BIEN QUE MACKY SALL AIT ORDONNÉ LE PAIEMENT DES DROITS ET INDEMNITÉS, LES CHOSES BLOQUENT TOUJOURS
Après 20 ans de liquidation d’Air Afrique, le Syndicat des ex-pilotes de ligne dénonce une tentative de torpillage et de chantage sur les 9 milliards CFA

Après 20 ans de liquidation de la défunte compagnie multinationale Air Afrique, le président Macky Sall avait ordonné le paiement des droits des 223 ex-travailleurs sénégalais restants. La plupart d’entre eux étaient des directeurs, des pilotes de ligne, des chefs d’escale et des chefs de département qui couraient derrière leurs droits et autres indemnités officiellement arrêtés à la somme de 09 milliards cfa. Des soldes de tout compte (Stc) qui tardent à être soldés de manière inexplicable. Ce qui pousse le syndicat des ex-pilotes de ligne à accuser le syndic de vouloir saboter voire torpiller le processus de paiement. Confronté à ces accusations par « Le Témoin », le syndic-liquidateur recadre les ayants-droit et rassure que la procédure financière suit son cours sur instruction du président de la République. Une chose est sûre : les ayants droit estiment avoir assez attendu car plus de 20 ans pour rentrer dans ses droits, avouez que c’est quand même plus que long !
Dès son accession à la magistrature suprême en 2012, le président Macky Sall avait manifesté sa volonté de régler définitivement le problème de la liquidation — qui n’en finissait pas de durer — de la défunte compagnie multinationale Air Afrique. C’est pourquoi, il avait ordonné le paiement total des droits et autres indemnités dues aux ex-travailleurs pour qu’on n’en parle plus ! Surtout qu’il ne restait que quelque 223 ex-travailleurs sénégalais à indemniser sur 826 prétendants au début de la liquidation. Les « petites catégories » ont en effet été payées intégralement depuis quelques années, les cadres, eux, ayant été priés de patienter. Hélas, les ayantsdroit qui croyaient voir apparaître le bout du tunnel ou de la piste à la suite des instructions fermes du président de la République, vont sans doute devoir ravaler leur enthousiasme. Car, la procédure de paiement semble être freinée par du « dilatoire » à tous les niveaux ! Las d’attendre, les ex-travailleurs non encore indemnisés sollicitent la bienveillance du chef de l’Etat afin qu’il arbitre et décante la situation. Faute de quoi, pilotes de ligne (actifs et retraités) ainsi que hôtesses et stewards n’excluent pas de porter leur mythique et sacré uniforme de l’air pour s’inviter devant les grilles du Palais. « Pourquoi pas le 1e Mai prochain qui est la Fête du Travail ? En tout cas, nous allons nous arranger pour remettre nos éternels cahiers de doléances au président de la République » confie le plus sérieusement du monde Moussa Dieng, ex-pilote de ligne à Air Afrique. Août 2002-Avril 2022, il y a vingt-ans (20), la compagnie panafricaine Air Afrique déposait son bilan ! Entretemps, les 4.000 exagents et cadres Béninois, Burkinabés, Congolais, Centrafricains, Maliens, Mauritaniens, Nigériens etc. ont tous perçu leurs droits. Et récemment, c’est-à-dire le 03 février 2022, l’Etat de Côte d’Ivoire, par le biais du syndic de la liquidation, a débloqué plusieurs milliards de francs pour désintéresser définitivement les travailleurs ivoiriens de la défunte compagnie Air Afrique. Ce qui fait donc qu’il ne reste qu’une partie des anciens employés sénégalais à courir toujours derrière leurs dus et indemnités arrêtés à la somme de 09 milliards de francs cfa. Un montant validé et signé par le Syndic de la liquidation, l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim), le Syndicat unique des travailleurs des transports aériens et activités annexes au Sénégal (Suttaaas) et le Syndicat des pilotes de ligne sénégalais (Spls). Contrairement à l’Etat ivoirien qui a puisé dans son budget pour payer ses citoyens, l’Etat du Sénégal, lui, n’est pas obligé d’effectuer des acrobaties budgétaires dès lors qu’un Fonds social (constitués de redevances aéroportuaires et taxes sur le handling) avait été créé au lendemain de la liquidation pour contribuer au désintéressement des travailleurs sénégalais de l’ex-compagnie Air Afrique. Dans un Etat de droit où la bonne gouvernance prévaut, ce Fonds aurait normalement dû faciliter le règlement de cette plus longue liquidation judiciaire de l’histoire mondiale de l’industrie du transport aérien qu’est celle d’Air Afrique. Tel n’a jamais été le cas. C’est le statu quo total ! Et pourtant, nous renseigne-t-on, le Fonds social crée par arrêté ministériel n° 1412 du 27 février 2007, donc sous l’ancien régime de Me Abdoulaye Wade, continue toujours à être alimenté à coups de milliards. D’ailleurs, la manne financière avait permis de créer, à l’époque, une nouvelle compagnie dénommée Air Sénégal International en partenariat avec le Maroc.
Un second « crash » financier !
Selon le pilote de ligne Bou El Moctar Doukouré, ancien commandant de bord à Air Afrique où il était le doyen des pilotes, rien que le Fonds social pouvait contribuer au règlement définitif des droits légaux de l’ensemble des ex- travailleurs sénégalais. « Car, chaque année, le Fonds social générait des bénéfices estimés des dizaines de milliards cfa. Malheureusement, l’argent s’est volatilisé entre les mains des autorités étatiques de l’ancien président Me Wade. Ensuite, les actuels dignitaires du régime du président Macky Sall ont pris le relais c’est-à-dire se sont invités au festin de la défunte multinationale Air Afrique. D’ailleurs, permettez-moi de remercier le président Macky Sall d’avoir manifesté une volonté inébranlable pour le règlement définitif de cette liquidation. Donc, l’actuel syndic-liquidateur a intérêt à accélérer la procédure de paiement de nos droits et indemnités estimés à près de 09 milliards cfa. Demain ou après demain, en tout cas un jour, tous les syndics vont rendre compte de leur gestion. Un audit de la liquidation et la reddition des comptes vont s’imposer ! Même si nous ne serons plus de ce bas monde, nos enfants et petits-enfants vont mobiliser tous les agents de renseignements, notaires, huissiers et inspecteurs généraux d’Etat (Ige) pour traquer tous ceux qui ont eu à piller le patrimoine d’Air Afrique ou s’enrichir sur le dos des pauvres ex-travailleurs. Avec l’appui de nos avocats conseils, notaires et consultants d’ici et d’ailleurs, nous avons pu rassembler toutes les preuves depuis le début de la liquidation en 2002 » explique, un brin énervé, le président du Syndicat des pilotes de ligne sénégalais (Spl) à propos de ce qu’il qualifie de « second crash » financier d’Air Afrique après celui du dépôt de bilan. En effet, dès l’annonce de la liquidation en août 2002, lors d’une conférence tenue à Brazzaville, se souvient l’ancien commandant de bord Bou El Moctar Doukouré, le Tribunal de commerce d’Abidjan avait désigné un liquidateur judiciaire étranger voire neutre ayant pour mission de recenser tous les logements de fonction (villas), les biens immobiliers, les titres fonciers, les avions, les pièces détachées, les hangars, les dettes, les créances et les fonds afin de faire l’inventaire en vue d’indemniser les 4.000 agents et cadres de l’ex-compagnie panafricaine. Au Sénégal, Air Afrique disposait d’un très riche et vaste patrimoine financier, matériel et foncier comportant deux avions Airbus A300 cloués au sol, un parc de matériels de piste pour l’Assistance en escale (Handling), des pièces de rechange Avions et Servitudes, divers équipements aéronautiques. « Sans oublier dix villas dans le quartier chic du Point E-Dakar, un immeuble à la Place de l’Indépendance (racheté par une banque), un Centre de formation aéronautique (Cefopad), un terrain de 9 hectares dans la zone aéroportuaire de Yoff, des liquidités bancaires, des réserves foncières etc. Regardez bien ces titres fonciers, ces transactions, ces copies de chèques, ces lettres confidentielles etc… Tous ces milliers de documents sont des biens d’Air Afrique pillés, partagés et blanchis… » s’exclame le commandant Doukouré en brandissant des documents d’archives relatifs à la liquidation d’Air Afrique.
Des promesses d’Etat jamais respectées !
Dans un document consensuel signé en 2012 entre l’Etat du Sénégal (Anacim), le Syndic liquidateur et les représentants du personnel, un solde de tout compte (Stc) d’une somme de 10.790.128.159 cfa est arrêté. Sur la base de ce document, près de 400 ex-employés ont été indemnisés sur un total de 631. En 2017, une commission de travail est créée par le Premier ministre d’alors, Mahammad Boun Abdallah Dionne, et comprenant des cadres et experts du ministère du Travail, de l’Anacim, du Syndic et des représentants des ex- travailleurs pour remettre à jour le document ou bon à payer. La même année, ce document financier a été réactualisé et signé d’accord parties sous l’égide du Premier ministre et du ministère du Travail pour un solde tout compte (Stc) restant de 9.217.672.698 cfa. Fort de ce bordereau de paiement, le Premier ministre avait donné rendez-vous le 11 avril 2017 à tous les acteurs pour dresser un calendrier en vue de l’indemnisation définitive des 223 cadres et agents en attente. Le même Premier ministre avait confié aux responsables du collectif que le président Macky Sall lui avait donné des instructions fermes pour procéder à la remise des chèques à tous les ex-travailleurs d’Air Afrique. Ce, en utilisant en priorité l’argent généré par le fonds social. Depuis lors, rien ! Toujours est-il que de report en report, de promesses en promesses, l’élection présidentielle de 2019 sans que le paiement ait eu lieu ! « En février 2021, après moult interventions, nous avons finalement rencontré Me Moussa Bocar Thiam, l’Agent judiciaire de l’Etat (Aje) officiellement désigné pour l’exécution du paiement. A notre grande surprise, Me Thiam nous a fait comprendre que seule une seule somme de 4,5 milliards cfa a été allouée pour le règlement définitif des ex-travailleurs c’est à dire la moitié du solde de tout compte validé par le Premier ministre de l’époque. Non content de cela, il nous fait savoir par un « chantage » sordide que, pour être indemnisé, il faudra que chaque ayantdroit signe une lettre de renoncement à toute poursuite contre l’Etat du Sénégal. C’est grave et inadmissible pour d’anciens travailleurs sénégalais à qui l’Etat doit de l’argent… » se désole Moussa Dieng, membre du Syndicat des pilotes de ligne.
Le syndic-liquidateur se défend et rassure…
Contacté par « Le Témoin» à propos de ce que les ex- travailleurs qualifient de « tentative de torpillage de la procédure de paiement », l’Agent judicaire de l’Etat (Aje), Me Bocar Thiam, s’est félicité tout d’abord de la volonté du président de la République de régler définitivement les indemnités des anciens travailleurs d’Air Afrique. « Pour les montants arrêtés, il faudra vous adresser au syndic de la liquidation. En ma qualité d’Agent judiciaire, je ne suis qu’un ordonnateur de dépenses voire de paiement dans cette affaire d’Air Afrique. Donc, c’est le Syndic qui me fixe le montant à payer… » a-t-il indiqué tout en nous orientant vers le Syndic Me Pape Moctar Ba. Justement le Syndic-liquidateur, lui aussi, tient à rappeler qu’il n’est qu’un mandataire chargé de régler l’actif et le passif de l’ex-compagnie Air Afrique toujours en liquidation. « Je pose des actes sous le contrôle de la Justice tout en n’exécutant que des décisions de justice » a-t-il déclaré d’emblée avant de regretter le fait que les ex-travailleurs ne lui facilitent pas la tache. « Car, leurs agissements ne font que freiner la procédure alors que la liquidation est presque bouclée. À la date d’aujourd’hui, 603 ex-travailleurs sénégalais sur 826 ont vu leur Solde tout compte (Stc) calculé par Abidjan et entièrement réglé par les syndics. Et l’autre partie réglée par l’Etat du Sénégal, via le Fonds social, sur financement Ahs/Shs, deux sociétés filiales d’Air Afrique avant sa liquidation. Pour les 223 ayants-droit restants, les Stc se montent à 04 milliards cfa 905 millions. C’est Abidjan qui m’a donné ce dû c’est-à-dire les 04 milliards cfa à payer. Et le reste c’est-à-dire les quelques 05 milliards cfa, ce sont des indemnités à négocier avec l’Etat. Il faut le préciser, ce sont des montants hors personnels sénégalais licenciés ou retraités avant la liquidation d’Air Afrique, donc non bénéficiaires des privilèges légaux » a tenu à éclairer le syndic Pape Moctar Ba. Pour tenter de rassurer les travailleurs non encore indemnisés d’Air Afrique, le liquidateur explique qu’à chaque acte posé, il s’adresse directement aux avocats pour éviter toute contestation. Sur certains points spécifiques revendiqués, il y a des sommes non reversées par l’ex-Air Afrique à la société qui gérait les retraites de ses employés : environ 1 milliard 700 millions de francs. Pape Moctar Ba demande que l’expersonnel étranger n’oublie pas non plus les compensations de leurs frais de déménagement et divers pour un montant de 826 millions cfa. Et aussi le fait qu’avant que la liquidation ne soit opérationnelle, l’Etat a financé les premières avances. « Et l’opération a duré 11 mois et confirmée par le directeur du Comité de Gestion des fonds concernés et un rapport d’audit du cabinet Mazars que nous a remis l’Anacim. Ces fonds ne sont pas décomptés dans les Stc de 53 personnes non réquisitionnées. Il y a aussi d’autres points à discuter avec l’Etat. Car l’ex-personnel sénégalais en poste à l’étranger considère qu’il ne doit pas y avoir deux poids et deux mesures et réclame une compensation (traitement dit égalitaire). Vous voyez, c’est une procédure très complexe qui suit son cours ! Bientôt, ils seront payés ! » a rassuré le Syndic. En tout cas, le dossier de liquidation de la compagnie panafricaine est un vrai scandale d’Etat provoqué par l’ancien régime de Me Abdoulaye Wade. Un dossier dont a hérité le président Macky Sall. Hélas, depuis ce placement sous liquidation judiciaire, il y a plus de 20 ans, les ex-travailleurs décèdent les uns après les autres. De vieillesse, de maladies et aussi et surtout de misère sociale. Ceux d’entre eux encore en vie craignent donc que leurs indemnités n’arrivent trop tard…