CRISE AVICOLE DANS LES NIAYES
Des localités emblématiques comme Niacoulrab, Niague et Tivaoune Peulh, jadis prospères, font aujourd’hui face à une série de défis qui menacent la survie même de la filière

Longtemps considérée comme le grenier avicole du Sénégal, la zone des Niayes traverse une crise profonde. Des localités emblématiques comme Niacoulrab, Niague et Tivaoune Peulh, jadis prospères, font aujourd’hui face à une série de défis qui menacent la survie même de la filière. Maladies à répétition, faiblesse de la formation, pression foncière et difficultés d’accès au crédit composent un cocktail dangereux pour ce secteur pourtant crucial pour la souveraineté alimentaire du pays
L’hivernage, avec son cortège d’humidité et de chaleur, favorise l’apparition de pathologies redoutables telles que Gumboro, la grippe aviaire ou encore Newcastle. Le vétérinaire Dr Papa Sylla met en garde : « Les mesures de biosécurité doivent être strictement appliquées pour éviter des pertes catastrophiques. » Une exigence trop souvent négligée sur le terrain, avec des conséquences dramatiques..
À Niacoulrab, plusieurs élevages ont été décimés en quelques jours. Lamine Diallo, ouvrier avicole, témoigne d’une situation alarmante : « Une bande de 1 500 poulets a été entièrement perdue à seulement deux semaines de la vente. » Des pertes qui ruinent les petits éleveurs, parfois après des investissements dépassant 1,5 million de francs CFA.
Pour le Dr Amadou Sylla de la clinique Vetomax, l’un des maillons faibles du système est l’absence de formation : « Beaucoup d’aviculteurs recourent à l’automédication, ce qui entraîne des résidus d’antibiotiques dans la viande et renforce l’antibiorésistance. » Une dérive aux effets sanitaires inquiétants pour les consommateurs. Selon Dr Papa Sylla, la filière est en expansion mais reste vulnérable. « Elle est freinée par la répétition des épizooties et l’usage anarchique de médicaments. La biosécurité et l’encadrement technique sont des priorités. » Il préconise des investissements dans des bâtiments modernes, accompagnés d’un suivi vétérinaire rigoureux.
Le constat est partagé par Serge N’Fally Sadio, président de la Fédération des Acteurs Avicoles (AFA). Il pointe un déficit criant de professionnalisation : « Les petits producteurs, qui assurent 80 % de la production, manquent de ressources et de savoir-faire pour une gestion optimale. » Résultat : des installations souvent inadaptées, des protocoles sanitaires insuffisants et une qualité de viande inégale. « Le consommateur n’est pas toujours protégé », concède le vétérinaire. Des alternatives émergent, comme les formations proposées par le Centre de Référence au Métier de l’Agriculture, mais leur portée reste encore trop limitée face aux besoins.
La situation est aggravée par la pression foncière autour de Dakar. L’urbanisation galopante pousse les exploitants à la périphérie, où les terres se font rares et les infrastructures, inexistantes. « Monter un poulailler devient un luxe », confie un éleveur de Tivaoune Peulh, contraint de reculer toujours plus loin pour exercer son activité.
L’autre frein majeur reste l’accès au financement. Khadi Keta, présidente du collège des femmes de l’AFA, explique que la dépendance aux intrants importés – œufs à couver, maïs, tourteaux – fait exploser les coûts de production. « Le kilo de poulet dépasse aujourd’hui 2 000 francs CFA, un prix prohibitif pour bon nombre de Sénégalais », déplore-t-elle. Pourtant, la durée d’élevage reste courte, autour de 35 jours pour un poids moyen de 2 à 2,5 kg par volaille.
Face à cette impasse, quelques solutions commencent à voir le jour. Des campagnes de sensibilisation sur la biosécurité et des accompagnements techniques visent à réduire les risques sanitaires. Des projets de production locale d’intrants, en particulier de reproducteurs, cherchent à limiter la dépendance extérieure. Côté financement, des outils comme le Fonds Stable ou la Banque Agricole proposent des garanties, encore trop timides selon les professionnels du secteur. Enfin, des appels sont lancés pour renforcer la formation à travers les ISEP et les universités.
Serge Sadio garde espoir : « En levant ces blocages, le Sénégal peut augmenter sa consommation annuelle de volaille, actuellement à 6,5 kg par habitant, très loin derrière le Maroc (18 kg) ou les États-Unis (50 kg). » La filière avicole des Niayes est à un tournant. Faute de soutien structurant en matière de santé animale, de formation et de financement, elle pourrait sombrer, avec des conséquences lourdes pour la sécurité alimentaire nationale. Comme le rappelle le Dr Sylla : « Offrir un poulet sain et abordable, c’est une affaire de choix collectif. »