PASTEF TEND LA MAIN À PARIS
Mission apaisement pour le parti au pouvoir. Sept parlementaires sénégalais ont séjourné cinq jours dans la capitale française pour expliquer leur vision de la "rupture" avec l'ancienne puissance coloniale et désamorcer les tensions

(SenePlus) - Une délégation parlementaire sénégalaise du parti au pouvoir s'est rendue du 16 au 20 juin dans la capitale française pour tenter d'apaiser les tensions avec l'ancienne puissance coloniale. Cette mission, la première du genre depuis 2013 selon Jeune Afrique, témoigne d'une volonté de dialogue malgré les ruptures prônées par le président Bassirou Diomaye Faye.
L'initiative de cette visite diplomatique revient au groupe d'amitié France-Sénégal, composé d'une quarantaine de députés français et dirigé par Aurélien Taché, député de La France insoumise (LFI), indique le magazine panafricain. Sur invitation des élus français, sept membres du groupe d'amitié Sénégal-France, nouvellement créé à l'Assemblée nationale sénégalaise, ont effectué ce déplacement parisien.
La délégation était menée par Abdoul Kadyr Sonko, président du groupe d'amitié et membre des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef). Elle comprenait également Amadou Ba, cinquième vice-président de l'Assemblée, Ayib Daffé, président du groupe parlementaire, et Fatou Diop Cissé, présidente de la commission des Affaires étrangères. Deux membres de l'opposition, dont le vice-président du groupe parlementaire Takku Wallu, Djimo Souaré, et Adama Diallo (non-inscrit), ont également participé au voyage.
Le programme de cinq jours s'est articulé autour de rencontres de haut niveau avec les institutions françaises. La mission a débuté le 17 juin par une rencontre avec les membres de la commission des Affaires étrangères du palais Bourbon, dirigée par Bruno Fuchs (MoDem), rapporte JA. Le lendemain, les parlementaires sénégalais ont échangé avec le ministre de la Francophonie et des Partenariats internationaux, Thali Mohamed Soilihi.
Le point culminant de la visite s'est déroulé le 19 juin à l'Élysée, où la délégation a été reçue par Jérémy Robert, conseiller Afrique du président Emmanuel Macron. Une séance de travail a par ailleurs été organisée avec Rémy Rioux, directeur de l'Agence française de développement (AFD).
À chacune de ces rencontres, les cadres du Pastef ont cherché à rassurer leurs interlocuteurs français. Le parti n'est pas une formation politique anti-France, comme ont pu le laisser entendre "différentes campagnes médiatiques", ont-ils assuré selon les informations de Jeune Afrique. Amadou Ba a ainsi précisé la doctrine du parti : "Nous avons une idéologie souverainiste, panafricaniste. Nous voulons certes une rupture profonde, audacieuse et ambitieuse avec la France. Mais pas une rupture brutale."
Cette clarification intervient dans un contexte tendu depuis l'arrivée au pouvoir du Pastef en avril 2024. Dès sa prise de fonction, le président Bassirou Diomaye Faye avait exigé la fermeture des bases militaires françaises et le départ des Éléments français au Sénégal (EFS) présents dans le pays depuis 1960. Début mars, la France a ainsi quitté plusieurs installations et logements des quartiers militaires Maréchal et Saint-Exupéry, et un licenciement de l'ensemble du personnel local employé sur les bases devrait être effectif au 1er juillet.
"Nous n'avons pas fait du démantèlement de ces bases un triomphalisme politique. Le gouvernement n'en parle pas, personne n'en parle", a souligné Amadou Ba, qui a également mis en avant le modèle démocratique de son pays, selon Jeune Afrique.
Des dossiers sensibles sur la table
Plusieurs sujets sources de tensions ont été abordés lors des discussions avec les officiels français. Les questions mémorielles occupent une place centrale, notamment l'accès facilité des chercheurs sénégalais aux archives françaises sur le massacre des tirailleurs de Thiaroye. Depuis plusieurs mois, une commission dirigée par l'historien Mamadou Diouf est chargée de faire la lumière sur les événements de décembre 1944, mais elle n'a pas encore rendu ses conclusions définitives en raison des difficultés d'accès aux sources documentaires françaises.
La mobilité des ressortissants sénégalais constitue également un point de friction majeur. Les parlementaires se sont inquiétés de la hausse vertigineuse des frais de scolarité pour les étudiants étrangers non européens depuis une réforme controversée mise en place en 2018, qui a fait passer les tarifs d'inscription à l'université de quelques centaines d'euros à plusieurs milliers d'euros par an. Les difficultés d'obtention de visas pour les étudiants sénégalais ont aussi été évoquées.
Les députés ont par ailleurs relayé les doléances de retraités franco-sénégalais rentrés à Dakar et contraints de pointer régulièrement en France pour continuer à percevoir leurs pensions.
Ces différents sujets devraient être discutés lors du prochain séminaire intergouvernemental entre les deux pays, prévu au mois de novembre 2025, probablement à Paris. Avant cette échéance, les deux commissions des Affaires étrangères ont convenu, en accord avec l'Élysée, de rédiger un mémorandum qui sera remis à leurs gouvernements.
En marge de leur mission, les députés sénégalais ont participé à un colloque sur la Francophonie organisé par Aurélien Taché, au cours duquel Jean-Luc Mélenchon a pris la parole. Cette rencontre a permis au leader de La France Insoumise, qui s'est rapproché du Pastef au fil des ans, de présenter un rapport d'information sur l'avenir de la Francophonie de 154 pages, remis le 25 juin au Parlement français et consulté par Jeune Afrique.
Ce document propose notamment la création d'une académie francophone des langues qui "fournirait un nouvel espace de dialogue actant la fin d'une certaine forme de centralisation parisienne d'un autre âge", ainsi qu'un programme Erasmus francophone pour répondre aux questions de mobilité étudiante.