UNE POTENTIALITE PEU EXPLOITEE
Diplomatie religieuse

L’enseignant-chercheur et Directeur de Timbuktu Institute, Dr Bakary Sambe a présenté hier son ouvrage titré : «Contestations islamisées : le Sénégal entre diplomatie d’influence et Islam politique.» L’auteur aborde principalement trois questions dans le livre parmi lesquelles la diplomatie religieuse qu’il considère comme une ressource pas suffisamment exploitée.
Dr Bakary Sambe a accordé une grande partie de son livre à la diplomatie religieuse. Face à la presse, hier, l’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis a soutenu que la diplomatie a beaucoup évolué ces derniers temps avec ses logiques d’influence qui se sont substituées aux logiques de puissance. De ce fait, il pense qu’aujourd’hui le Sénégal devrait saisir l’opportunité que lui offrent toutes ses ressources symboliques en termes de diplomatie religieuse pour mieux affirmer son rôle dans le monde comme le Maroc ou d’autres pays. «Je crois que le Sénégal, face à ce monde en crise, a un modèle religieux à vendre dans le marché des biens symboliques où il y a une circulation des offres et des demandes en termes de spiritualité et de religion. On gagnerait à préserver le modèle religieux sénégalais qui peut regorger des recettes et des solutions face aux crises multidimensionnelles qui secouent des pays de la région et des pays du moyen orient», a-til soutenu. Ainsi, Dr Sambe demande à ce que nos gouvernants réfléchissent bien certaines prises de position pour notre diplomatie en s’ouvrant de plus en plus au monde universitaire pour éviter de commettre certaines erreurs. Pour preuve, il rappelle la position récente du Sénégal sur la crise au Yémen en décidant du jour au lendemain d’envoyer des soldats avant de se rétracter. Autre exemple, c’est la prise de position du Sénégal sur le différend entre le Qatar et l’Arabie Saoudite.
En effet, le Sénégal s’était rangé du côté de l’Arabie Saoudite en suivant Riyad dans sa décision de rompre brusquement ses relations diplomatiques avec le Qatar. Riyad accusait à vrai dire Doha de soutenir des groupes extrémistes et de se rapprocher de l’Iran son principal rival régional. Même si le Sénégal s’est par la suite rétracté, Dr Bakary Sambe pense que le Sénégal doit faire attention dans ses prises de position de sorte que la guerre de ces puissances là ne se traduit pas en une forte instrumentalisation des factions de nos sociétés et nous diviser. L’enseignant-chercheur indique qu’à l’heure actuelle, notre pays a plus besoin de cohésion que de ligne de fracture. Selon le Directeur de Timbuktu Institute, le Sénégal doit s’inspirer du Maroc qui fait de la Tariqa Tijane une arme diplomatique. «Le Maroc l’a utilisé pour revenir à l’Union africaine et pour être présent dans des pays comme le Nigéria. Et pourtant, le Sénégal vit la Tijania plus que le royaume chérifien. Ensuite, le Sénégal ne devrait pas être devancé par le Maroc au Nigéria si l’on sait les rapports entre les Nigérians et Baye Niasse», a-t-il expliqué.
A l’en croire, au lieu de s’arc-bouter sur une diplomatie de carrière et institutionnelle, le Sénégal gagnerait à utiliser ses ressources religieuses comme le faisait Serigne Mourtalla Mbacké à l’époque en Europe et aux Etats-Unis ; comme le faisait Mame Abdou Aziz Dabakh au Maroc avec tout le succès qu’il a eu dans ce pays ; également comme tous ces érudits sénégalais très respectés dans la Ligue islamique mondiale. « Dans nos positions diplomatiques, il faut aussi qu’il y ait des logiques d’intérêt. Le Maroc est mieux placé que le Sénégal en Arabie-Saoudite alors que le Sénégal est un allié de Riyad et qu’il a organisé deux fois le sommet de l’OCI. En plus, c’est le seul pays qui peut discuter avec tous les pays musulmans dans le monde. Le fait d’être devancé par le Maroc démontre qu’on n’utilise pas suffisamment nos potentialités», s’est-il désolé.
BAKARY SAMBE : «IL NE FAUT PAS LAISSER TOUTE UNE PARTIE DE L’ELITE FORMEE EN ARABE ENTRER DANS UNE FORME DE FRUSTRATION»
Il appelle de ce fait à un décloisonnement entre le monde de la décision et le monde de la recherche. «Nous n’avons plus le droit de laisser la recherche qu’on produit sur le plan académique seulement dans les bibliothèques. Cette recherche doit être opérationnalisée. Elle doit guider, orienter voire inspirer les politiques publiques comme le font les grandes puissances qui forment des groupes de réflexions, qui sollicitent et consultent les spécialistes dans tous les domaines indépendamment de leurs orientations politiques, de leur accord ou désaccord avec le gouvernement en place. Ce qui est important, c’est que le savoir puisse être opérationnalisé au service du développement économique et social de notre pays», a déclaré l’enseignant-chercheur. A ajouter que deux autres thèmes sont traités dans le livre : l’évolution du champ politique sénégalais en rapport avec le religieux et la valorisation de l’apport et de la contribution des arabisants à la construction de notre pays. Non sans s’incliner devant la mémoire de Sidy Lamine Niasse qu’il estime être l’exemple typique d’arabisant. Parce que, dit-il, il a su montrer que n’étant pas issu de l’école occidentale qu’il pouvait jouer parfaitement sa partition pour l’intérêt du Sénégal. «Il ne faut pas laisser toute une partie de l’élite formée en arabe entrer dans une forme de frustration», a-t-il conclu.