L'AIDE DES PAYS RICHES OU L'ART DES DONS À MOITIÉ
Plus de la moitié d’un dollar d’aide aux pays en développement, accordée sous forme d’appel d’offres, est donnée aux entreprises des pays donateurs

Saint-Martin est célèbre en Allemagne. Chaque année, les enfants défilent à la nuit tombée dans les rues, le 11 novembre, pour célébrer ce saint de la chrétienté, un légionnaire romain qui avait partagé son manteau en deux pour le donner à un pauvre, transi de froid en plein hiver.
L'aide publique au développement c'est un peu le manteau de Saint-Martin, sauf que dans cette histoire, chacun s'attendrait à ce que le manteau soit donné en entier.
Or, selon les chiffres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), plus de la moitié de l'aide distribuée sous forme de contrats de biens et de services est accordée aux entreprises des pays donateurs.
Qu'est-ce qu'une aide accordée sous forme de contrats ?
L'aide publique au développement (1) passe dans environ un tiers des cas par des appels d'offres et la signature de contrats avec des entreprises, privées ou publiques : pour la construction d'un axe routier, l'assainissement d'un réseau d'eau potable ou la formation des fonctionnaires.
Et dans ce cas, les Etats donateurs, en favorisant leurs entreprises, donnent l'impression de reprendre d'une main ce qu'ils ont donné de l'autre.
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Une partie de cette aide est ce qu'on appelle "liée” : un Etat impose que la somme d'argent débloquée soit utilisée pour fournir des prestations délivrées par une entreprise qui a la nationalité du pays donateur.
En clair : un Etat consent à donner de l'argent à condition que cela profite à ses entreprises.
"L'aide liée peut avoir des conséquences désastreuses", expliquent Nerea Craviotto et Polly Meeks, les auteures d'un rapport sur ce sujet de l'ONG Eurodad. "Elle peut réduire le rapport entre l'argent investi et le résultat atteint, ceci en supprimant la possibilité d'acquérir des marchandises à meilleur prix ou en ayant une meilleure adaptation au contexte local."
L'OCDE estime que cette réduction de la concurrence augmente les coûts des services et marchandises délivrés de 15 à 30%.
Globalement, 22% de l'aide délivrée par le Comité d'aide au développement de l'OCDE est officiellement liée.
Pourquoi alors la moitié d'un dollar d'aide publique et non pas 22% ?
Parce que la réalité, comme souvent, est plus complexe. Il s'avère ainsi que l'aide considérée comme "non liée”, donc en théorie ouverte à la concurrence, atterrit tout de même dans les poches des entreprises des pays riches.
Prenons l'exemple de l'Australie : si ce pays n'exige officiellement aucune aide liée, dans les faits 95% des appels d'offres ouverts par l'aide au développement de ce pays sont remportées par... des entreprises australiennes.
Dans le cas de l'Allemagne, 14% de l'aide est officiellement liée et en fin de compte, 19% des contrats sont accordés à des entreprises allemandes, ce qui est relativement peu.
La liste des contrats accordés par le Comité d'aide au développement de l'OCDE montre ainsi qu'en 2018, 52% ont été remportés par les entreprises des pays donateurs.
On a donc bien la moitié d'un dollar d'aide accordée par les Etats donateurs à leurs propres entreprises.
Si on prend cette fois les contrats remportés par les entreprises des pays les plus pauvres, toujours en 2018, ce rapport chute... à 11%.