EN FRANCE, REPRISE DES CONTRÔLES AU FACIÈS
Derrière les contrôles anti-migrants des 18 et 19 juin dans les gares se cache une stratégie politique assumée. Jeune Afrique épingle Bruno Retailleau qui "surjoue l'ordre sans la morale" au mépris de la légalité et des principes d'égalité

(SenePlus) - Le ministre français de l'Intérieur Bruno Retailleau a orchestré une vaste opération de contrôles d'identité dans les gares françaises les 18 et 19 juin, déployant 4 000 policiers pour interpeller des "clandestins". Une initiative que dénonce fermement le journaliste Mathieu Olivier dans un éditorial de Jeune Afrique, qualifiant ces contrôles de "manifestement illégaux" et pointant du doigt leur caractère discriminatoire.
Dès le mardi 17 juin, des affiches d'alerte avaient fleuri aux abords de la gare du Nord à Paris : "Attention ! Risque de rafle de personnes sans papiers. Prenez les transports le moins possible", rapporte Mathieu Olivier. Le journaliste s'interroge avec ironie : "Car qui d'autre que des individus d'origine majoritairement maghrébine et subsaharienne auront été les cibles de la dernière initiative du ministre français de l'Intérieur ?"
L'utilisation du terme "rafle" par les observateurs n'est pas anodine. Selon Mathieu Olivier, ce mot "renvoie aux pires heures de l'histoire de la police française, à une époque pas si lointaine que certains voudraient réhabiliter". Le journaliste estime que ce vocabulaire n'est pas "galvaudé" au vu des méthodes employées.
La critique porte sur les critères de sélection lors de ces contrôles. "Un Blanc avait-il autant de chances qu'un Noir de se voir exiger la présentation de ses papiers ? Évidemment non", tranche l'éditorialiste de JA. Il dénonce ainsi "la rupture de l'égalité – en l'occurrence celle des 'chances' d'être contrôlé par la police" dans un pays où l'égalité figure pourtant "au fronton des mairies au côté de la liberté et de la fraternité".
Ces contrôles au faciès violent pourtant la législation française. Mathieu Olivier rappelle qu'un contrôle d'identité est considéré comme discriminatoire dès lors qu'il est "réalisé selon des critères liés à des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable", selon un arrêt de la Cour de cassation de 2016. Le Conseil constitutionnel a également précisé le 24 janvier 2017 que "la mise en œuvre des contrôles doit s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination".
Bruno Retailleau semble faire fi de ces garde-fous juridiques, lui qui "affirmait en 2024 que l'État de droit n'était 'ni intangible ni sacré'", selon le journaliste de Jeune Afrique. L'éditorialiste brosse le portrait d'un ministre "tout-puissant" qui "profite de la faiblesse du Premier ministre François Bayrou et des conséquences de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron en 2024".
Une stratégie politique assumée
Mathieu Olivier analyse cette opération comme une manœuvre électoraliste en vue de la présidentielle de 2027. Il présente Bruno Retailleau comme "l'ancien numéro deux du Puy-du-Fou – ce parc à thèmes développé avec Philippe de Villiers et dont les deux hommes ont fait un symbole d'une culture française blanche et chrétienne fantasmée" qui "surjoue l'ordre sans la morale".
Le ministre justifie son action par un objectif "dissuasif", dans un contexte où "les tentatives de départ [de migrants] vers le Royaume-Uni depuis les côtes françaises sont en forte progression depuis le début de l'année". Mais pour l'éditorialiste, cette rhétorique mélange tout : "Sans-papiers installés en France, réfugiés de guerre, migrants économiques… Tout se confond dans l'amalgame de cette croisade."
Cette stratégie n'est pas nouvelle dans le paysage politique français. Mathieu Olivier établit un parallèle avec Nicolas Sarkozy qui "fit de la fermeture du centre de Sangatte en 2000 un tremplin". Il accuse le "patron des Républicains" de vouloir "utiliser les réfugiés des côtes de la Manche et de la mer du Nord comme des marchepieds".
L'éditorialiste rappelle que ces réfugiés sont "à l'heure actuelle, en grande majorité syriens, afghans, ou iraniens" et que la France, "signataire de la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, a adhéré au principe de non refoulement, selon lequel un individu ne devrait pas être renvoyé dans un pays où sa vie ou sa liberté sont gravement menacées".
Mathieu Olivier dresse un bilan sévère de cette opération, qu'il qualifie de "dévastatrice". D'abord "individuellement, pour ces milliers de personnes contrôlées les 18 et 19 juin au nom d'un amalgame illégal et immoral entre leur couleur de peau, leur origine supposée et une présumée absence de papiers". Ensuite "collectivement pour un pays, la France, qui mériterait mieux qu'une classe politique faisant la promotion de la suspicion au détriment du vivre ensemble".
Que cette opération soit un "vaste coup de communication politique" ou une véritable politique migratoire, l'éditorialiste de Jeune Afrique y voit les prémices d'une campagne présidentielle qui "s'annonce des plus nauséabondes", sur le modèle de celle "d'Éric Zemmour en 2022".