PROBLEMES AUTOUR DE LA GESTION DES RESSOURCES NATURELLES EN MILIEU TRANSFRONTALIER
Dr Idrissa Cissé prône l’implication des communautés

« Les patrouilles mixtes ne peuvent pas être en elles-mêmes des éléments de gestion communautaire, car celles-ci ne sont pas organisées par les communautés locales, mais en interaction avec elles ».
Cette affirmation est du docteur Idrissa Cissé, spécialiste environnement et risque et chercheur associé au laboratoire architecture, ville urbanisme et environnement de l’université de Paris Nanterre. Dans un entretien qu’il a nous accordé, l’expert est revenu largement sur les problèmes qui gangrènent la gestion des ressources naturelles en milieu transfrontalier par les patrouilles mixtes.
Dans le cadre d’une convention locale de gestion durable des ressources naturelles transfrontalières entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, un système de gestion et d’exploitation participative des ressources a été mis en place. Il est appelé, en fonction de sa composition et de sa mise en œuvre, « patrouille mixte ». Cette convention locale pose la problématique d’une gestion globale des ressources naturelles prenant en compte à la fois les aspects pratiques et organisationnels. Elle représente, selon Idrissa Cissé, Docteur en géographie, spécialité environnement et risque, Chercheur associé au laboratoire architecture et ville urbanisme et environnement de l’université de Paris Nanterre et au laboratoire géomatique et environnement de l’Université Assane Seck de Ziguinchor, une stratégie pour rendre effective la gestion des ressources naturelles, une compétence transférée dans le cadre de la décentralisation dans les trois pays.
Toutefois, cette pratique est confrontée à plusieurs difficultés d’ordre organisationnel, économique. Ce qui a amené le Docteur Cissé à dire : « les patrouilles ne peuvent pas être en elles-mêmes des éléments de gestion communautaire, car celles-ci ne sont pas organisées par les communautés locales, mais en interaction avec elles». Au Sénégal, dans le processus de décentralisation entamé depuis les indépendances, le volet des ressources naturelles a été un enjeu majeur non seulement dans les prises de décision sur les circonscriptions administratives mais aussi sur les choix de regroupement ou de séparation de populations.
Ainsi, en contexte transfrontalier, il a avancé : « cette décentralisation se heurte à des réalités socioéconomiques qui imposent une autre forme de gestion prenant en compte les limites des Etats modernes ». Prenant comme exemple, la région orientale de Bakel, ce chercheur a renseigné : « la gestion des ressources naturelles implique désormais les pays voisins dans le cadre de convention afin de gérer au mieux des ressources transnationales ». Dans les espaces frontaliers au Sénégal, Dr Cissé a estimé que l’Etat n’est présent qu’à travers des structures de contrôle que sont la police, la gendarmerie, les douanes et les services techniques qui sont insuffisants en effectifs et ont peu de moyens. Un constat qu’il a relevé dans ses travaux de recherches du côté de la Mauritanie et du Mali.
GESTION DES RESSOURCES NATURELLES
Le développement des Etats sont très souvent centrées sur les métropoles. D’après Dr Cissé, les espaces périphériques, particulièrement les zones frontalières font rarement l’objet de plan d’aménagement ou de développement. Une situation combinée aux dysfonctionnements qui, freinent sans nul doute la promotion des relations de coopération donc le développement des régions frontalières. Les facteurs handicapants, selon le Dr CIssé, sont institutionnels, administratifs, sociaux et économiques.
Face à cette situation, « le Sénégal et le Mali ont sollicité et obtenu du Ministère Fédérale Allemand des Affaires Etrangères à travers la GIZ (Agence allemande de coopération internationale), un appui technique et financier pour organiser une série d’ateliers dans le domaine de la gestion des ressources naturelles et de l’accès aux services sociaux de base ».
RESULTATS DE L’ETUDE
Malgré leurs multiples liens historiques, ethnico-linguistiques, culturels ou même religieux, la Mauritanie et le Sénégal entretiennent des relations tendues autour de leur frontière le long du fleuve Sénégal depuis avril 1989. Dans ce contexte, Dr Cissé a avancé : « le fleuve Sénégal n’a acquis son statut frontalier qu’avec la colonisation. Son bassin a toujours été une région d’une importance capitale pour les divers peuples présents de part et d’autre, un centre plutôt qu’une périphérie ». Et de poursuivre : « après les indépendances, malgré l’existence de liens très étroits entre les deux rives, la réalité frontalière entre le Sénégal et la Mauritanie s’accentue sur les bords du fleuve avec des conflits entre agriculteurs et éleveurs, le 9 avril 1989 à Diawara, village sénégalais situé à une vingtaine de kilomètres de la ville de Bakel. Ce fut le début de confrontation entre les deux peuples» Revenant sur la composition de ses patrouilles mixtes, l’expert a renseigné : « dans sa mise en pratique, les patrouilles mixtes sont composées de l’armée (militaires), des services des Eaux et forêts, des services des douanes et de la police et dans leur mise en œuvre et leur déroulement les patrouilles mixtes sont essentiellement basées sur des balades en brousse et des rencontres avec les populations ».
IMPORTANCE DE CET INSTRUMENT
Selon le docteur Cissé, le diagnostic, entamé dès les premières patrouilles avec l’introduction des services des Eaux et forêts, a démontré que la zone jadis très boisée a connu une forte dégradation depuis la sécheresse de 1974 et cela a donné naissance à une steppe caractérisée par la présence d’épineux espacés et un tapis herbacé clairsemé au nord, tandis que la partie sud garde une végétation dense par endroits. Un constat qui lui fera dire : « le gibier est devenu rare voire inexistant dans certaines localités, et la grande faune a totalement disparu à cause de l’inexistence d’aires boisées et de points d’eau permanents. »
En outre, il a attesté : « il apparaît que la texture du sol a complètement changé. La terre fertile a disparu au profit de zones érodées peu propices à l’agriculture dans la quasi-totalité des communes et communautés rurales concernées par les interventions ». Toutefois, notre expert d’ajouter : «toutes les mares naturelles ne gardent plus l’eau plus de six mois à cause de l’ensablement, ce phénomène est visible aussi sur le lit de la Falémé. L’activité de cueillette se limite à l’exploitation de certaines espèces comme le baobab, le jujubier, le karité, les balanites. Au même moment, les populations locales regrettent de ne plus avoir la possibilité de cueillir certaines espèces qui existaient il y a à peine une cinquantaine d’années ».
A ce constat s’ajoute, pour Dr Cissé, la dégradation de l’environnement due à l’exploitation minière qui au-delà de la déforestation et de l’existence de tranchées qu’elle favorise, provoque des risques de contamination par les produits toxiques utilisés par les orpailleurs traditionnels et les sociétés minières. L’exploitation minière a généré une situation d’insécurité dans la zone, d’où la nécessité de la présence militaire dans les patrouilles. Les difficultés rencontrées sur le terrain sont sources d’enjeux invisibles et de tensions palpables sur les ressources naturelles.