Aminata.
Babacar, lui, essaie de se taper quelques boulots intermittents dans le Btp, un secteur qui est aussi en crise. «Si je trouve le chemin, je vais me barrer parce qu’il m’est impossible de rester à la maison les bras ballants. Si j’ai la possibilité de partir, je quitterai le pays, peu importe la voie. Diomaye-Sonko m’a tout retiré : mon emploi et ma dignité», ajoute Babacar.
Bien sûr, la perte d’un emploi est un drame social dans un pays où la chaîne de solidarité et de prise en charge est immense. Pour d’autres déflatés, l’espoir est entre les mains de la Justice. Employée au Fongip, Fatou Dièye espère que le Tribunal du travail va la rétablir dans ses droits. «J’ai pris un avocat. Au niveau de l’Inspection du travail, on nous a rassurés de l’issue favorable. Pour l’instant, il y a beaucoup de reports», explique-t-elle. On perçoit une certaine mélancolie dans la voix de cette jeune dame qui a vu tous ses projets anéantis le 16 décembre 2024, après que sa direction lui a envoyé une demande d’explications pour 16 jours d’absences non justifiées, sans «avertissement, sans mise à pied». Salariée en Contrat à durée indéterminée, responsable du service marketing du Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip), elle a été licenciée le 23 décembre 2024, pour faute lourde suite à des «absences répétées». Elle a d’abord été rétrogradée, avant de subir cette ultime mesure et d’être sommée de quitter son bureau dès la notification de son licenciement. «Toutes mes absences ont été justifiées. J’ai déposé les documents nécessaires, notamment le certificat médical. On m’a reproché des absences alors que je faisais la représentation pour ma direction à des ateliers. J’ai tout justifié», ajoute-t-elle.
Aujourd’hui, tout est figé depuis la signature de la lettre de licenciement. «On ne nous a versé aucune indemnité. Ma situation a empiré. Je suis un soutien de famille. Je dois m’occuper de ma fille et d’autres charges. Dans notre structure, certains sont des diabétiques et n’arrivent plus à se soigner. J’ai envie de pleurer. Ce sont des drames sociaux», répète l’ex-employée au Fongip. Les mots lui manquent : «C’est injuste…» Fama Guèye fait également partie de la quinzaine de personnes congédiées au niveau de la structure. Elle a aussi renvoyé la structure devant le Tribunal du travail pour essayer d’obtenir gain de cause. Assistante administrative, elle a été licenciée le 24 novembre dernier, aussi pour absences non justifiées. «C’est la suite de ce combat. J’ai foi en la Justice de mon pays, mais c’est une énorme injustice que nous avons subie. Nous faisons face à de nombreux problèmes comme les banques qui nous harcèlent à cause des prêts contractés avec des échéances de remboursement non respectées. Mais, celui qui a perdu son emploi ne peut rien rembourser», explique-t-elle. Fatou Dièye certifie ses déclarations : «Nous subissons des pressions terribles des banques. A cause de cette situation, les banques refusent de prêter aux employés sous Cdi.» Dans ses explications, l’Administratrice générale du Fongip insistait sur le fait «qu’il y a des agents qui se sont permis d’avoir plus de 80 jours d’absences non justifiées. Il y a des agents qui ont été recrutés à des postes de responsabilité et qui n’ont même pas eu le Bac. Quand je rentre au Fongip, ma casquette de membre de Pastef, je la laisse dehors et je rentre en tant qu’Administratrice générale». «C’est une purge politique», accuse une autre licenciée. «J’ai déscolarisé mes deux enfants parce que je ne peux plus assurer leurs frais de scolarité. C’est un énorme retard dans leurs études. Je vais les inscrire l’année prochaine dans le public. Pour l’instant, je me débrouille pour la bouffe», regrette-t-elle.
Visage du combat des déflatés des structures publiques et parapubliques, Boubacar Fall est le coordonnateur du Rassemblement des travailleurs du Sénégal, qui va célébrer demain le 1er Mai avec un rassemblent à Colobane, à proximité de Massalikoul Djinane, pour prier pour plus d’abondance. Mais, le cœur n’est pas à la fête cette année. «Le nombre de travailleurs licenciés est de 30 mille 814 déjà documentés par le Rts au 29 avril 2025, secteur par secteur. Les chiffres ne sont pas des statistiques… Ce sont des milliers de drames familiaux. Des enfants privés de rentrée scolaire, des parents humiliés, des compétences gaspillées», regrette M. Fall.
Aujourd’hui, l’Etat laboure tout un champ lexical pour expliquer ces licenciements : départs négociés, non-renouvellement de contrats. Du Port autonome de Dakar au Fonds d’entretien routier autonome, en passant par l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd), c’est le crash.