PAPE DEMBA SY, NEUF FOIS CANDIDAT À L’ÉMIGRATION CLANDESTINE
En 15 ans, Pape Demba Sy a tenté, à neuf reprises, de rejoindre l’Espagne par pirogue. En vain. Malgré ses échecs, il n’en démord pas et « est prêt à repartir dès demain »

Depuis son siège sur les travées de la salle de conférence du Centre international de Conférences Abdou Diouf de Diamniadio, Pape Demba Sy attire les attentions. Il est agité. La main constamment levée, il s’égosille. « Je veux prendre la parole », crie-t-il à plusieurs reprises pour transmettre son message au Chef de l’État, Macky Sall, en marge du Conseil présidentiel sur l’emploi des jeunes organisé le 22 avril dernier. S’il a insisté ce jour-là, c’était pour crier son mal vivre dans une activité de pêche qui ne « nourrit plus son homme ». Quelques mois après, il reste constant dans sa position. « Les ressources halieutiques se font de plus en plus rares, les acteurs souffrent », dit Pape Demba habillé en débardeur blanc et debout à côté d’une pirogue sur la plage de Cayar. Tout souriant, il distribue des gestes de sympathie à ses voisins. « Bravo capitaine », lui répond un homme de grande taille. Par ce titre, il fait allusion à ses nombreuses tentatives de rejoindre l’Espagne via les embarcations de fortune. « J’ai tenté de rejoindre l’Europe à neuf reprises », informe-t-il serein, admirant des enfants qui jouent au football. C’est à l’âge de 16 ans qu’il osé braver la mer pour la première fois. Dix jours de souffrance avant d’accoster aux Îles Canaries. « Nous jubilions d’avoir mis les pieds aux Îles Canaries après 10 jours de souffrance. Nous y sommes restés 40 jours avant d’être rapatriés. C’était en 2006 », dit-il, le visage triste.
Débordant d’ambition de rejoindre l’Espagne, il ne capitula pas. Trois mois après cette malheureuse expérience, il embarque, à nouveau, dans une pirogue. « En atterrissant à Dakar, je pensais déjà à mon prochain voyage. Nous avons été interceptés au Maroc, puis rapatriés », se rappelle-t-il. Six mois après, il décide de repartir malgré les alertes de la famille. Cette fois-ci, ses camarades et lui sont interpellés à Yarakh. Ses tentatives de 2013, 2014, 2016 et 2017 se sont également soldées par des échecs à Ngaparou. Déterminé à fouler le sol espagnol, Pape Demba Sy s’engage, à nouveau, dans la voie de l’émigration clandestine en 2018. « Nous avons dû rebrousser chemin pour échapper aux limiers mauritaniens », dit-il.
« Je suis prêt à repartir dès demain »
Entre la mer et Pape Demba Sy, c’est une vieille, voire une éternelle histoire. Non pas parce qu’il est né pêcheur, mais parce qu’il ne compte pas renoncer à l’émigration clandestine. « Je suis prêt à repartir dès demain », dit-il d’un air sérieux. Pour lui, seule l’émigration peut lui permettre de réaliser ses rêves. « En embarquant, je ne paie pas puisque mes talents de nageur sont sollicités. Donc, partir est facile pour moi », lâche-t-il. Parmi ses motivations, Pape Demba Sy cite un vieux rêve de rejoindre l’Europe. « Des amis d’enfance y sont et ont réalisé plusieurs projets alors qu’on avait tenté l’aventure ensemble », explique-t-il. L’autre motif, indique-t-il, est la rareté des ressources halieutiques. « Je ne connais que deux activités : la lutte et la pêche. Cette dernière ne nourrit plus son homme, car avant les années 2000, la campagne d’une journée rapportait entre 300 000 et 500 000 FCfa. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons même pas avoir 30 000 FCfa », lance-t-il, comme pour justifier son choix dangereux. « Même autour du thé, on peut arrêter la date du départ. Ce n’est pas très compliqué chez nous. Je n’hésiterai pas à tourner le dos à mes deux enfants et à ma femme. La réussite en vaut la peine », assure Pape Demba. Même à 31 ans et après neuf échecs, le colosse fait de « Barça ou Barsakh » une obsession.