ENTRE RETARDS, MANQUEMENTS ET ATTENTES D’UN DECRET
Le secteur privé sénégalais et l’exploitation du pétrole

A défaut d’être à la tête de compagnies pétrolières pour exploiter l’or noir, le secteur privé sénégalais est appelé à proposer un contenu local afin de bénéficier des retombées du pétrole à travers la fourniture de biens et services. Hier, lors d’un atelier sur le contenu local, des experts dans ce domaine et les acteurs du secteur privé ont soulevé les obstacles auxquels ils font face, contrairement aux compagnies internationales déjà sur le terrain.
Pour permettre au secteur privé national de bénéficier des retombées issues des ressources pétrolières et gazières, l’Etat du Sénégal a fait voter, à l’Assemblé nationale, une loi sur le contenu local. C’était en janvier dernier. Mais depuis lors, les acteurs du secteur sont dans l’attente du décret d’application. En attendant ce document, Mansour Kama et ses camarades de la Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal (Cnes) ainsi que des experts des hydrocarbures ont dévoilé les contours des activités qu’ils comptent explorer dès le début de l’exploitation de ces deux ressources naturelles. Hier, lors d’un atelier initié par la Cnes en partenariat avec l’Association Sénégalaise pour le Développement de l’Energie en Afrique (Asdea), le président de la Cnes a insisté sur l’importance du décret d’application, mais aussi la nécessité d’encadrer avec précision toutes les interventions des uns et des autres. «Le décret doit donner droit une part importante aux nationaux», affirme Mansour Kama, proposant, dans la même veine, l’ouverture d’une bourse des opportunités. «C’est à nous de travailler là-dessus pour que ces bourses d’opportunités puissent nous permettre de voir quels sont les secteurs qui pourraient nous intéresser. S’il n’y a pas de bourse, si on ne fait pas de recensement pour les métiers du pétrole et des opportunités qui peuvent s’offrir au secteur privé, la loi sur le contenu local ne servira à rien», prévient Mansour Kama, révélant, cependant, que les majors des différentes compagnies pétrolières n’attendent pas un décret d’application. «Elles ont déjà identifié leurs sociétés de sous-traitance», renseigne le patron de la Cnes qui considère que les acteurs du secteur privé ont perdu beaucoup de temps dans l’attente de la loi sur le contenu local. «Nous devons nous mettre rapidement à la tâche. Je pense que le Fast-Track doit s’appliquer dans ce domaine précis pour essayer d’aller très vite», dit-il.
En matière de pétrole et de gaz, renchérit Mor Talla Kane (directeur exécutif de la Cnes), les standards sont différents par rapport aux autres secteurs de l’économie. Ce qui s’explique, selon lui, par le fait que les ressources financières dans ce domaine sont élevées.
FORMATION, TRANSFERT DE TECHNOLOGIES ET FINANCEMENT
«Parfois, on brandit des standards internationaux qui sont souvent poussés vers l’extrême et qui ne sont pas faits pour préserver des intérêts des nationaux, mais pour les exclure. C’est ce qui s’est passé dans certains pays producteurs de pétrole où des entreprises nationales ont été exclues de la chaîne», révèle Mor Talla Kane. Pour éviter cette situation, il exhorte le secteur privé national à prendre des dispositions avant que les compagnies étrangères ne débutent l’exploitation du pétrole. «La solution se trouve dans la formation, le transfert de technologies et même l’accompagnement au plan financier à travers les Petites et Moyennes Entreprises (PME), ce qui permettra aux entreprises d’être performantes», dit-il avant d’ajouter : «C’est par cet accompagnement que les sociétés locales vont prétendre fournir les compagnies pétrolières en biens et services. Au-delà de la loi, il faudrait avoir de véritables politiques de promotion et des entreprises bien outillées pour satisfaire les besoins en biens et services des compagnies internationales». Mor Talla Kane s’attend aussi à ce que les organes de veille et de contrôle fassent leur travail en ayant un regard ferme pour plus de transparence et de sérénité dans la réalisation des objectifs du contenu local. M. Kane n’a pas manqué de prodiguer des conseils aux autorités étatiques pour éviter au Sénégal de connaître le syndrome hollandais. «Il ne faut pas que nous délaissions toutes les autres activités de notre économie pour nous concentrer sur les retombées du pétrole. D’autres secteurs comme l’industrie et l’agriculture doivent continuer à exister», affirme le sieur Kane.
De son côté, El Hadji Ibrahima Ndao, ancien directeur général de Senelec a regretté l’absence de représentants des compagnies devant exploiter le pétrole sénégalais à la rencontre. «Ils sont les interlocuteurs du secteur privé national, mais pas l’Etat. Les multinationales sont en train de faire des études d’ingénierie dans lesquelles nos étudiants pouvaient participer», indique El Hadji Ibrahima Ndao, invitant le secteur privé national à adopter la même démarche que les multinationales. «Si vous ne le faites pas, vous ne saurez rien de tout ce qui se passe dans le monde du pétrole. Ce sont des manquements qu’on observe déjà avant même le démarrage de l’exploitation», souligne M.Ndao, se désolant du fait qu’aucun Sénégalais ne travaille dans les 11 forages qui tournent aux larges du Sénégal. «On n’y trouve que des Sierra-Léonais, des Gabonais et des Congolais. Et personne ne dit rien», déplore-t-il.