L'ÉDITION AFRICAINE BOUDÉE PAR LE MONDE
Plus de 2000 langues locales éclipsées par le français, l'anglais et le portugais : l'édition africaine peine à refléter sa richesse linguistique. Une étude de l'Unesco dresse le bilan contrasté du secteur

(SenePlus) - Un rapport de l'Unesco publié mercredi 18 juin révèle le paradoxe persistant de l'édition africaine : alors que le continent concentre 18% de la population mondiale, il ne génère que 5,4% du chiffre d'affaires mondial de l'édition, soit seulement 7 milliards de dollars, selon Le Monde. Cette sous-représentation illustre les défis structurels auxquels fait face un secteur pourtant porté par une démographie dynamique.
L'édition scolaire domine largement le paysage africain, représentant près de 70% du marché continental. Portée par "une démographie jeune en forte croissance", cette dernière représente "la plus grande opportunité", s'appuyant sur des marchés déjà existants au Nigeria, en Afrique du Sud, au Kenya, au Ghana et au Cameroun, soulignent les auteurs du rapport cités par Le Monde.
Le potentiel de ce segment reste considérable : il pourrait atteindre 13 milliards de dollars "si chaque élève disposait d'un manuel physique par matière", estiment les experts. Cette projection révèle l'ampleur des besoins éducatifs non satisfaits sur le continent.
Malgré quelques signes encourageants, notamment l'apparition d'une "génération montante d'écrivains africains qui redessine les récits du continent" et la tenue de 270 festivals littéraires et salons du livre chaque année en Afrique, le secteur reste confronté à un "déséquilibre commercial majeur" qui "continue de limiter son développement".
Les chiffres du commerce extérieur du livre illustrent cette dépendance : en 2023, le continent a importé pour 597 millions de dollars de livres alors que ses exportations n'ont atteint que 81 millions, selon les données rapportées par Le Monde. Hormis l'Afrique du Sud, le Kenya, l'Égypte, le Ghana, la Côte d'Ivoire et le Sénégal, qui se placent comme chefs de file des exportations à l'intérieur du continent, la plupart des pays restent très dépendants des maisons d'édition françaises ou britanniques.
Cette dépendance se traduit par une marginalisation de la richesse linguistique africaine. Les 2000 langues locales et autochtones demeurent éclipsées par le français, l'anglais et le portugais dans la production éditoriale. Les auteurs pointent également les faiblesses des infrastructures d'impression locales, qui obligent bon nombre d'éditeurs à sous-traiter les impressions hors du continent, ce qui renchérit considérablement les coûts et réduit la compétitivité locale.
Le manque de structures institutionnelles aggrave la situation : seuls 38% des pays africains disposent d'un conseil ou d'un département ministériel spécifique chargé du secteur du livre. Les agences ISBN, qui permettent de tracer et commercialiser les ouvrages, n'existent que dans 54% des pays et seuls cinq d'entre eux (Algérie, Burkina Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire et Mauritanie) ont mis en place une loi portant sur l'industrie du livre, "au-delà de la réglementation sur le dépôt légal et les droits d'auteur", précise l'étude citée par Le Monde.
L'accès limité aux livres, le faible taux d'alphabétisation et l'insuffisance criante de politiques de promotion de la lecture assombrissent le tableau. Les contraintes financières exacerbent les difficultés, et de nombreux éditeurs dépendent de subventions ponctuelles.
Les infrastructures de distribution révèlent l'ampleur du défi : les auteurs de l'étude ont comptabilisé environ 13 000 librairies en Afrique, mais le Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique, n'en compte qu'une pour 50 000 habitants. Les bibliothèques publiques sont encore plus rares : 8 000 sur tout le continent, dont un quart est situé en Afrique du Sud, selon les données rapportées par Le Monde.
Face à ces défis, certains pays développent des solutions innovantes. À Gaborone (Botswana), des taxes prélevées sur les téléphones portables, les CD, les DVD et les scanners ont permis de collecter 363 000 dollars, qui ont été redistribués aux auteurs et aux éditeurs locaux.
Plus prometteur encore, le développement du numérique ouvre de nouvelles perspectives. Les livres audio, numériques et les plateformes comme Snapplify en Afrique du Sud, NENA au Sénégal, Akoobooks au Ghana ou encore Librairies du Maroc proposent des catalogues étendus qui permettent de réduire les obstacles traditionnels de la distribution. C'est sans doute là que se situent les opportunités les plus fortes de croissance du secteur, suggère l'analyse de Le Monde.