LES RISQUES D'UN ECO QUI NE SERAIT QUE L'AVATAR DU FCFA
Le 23 juin, les tweets du président nigérian ont enflammé la toile. Buhari a prévenu d'un risque de dislocation de la CEDEAO, en cas d'adoption unilatérale de l'eco par les pays membres de l'UEMOA. Des déclarations qui ont fait réagir Kako Nubukpo

Mardi 23 juin, les tweets du président nigérian ont enflammé la toile. Muhammadu Buhari a prévenu d'un risque de dislocation de la CEDEAO, en cas d'adoption unilatérale de l'eco par les pays membres de l'UEMOA. Des déclarations qui ont fait réagir Kako Nubukpo, doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l'Université de Lomé, qui appelle au débat et annonce la tenue prochaine des Etats généraux de l'eco...
Comment réagissez-vous au propos du président nigérian Muhammadu Buhari, qui a exprimé ses craintes à l'égard de l'eco dans une série de tweets ?
Kako Nubukpo : Le président Buhari a pointé le risque de dislocation de la CEDEAO [...]. J'ai applaudi quand les présidents Macron et Ouattara ont annoncé, le 21 décembre dernier, le changement de nom du franc CFA en eco. A cette époque, nous n'avions pas encore le projet de loi qui modifie le Traité de l'union monétaire ouest-africaine. Finalement, ce projet a été adopté par le gouvernement français fin mai et il est actuellement en discussion à l'Assemblée nationale française ainsi que dans les Assemblées nationales des pays membres de l'UMOA. A la lecture de ce projet de loi, on s'aperçoit que les changements sont limités au nom de la monnaie, à la fermeture du compte d'opération et au retrait des ressortissants français des instances de l'UMOA.
A la nuance près que, dans le même projet de loi, il est explicitement écrit, qu'en cas de crise, la France pourrait envoyer de nouveau ses ressortissants au Conseil de Politique monétaire de la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest - BCEAO - en qualité de garant financier de la zone... Par ailleurs, la flexibilité du taux de change tout comme le régime de ciblage de l'inflation sont deux éléments cruciaux qui ne sont pas réglés par ce nouveau traité, lequel présente l'eco comme un simple avatar du franc CFA, avec le maintien d'une parité fixe entre la future monnaie et l'euro. Pourtant, l'eco est une monnaie destinée à 15 Etats, il ne s'agit plus d'une monnaie du Trésor français avec l'UEMOA. Il faut donc clarifier les contours de cette monnaie de la CEDEAO, dont les principes ont été rappelés le 29 juin 2019 lors du Sommet des chefs d'Etat. L'eco est une monnaie flexible, attachée à un panier de devises, avec un régime de ciblage de l'inflation alors qu'aujourd'hui, on voudrait nous faire adopter une version différente selon laquelle l'eco serait toujours attaché exclusivement à l'Euro.
Les déclarations du président Buhari replacent au centre du débat, la difficulté d'une monnaie commune entre les pays de l'UMOA et le géant nigérian qui représente 71% du PIB CEDEAO et 52% de la population...
J'espère que les déclarations du président Buhari ouvriront un vrai débat au niveau des chefs d'Etat, des parlementaires, des chercheurs, de la société civile ouest-africaine et africaine dans son ensemble, concernant les modalités d'une mise en place optimale de cette monnaie [...] Il est également légitime qu'il y ait un débat entre économistes pour savoir si la CEDEAO peut devenir une zone monétaire optimale. Il existe 2 écoles. La première école, héritière du prix Nobel d'économie Robert Mundell, plutôt pessimiste, considère qu'une monnaie commune dans la zone CEDEAO n'est pas possible, car certains pays comme le Nigéria sont plutôt exportateurs de pétrole et les autres importateurs de pétrole. De fait, ils sont rarement dans la même phase du cycle économique, ce qui rend difficile l'efficacité de la politique monétaire.
La deuxième école qui est celle de l'endogénéité des critères d'optimalité, considère au contraire, que ce décalage permet de garantir la disponibilité permanente des réserves de change, car les cycles haussiers et baissiers se compensent [...] J'organiserai d'ici quelques semaines, les Etats généraux de l'Eco à l'Université de Lomé, dans l'objectif de fédérer un collectif de chercheurs qui proposera une feuille de route aux chefs d'Etat. Elle comprendra les modalités de transition du franc CFA à l'eco, assorti d'un calendrier et de dispositifs de suivi et évaluations des réformes [...]
Actuellement nous faisons face à un double test. Au niveau de la France, il s'agit de mesurer sa volonté de tourner la page de la Françafrique et d'établir les bases d'une véritable politique de coopération au développement. C'est ce que j'appelle « le test de sincérité ».
Au niveau des chefs d'Etat ouest-africains se présente le « test de crédibilité », quant à leurs capacités en matière d'action collective pour la mise en place d'une nouvelle monnaie, capable de financer nos économies et de supporter la compétitivité à l'export de nos biens et services.
Quel regard portez-vous sur l'opérationnalisation de la ZLECA, reportée pour cause de Covid-19 : s'agit-il d'un idéal encore lointain ?
Sur le principe, c'est une très bonne idée qui renvoie à une volonté de panafricanisme. Se posent néanmoins deux questions. Premièrement, le degré de solidarité auquel les Etats membres voudront bien consentir. Les pays n'ayant pas tous la même puissance économique, la zone de libre-échange ne pourra se réaliser avec succès, sans des transferts qui permettront aux régions les plus faibles de remonter leur niveau de compétitivité. Cela renvoie à la vision de l'intégration régionale que l'on veut traduire au sein de la ZLECA.