LE MADE IN SÉNÉGAL CONQUIERT LES RAYONS
Win Industrie, Etpa, les marques Sunu : les entreprises sénégalaises redessinent le paysage commercial national. Auchan confirme cette tendance avec un approvisionnement local qui représente désormais la moitié de son activité dans le pays

(SenePlus) - Le 19 juin 2024, pour sa première sortie officielle en tant que première dame du Sénégal dans le cadre du Forum mondial pour la souveraineté et l'innovation vaccinales à Paris, Marie Khone Faye a marqué les esprits. "En robe du créateur Alguèye, sac Nene Yaya à la main, montre Mathydy au poignet et chaussures de la maison Goya aux pieds", elle arborait un look composé à 100% de créations sénégalaises, rapporte Jeune Afrique.
Cette démonstration vestimentaire s'inscrit parfaitement dans la ligne politique du parti au pouvoir, qui "a fait du souverainisme, notamment économique, son cheval de bataille". Le Premier ministre Ousmane Sonko avait d'ailleurs déjà donné le ton en posant avec la montre Mathydy pour des photos promotionnelles postées par les créateurs Idrissa Niane et Mathy Lo.
Si le symbole vestimentaire frappe, c'est surtout dans l'alimentation que la révolution du "made in Sénégal" prend forme concrètement. "Dans un pays où le pouvoir d'achat reste limité, avec un PIB par habitant de 1 811 dollars en 2025, selon les dernières données du FMI, c'est surtout avec l'alimentation que commence la consommation locale", note Jeune Afrique.
Laurent Leclerc, directeur Afrique d'Auchan, témoigne de cette évolution : "50 % du chiffre d'affaires de l'enseigne, dont 'quasi tous les produits frais [sont] traditionnels', est issu de l'approvisionnement local". Une proportion qui a doublé depuis 2016, selon la même source.
Julien Garcier, directeur général de Sagaci Research, analyse cette progression selon deux facteurs : "Il y a d'une part la hausse, timide mais réelle, du niveau de vie des consommateurs, qui leur donne accès à des nouveaux produits et fait que les modes de vie évoluent. Mais il y a, d'autre part, le développement d'un secteur de la grande distribution moderne qui est très demandeur de ce type d'approvisionnement".
Cette stratégie porte ses fruits pour plusieurs entreprises sénégalaises. Laurent Leclerc cite notamment la société Win Industrie, qui commercialise l'eau en bouteille O'royal : "Auchan a été la première enseigne à intégrer leur produit, qui est aujourd'hui numéro 3 sur le marché, après les deux poids lourds que sont Kirène et Eau casamançaise".
Le groupe Etpa, connu pour sa marque Sunu, illustre également cette dynamique. "Son chiffre d'affaires sur les produits Sunu chips, Sunu Bouye et Sunu infusion a bondi à 60 millions de francs CFA [91 500 euros] grâce à son référencement chez Auchan", précise le dirigeant d'Auchan.
Malgré ces avancées, le Sénégal reste confronté aux défis structurels de l'industrialisation africaine. Célestin Tawamba, patron des patrons camerounais, dresse un constat mitigé : "Si les stratégies made in se sont traduites par des politiques d'autosuffisance alimentaire qui ont permis d'augmenter les volumes de production sur certaines denrées, comme le sorgho au Ghana ou le riz au Nigeria, le bilan du volet transformation est bien maigre".
Le secteur avicole sénégalais illustre cette problématique. Si les mesures de protection ont permis de booster la production locale de +300% entre 2005 et 2019 selon la FAO, la fondation Farm observe que "la dépendance aux importations de viande de poulet est, de fait, devenue une dépendance aux intrants importés [notamment] de l'alimentation animale et des œufs à couver".
Face à ces enjeux, le gouvernement sénégalais explore de nouvelles pistes. "Le Maroc et le Cameroun, qui ont tous deux intégré cette préférence nationale dans la commande publique, ont-ils lancé des labels 'made in', qui permettent une identification nette des produits locaux, une piste que le Sénégal explore", révèle Jeune Afrique.
Cette initiative s'inscrit dans une démarche plus large de protection des filières locales, le Sénégal ayant déjà "gelé des importations d'oignons, de riz ou de pommes de terre lors de périodes de surproduction".