«JE FAIS DE LA MUSIQUE EQUITABLE…»
Avec calme et courtoisie, le fils du Colonel Fallou Wade, Alioune WADE, ARTISTE, a répondu à nos questions avec une bonne dose de lucidité.

Surnommé Marcus en référence à son idole, le fabuleux bassiste de Miles Davis, Alioune Wade a fait du chemin. De ses débuts à dix -huit ans avec Ismaël Lo en passant par ses piges au sein des Touré Kunda ou à côté des monstres sacrés comme : Joe Zawinul, Salif Keita et Marcus Muller, il a beaucoup évolué. Avec calme et courtoisie, le fils du Colonel Fallou Wade a répondu à nos questions avec une bonne dose de lucidité.
Alioune, comment peut-on vous définir actuellement ?
Artiste ! Je pense que c’est une notion plus élargie. Parce que quand on dit seulement bassiste, cela crée des barrières. C’est aussi pareil pour le terme musicien qui crée toujours ces mêmes barrières. Alors que quand on dit artiste, cela nous donne plus de liberté de toucher à tout ce que l’on veut. C’est comme quand je dis aussi que je ne suis pas jazzman. Je suis juste un musicien. Je ne fais pas du jazz. En fait, je fais de la musique équitable. Tout cela pour dire que je ne suis pas jazzman, rocker ou quelque chose d’autre. Le fait de dire que je suis juste musicien nous permet d’éviter toutes ces barrières. Du coup, c’est ce qui me permet de pouvoir jouer du baroque, de la musique de Bach ou Mozart, du Miles Davis, Stravinsky ou du Ndiaga Mbaye. En réalité, je ne me fixe jamais de barrières dans la musique.
Quand vous dites musique équitable cela renvoie à quoi exactement ?
En parlant de musique équitable, j’évoque surtout mon vécu. C’est mon parcours qui me l’impose en réalité. C’est parce que j’ai côtoyé beaucoup de musiciens et j’ai énormément appris à leurs côtés. Je commence cette liste par mon père qui a eu une formation classique car il a fait le Conservatoire de Paris dans les années soixante - dix. Ensuite, j’ai eu la chance et le luxe d’être derrière Ismaël Lo comme bassiste pendant dix ans. J’ai également travaillé avec d’autres grands musiciens à l’instar des Touré Kunda, Zawinul, Oumou Sangharé, Salif Keita, Paco Sery, des Brésiliens ou Cubains comme Harold Lopez ou encore Marcus Muller. C’est pour cela que je vous ai dit tantôt que c’est mon parcours et mon vécu qui m’imposent cette musique équitable. Du coup, j’ai pris des petits bouts de chaque artiste et c’est un vrai luxe pour moi. Franchement, c’est une bénédiction et c’est ce qui me permet de ne pas m’enfermer dans le Ndiouck, la musique classique, le Reggae ou le Jazz. D’ailleurs je pose la question à savoir si le jazz existe. Parce qu’il n’y a pas un accord qui définit le jazz. C’est le rythme et les harmonies qui étaient là depuis avec les Mozart, Jean Sébastian Bach et tous les autres. Je pense que le jazz c’est plutôt un état d’esprit. C’est une vision qui n’est pas définie par un accord, mais une façon de faire, un comportement. C’est quelque chose que l’on se partage entre l’Européen, l’Africain et l’Américain. Certes les racines viennent d’Afrique, l’arbre est né aux Etats Unis mais les fleurs viennent d’Europe. Je pense que c’est l’une des choses la plus positive qui a été créée par l’humanité sur la période des deux derniers siècles. Je veux dire que cela vient de l’esclavage puis de la colonisation et voilà le résultat.
Vous avez cité les personnes que vous avez approchées au niveau musical. Votre père, Ismaël Lo Oumou Sangharé et tous les autres. Concrètement qu’est-ce que toutes ces personnes vous ont apporté musicalement aujourd’hui ?
Ce sont les idées que j’ai au niveau des compositions. Il m’arrive de chanter une mélodie de Oumou Sangharé et rapidement, cela me donne une autre sonorité. Et il en va de même pour une chanson de Salif Keita et des autres. Déjà, le fait d’avoir eu une sagesse musicale très tôt m’a aussi servi. Parce que quand on joue avec Ismaël Lo à l’âge de dix -huit ans, ce n’est pas toujours évident. En effet, on vient avec beaucoup de fougue et on veut démontrer que l’on peut faire de belles choses et que l’on est aussi fort et musclé. Mais lui, il avait déjà quarante ans et il était assez expérimenté. De ce fait, il y a des choses que je ne pouvais pas faire ou bien qu’il ne me laissait pas faire. Et c’est par la suite que j’ai appris à accompagner un chanteur. Avec Salif Keita, j’ai appris autre chose car j’ai eu à faire des séances de studio avec lui. Il en est de même avec Paco Sery. Lui, il a un autre style de jouer de la batterie. Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai appris beaucoup de choses avec tous ces gens - là. Tout cela se reflète dans ma musique maintenant
Et votre père, peut- on parler de filiation musicale?
Il y en a forcément car c’est tellement naturel. En réalité, j’étais submergé de musique quand j’étais jeune. Lui, il occupait le salon avec sa musique classique. Mes sœurs adoraient Vanessa Paradis, Elsa ou Patrick Bruel. Mes oncles, eux, penchaient pour Miles, Peter Tosh ou Bob Marley. Quant à ma mère, il était plus question de musique malienne ou sénégalaise avec Kiné Lam et Dial Mbaye. Ainsi, j’avais tout cela comme sons à ingurgiter continuellement. J’ai commencé par le solfège parce qu’il me l’avait un peu imposé. C’est par la suite que j’ai choisi l’instrument avec la basse quand j’avais onze ou douze ans. Mais entre les années quatre -vingt et quatre- vingt – six, j’avais commencé par jouer un peu de piano et à étudier le solfège.
Et il ne vous a jamais attiré vers son univers musical ?
Non ! En réalité, c’est un homme très libéral. Il mettait sa musique, écoutait et prenait des notes pour affiner ses partitions. Mais on avait vraiment la liberté de choisir notre orientation musicale. Parce qu’il y avait tout cela comme musiques dans la maison. Il ne pouvait pas nous imposer son univers. En fait, c’est la rue qui m’a imposé ce choix musical. C’est une vraie chance qu’au Sénégal il y ait de la musique partout. A l’époque, il y avait de la musique zaïroise, du Reggae avec Bob Marley, du Youssou Ndour, du Oumar Pène etc. Cela nous a procuré une richesse musicale inestimable...
Aujourd’hui est- ce qu’il a un regard sur le travail que vous abattez ?
C’est un perfectionniste qui n’est pas expansif. Je sais qu’il apprécie et aime ce que je fais, mais il ne me dit jamais j’aime ou je n’aime pas. Cependant, je sais qu’il écoute avec d’autres oreilles car c’est un musicien chevronné. Il m’a souvent critiqué quand je faisais du solfège ou quand je jouais des choses qui n’étaient pas bonnes à ses oreilles. Je sais qu’il écoute de loin tout en étant attentif à tout ce que je fais et je pense que c’est très normal. Mais maintenant, je suis beaucoup plus dedans que lui car on n’a pas la même formation. Lui, c’était plutôt l’Armée et il était beaucoup plus cartésien. Moi, je suis un civil comme ils le disent. Et du coup, il y a des limites.
Vous vivez à Paris. Qu’est-ce qui explique ce choix ?
Pour des choses que je suis en train de faire en ce moment. Être entouré de journalistes de mon pays qui s’intéressent à mon travail. Tout cela prouve que j’ai appris beaucoup de choses en Europe et je continue cet apprentissage. Cela m’a procuré beaucoup de choses que je ne pourrai citer. Je veux dire beaucoup d’expériences, beaucoup de belles choses etc. D’autant plus que ce n’était pas du tout facile au début. Parce que l’on part avec le rêve d’être connu. Mais après, on a la réalité en face et on se dit que je veux être reconnu par mes pairs et les musiciens. Mais en fréquentant les clubs de jazz, on se rend compte que le niveau est très élevé. Cela vous pousse à apprendre un peu plus et à écouter beaucoup plus de musiques. Je pense que c’est pour tout cela que je suis revenu aujourd’hui avec des musiciens en provenance d’horizons divers. Ils viennent d’un peu partout. De Cuba, le trompettiste est de la Croatie, le batteur est Camerounais etc. C’est Paris qui crée tout cela. Cette belle convergence n’existe nulle part ailleurs. Peut-être un peu à New York et encore….
Cela veut- il dire qu’au Sénégal les conditions de travail ne sont pas réunies pour que l’on puisse réussir de la sorte?
Je ne pourrai m’aventurer à le dire. Mais en tout cas, on commence le travail ici. Après, on se déplace avec ses connaissances un peu partout à travers le monde. C’est le travail entamé ici, en tant que débutant, qui nous permet d’être beaucoup plus aguerris. Je continue à suivre tout ce qui se passe dans la musique sénégalaise. Mais il faut admettre que déjà, géographiquement, ce n’est pas pareil. Paris est à deux heures de Vienne ou de Berlin ou New York six heures après. Et cette possibilité, on ne peut pas l’avoir ici. J’avais aussi besoin de sortir et de voyager. Je suis basé à Paris mais je ne reste jamais deux semaines à la maison sans voyager. Je bouge tout le temps et je pense que c’est beaucoup plus facile de le faire à Paris qu’à Dakar ou New York.
C’est l’environnement ou une question de moyens ?
Il y a tout cet ensemble ! Cela touche aux moyens et à l’environnement. Le fait d’habiter à Paris m’a permis d’avoir des relatons avec des Marocains, des Algériens, des Cubains, des Anglais, des Brésiliens etc. Au niveau du développement, ce n’est pas du tout pareil. Et tous ces peuples-là vivent aussi sur place car ils ont aussi été colonisés par la France. C’est pour cela que je dis souvent que même pour faire la meilleure musique africaine, il faut aller le faire à Paris. Parce que les meilleurs musiciens africains y vivent.
Pouvez-vous nous parler de votre album « African Fast Food », le troisième ou le quatrième déjà car il y a trop de confusion sur le nombre de vos albums. Comment l’avez-vous réalisé ?
Effectivement ! Avant « African Fast Foofd », j’ai fait l’album « Havana- Paris -Dakar » avec un ami pianiste cubain, Harold Lopez. J’ai également enregistré « Ayo Néné » qui n’est jamais sorti officiellement car je peinais à trouver un label pour le sortir. Il n’est disponible qu’aux Antilles, en Europe de l’Est et au Japon. J’ai également fait l’album « Mbollo » qui est enregistré en 2003 et sorti en 2006. Cela me fait donc quatre albums, si on compte l’album « HavanaParis- Dakar », sorti en collaboration avec Harold Lopez. Le but de cet album était de reprendre des classiques africains des années soixante et soixante-dix joués par des Cubains. J’avais fait des reprises de Ayé Africa Indépendance Chacha de Seydou, de Salif Keita. « Petit pays » de Cesaria Evora etc. African Fast Food est le dernier.
Quelle est la particularité de cet album par rapport aux autres
Sans doute c’est la maturité ! Entre temps, j’ai eu à rencontrer beaucoup de grands musiciens comme Matar Samba, le trompettiste Malgache, le pianiste sorti de Berkeley. C’était une somme de belles expériences. J’ai pris des musiciens d’un peu partout mais avec beaucoup plus d’expérience. C’était très naturel dans le studio et chacun avait le droit de donner son avis pour la construction de cet album. Ce qui fait que cet album est différent de tous les autres conçus avant comme « Havana –Paris- Dakar » ou encore « Ayo Néné » et « Mbolo »
Dans cet album vous avez chanté « Malidé ». Est -ce parce que vous avez eu à travailler avec des artistes maliens ?
Certainement ! Car j’ai eu à travailler avec Oumou Sangharé, Fatoumata Diawara, Salif Keita, Cheikh Tidiane Seck, Kassé Madi, Mamdi Keita et tant d’autres. J’utilise beaucoup des mélodies mandingues pour ne pas dire malien car le Mali est venu bien après. Avant, on parlait de l’empire du Mali avec le Sénégal, la Guinée, la Gambie etc. Dès que je commence à composer, je ne me fixe pas de limites. Je joue une mélodie et à partir de là, cela devient une chanson.
Certains vous surnommaient Marcus et vous avez eu l’honneur de jouer à ses côtés et de chanter sur son dernier album. Comment s’est faite la rencontre et qu’avez-vous appris à ses côtés ?
Je crois que l’on s’était vu en Pologne au cours d’un grand événement qui a beaucoup contribué au rayonnement de mes six ou cinq dernières années dans la musique. C’est là où j’ai aussi rencontré Esperanza, mais aussi mon claviste. Il y avait One Shorter, Herbie Hancock et Marcus qui était venu jouer avec l’orchestre philarmonique. Je suis allé direct dans sa loge et je l’ai vu et lui ai expliqué ma démarche. Puis, il m’a dit qu’il préparait un album. C’était en 2014 et il y avait l’épidémie d’Ebola en Afrique. Il voulait faire un album sur le continent de ses ancêtres. Mais comme les Américains sont un peu frileux, il m’a dit qu’il allait le faire à Paris. Je lui ai dit que Paris est la meilleure place où on peut faire de la musique africaine. Il m’a chargé alors de lui faire le casting et de lui trouver les musiciens. Je lui ai filé ma carte. A l’époque, mon adresse mail était wademarcus et il m’a demandé pourquoi Marcus. Je lui ai alors tout expliqué et il était très ému. Et depuis, on a gardé le contact et on se parle souvent.
En tant qu’expert quel regard jetez- vous sur l’évolution de la musique sénégalaise ?
Je dois dire qu’il y a beaucoup de belles choses….
Non, là vous faites dans la diplomatie. Que pensez vous réellement de notre musique ?
Vous savez, partout, il y a du bon et du moins bon. Dans les années cinquante, le Bee Bop n’était pas accepté. Car avant, il y avait le Jazz, le Boggie etc. Même la musique Disco n’était pas acceptée au début et cela a toujours été ainsi. David Guetta n’est pas accepté partout, mais il y a toujours des millions de gens qui l’aiment. C’est pourquoi j’ai toujours du mal à critiquer une musique juste pour respecter les gens qui aiment et arrivent à écouter cette musique en question. Bien sûr, il y a beaucoup de choses à revoir. Mais tout n’est pas mauvais dans le Mbalakh. Je pense qu’il faut plutôt dire les musiques sénégalaises parce qu’il y en a plein. Pourtant la musique sénégalaise qui est beaucoup plus wolof est venue bien après. C’est après avoir longtemps tâté de la musique cubaine qu’ils ont intégré le sabar, la salsa et la rumba. Après ils ont créé le Mbalakh avec le Super Etoile et autres en remplaçant les congas par des sabars pour en faire cette musique populaire qu’est le Mbalakh. Mais on a d’autres pépites musicales au Sénégal Oriental, en Casamance etc. La musique Manjack est très belle et très variée. En revanche, c’est aux musiciens de vulgariser cette belle diversité musicale encore méconnue et qui n’est pas du tout écoutée. Les radios doivent aussi faire un effort pour mettre toutes ses musiques laissées en rade. Il y a de très bons chanteurs Mbalakh et percussionnistes que j’aime beaucoup. Après, il faut une direction beaucoup plus clean pour que ce soit plus accessible pour le Japonais ou l’Américain. C’est une musique très complexe. J’ai beaucoup joué avec Mbaye Dièye Faye entre 2001 et 2002 sur l’album Songma .Et très honnêtement, j’ai beaucoup appris au sein du Sing Sing Rythmes aux côtés de Mbaye Dièye et de ses frères.