VIDEOERNEST COLE DE RETOUR D'ENTRE LES MORTS
Il avait 26 ans quand son livre photo sur l'apartheid l'a condamné à l'exil à vie. Mort oublié en 1990 à New York, ce photographe sud-africien ressuscite 27 ans plus tard grâce à ses archives miraculeusement retrouvées dans un coffre-fort suédois

(SenePlus) - Un coffre-fort oublié en Suède, des milliers de négatifs retrouvés par hasard, et voilà qu'Ernest Cole, le photographe sud-africain qui avait immortalisé la brutalité de l'apartheid, refait surface 27 ans après sa mort. Le réalisateur Raoul Peck lui consacre un documentaire saisissant qui révèle l'ampleur du travail de cet artiste en exil, mort dans l'anonymat à Manhattan en 1990.
Ernest Cole n'avait que 26 ans quand son livre photo "House of Bondage" l'a condamné à l'exil en 1967. Publié cette année-là, l'ouvrage rassemblait ses clichés en noir et blanc dénonçant le système d'apartheid. Comme le rappelle le New York Times dans sa critique du documentaire, cette publication "garantissait alors le bannissement du jeune homme de sa patrie".
Le photographe sud-africain avait "tourné son regard vers ses compatriotes noirs vivant avec les outrages quotidiens et les éclats de violence d'un système qui contrôlait leurs mouvements mais pas leur sens", selon la critique de Lisa Kennedy publiée dans le quotidien américain.
Cole avait quitté l'Afrique du Sud en 1966 pour ne jamais y revenir. Il est mort en 1990 à Manhattan, à l'âge de 49 ans, après avoir vécu 24 années d'exil. Sa disparition était passée largement inaperçue, ses archives semblant perdues à jamais.
C'est en 2017 qu'un trésor photographique refait surface de manière inattendue. "Un trésor du travail de Cole fut découvert dans un coffre-fort en Suède", relate le New York Times. Cette trouvaille contenait notamment les images en noir et blanc qui avaient fait le succès de "House of Bondage".
Ces archives révèlent l'étendue du travail d'Ernest Cole au-delà de l'Afrique du Sud. Le photographe avait aussi saisi "la vie de rue à Harlem et la vie rurale lors d'un voyage routier vers le Sud dans les années 1960 et 1970", selon le journal américain.
Raoul Peck, déjà auteur du remarqué "I Am Not Your Negro" sur James Baldwin, s'empare de cette redécouverte pour créer "Ernest Cole: Lost and Found". Le réalisateur haïtien "fait usage d'observations perspicaces extraites des écrits de Cole et navigue avec fluidité entre les images fixes (compatissantes envers leurs sujets, condamnant les oppresseurs)", analyse Lisa Kennedy.
Le documentaire mélange les mots du photographe avec les réflexions du cinéaste, à l'image de son précédent film sur Baldwin. L'acteur LaKeith Stanfield prête sa voix aux écrits de Cole, notamment cette phrase révélatrice : "L'homme total ne vit pas une seule expérience."
Pour le New York Times, ce documentaire de 1h45 "réussit le tour de force de laisser les spectateurs satisfaits tout en leur donnant envie d'en savoir plus". Peck livre selon la critique "une biographie indispensable, mais aussi un hommage personnel : la réponse d'un artiste politiquement conscient à l'appel d'un autre".
Le film révèle les "triomphes créatifs et les épreuves" de Cole, qui fut "pendant un temps, sans domicile fixe". Cette reconnaissance tardive permet de redécouvrir un photographe qui avait su capter avec une rare intensité les contradictions de son époque, de l'apartheid sud-africain aux tensions raciales américaines.
Trente-quatre ans après sa mort, Ernest Cole retrouve enfin la place qui lui revient dans l'histoire de la photographie documentaire, grâce à ces archives miraculeusement préservées et au regard sensible de Raoul Peck.