LES SÉNÉGALAIS ENTRE PEINE, RÉSIGNATION ET INSOUCIANCE
Il y a une semaine, le chef de l’Etat Macky Sall décrétait l’état d’urgence et le couvre-feu pour faire face à la propagation inquiétante du coronavirus.

Il y a une semaine, le chef de l’Etat Macky Sall décrétait l’état d’urgence et le couvre-feu pour faire face à la propagation inquiétante du coronavirus. Une série de mesures s’en étaient suivies parmi lesquelles l’interdiction de circulation au-delà de 20 heures dans tout le pays, les déplacements interurbains à toutes les heures et la limitation des passagers dans les véhicules de transport et autres particuliers. Un dispositif plus ou moins lourd pour les Sénégalais qui l’ont exprimé par moments.
A défaut de conscience citoyenne, l’Etat exerce sa force contraignante pour obliger les populations à se conformer à la nouvelle donne. L’état d’urgence et le couvre-feu, en vigueur depuis le 24 mars dernier, ont mis à nu les tares d’une société qui a fini de se métamorphoser ; mais également les défaillances d’un Etat qui a du mal à faire appliquer correctement les mesures qu’il a lui-même prises. Une difficulté liée à la structuration de la société, à l’insuffisance de moyens et à la mauvaise gouvernance qui a prévalu jusque-là dans certains secteurs vitaux du pays. Tout compte fait, il est indéniable que ce confinement partiel est une bonne stratégie pour freiner la propagation de la Covid19. Après la fermeture des frontières aériennes et terrestres, ainsi que des écoles et des universités, et d’interdiction des manifestations sportives, culturelles et religieuses, il fallait passer à la vitesse supérieure et décréter l’état d’urgence et le couvre-feu. Ce, pour réduire au plus haut niveau les déplacements dans tout le pays et dans les différentes circonscriptions. Il a été procédé à la limitation de transports interurbains et du nombre de passagers dans les véhicules. L’Etat a aussi créé un fonds Covid-19 estimé à plus de mille milliards de FCFA en plus de prévoir un fonds de solidarité de 69 milliards pour l’aide alimentaire.
Sans compter une remise de dette pour les entreprises. Des annonces tellement porteuses d’espoir mais dont certains ont rencontré des difficultés d’application dès les premiers jours après leur entrée en vigueur. Il en est ainsi du couvre-feu dont la police a failli saborder le plan en privilégiant la force plutôt que la pédagogie. Les forces de défense et de sécurité ont ainsi mâté les premiers récalcitrants et ceux qui étaient piégés le premier jour par les difficultés liées au transport de masse. Mais après une condamnation populaire et une dénonciation de droits-de-l’hommistes, la police s’est très vite rétractée en faisant son mea culpa, non sans indiquer des sanctions contre ses agents déviants. Mais les mesures prises avec cet état d’urgence ont permis de mesurer le niveau de conscience citoyenne avec des attitudes de défiance et de résistance qui ne disent pas leur nom. Des jeunes de la Médina se sont volontairement et sans raison attaqués à la police, refusant de respecter le couvre-feu. Sans compter des imams récalcitrants qui ont tenu des prières collectives dans les mosquées, ou des gens qui ont tenu des cérémonies religieuses ou traditionnelles, des retours clandestins de migrants sénégalais en provenance de pays à transmission active, la persistance de déplacements individuels, etc.
ENTRE LE MARTEAU DU COUVRE-FEU ET L’ENCLUME DES EMPLOYEURS
Il a été également noté que des milliers de Sénégalais qui travaillent dans les sociétés privées n’ont pas bénéficié de mesures d’accompagnement. Ces travailleurs sont entre le marteau du couvre-feu et l’enclume des employeurs. Ils empruntent tous les jours à pied les routes, quittant ainsi leur lieu de travail en ville pour rallier les banlieues dakaroises. Sans pitié, une bonne partie du patronat retient ses travailleurs jusqu’à 16 heures voire 17 heures, sans leur assurer le transport pour le retour. Et face à la limitation des passagers dans les bus et autres véhicules de transport, nombre d’entre eux risquent tous les jours de se retrouver dans la rue à 20 heures. En plus, il y a une flambée des prix du transport qui rend la vie plus compliquée à ces nombreux goorgoorlu (Ndlr : des gens qui peinent à joindre les deux bouts). Pour ce qui est des mesures d’hygiène dans les bus de transport, des chauffeurs du transport public comme privé se plaignent de ne pas être dotés de gants, de masques et des gels antiseptiques. Un chauffeur de Dakar Dem Dikk contacté par «L’As» renseigne qu’ils sont nombreux à ne pas en disposer parce qu’il n’y en a pas assez. Au même moment, si de nombreux Sénégalais, malgré toutes ces difficultés, tentent bon an mal an de respecter l’état d’urgence et le couvre-feu, dans certains quartiers de la banlieue dakaroise, c’est l’insouciance qui règne au vu et au su des autorités déconcentrées. Les gens semblent faire fi des mesures d’état d’urgence, se rassemblant dans les plages et autres espaces de jeu. Au lieu de rester chez elles, les populations, notamment les jeunes, semblent ne pas avoir une claire conscience du danger et passent pratiquement tout leur temps dans les plages, les rues, jouant au foot dans les étroites rues ou buvant du thé ou du café dans les grand-places. Comme si le virus ne circulait que le jour. Et face à cette situation, aucune mesure n’est prise. Les autorités oublient qu’avec l’état d’urgence, ils peuvent réduire certaines formes de rassemblements et de déplacements inutiles.
PIC DE CAS DECLARES DURANT LA PREMIERE SEMAINE DE L’ETAT D’URGENCE
Et tout cela pousse à se poser la question de savoir s’il ne faudrait pas déclarer un confinement total, surtout que la maladie compte tous les jours de nouveaux cas. Alors qu’une application stricte de l’état d’urgence tel que décrété par le chef de l’Etat aurait pu régler l’affaire. Surtout qu’un confinement total pourrait créer un drame social vu qu’une grande partie de l’économie sénégalaise est informelle.
En effet, la majeure partie des ménages vit de la débrouillardise. Ils sont tenus par des personnes qui se lèvent chaque matin pour chercher la dépense quotidienne. Autre fait qui a retenu notre attention, c’est que la courbe est ascendante depuis que l’état d’urgence est déclaré avec les plus grands pics de cas déclarés depuis l’arrivée du coronavirus au Sénégal. Le 24 mars 2020, on en était à 86 cas déclarés positifs dont 8 guéris et 78 sous traitement. Hier, 31 mars 2020, on en était à 175 cas confirmés dont 40 guéris et 135 sous traitement.