LA COALITION DIOMAYE À L’ÉPREUVE DU POUVOIR
EXCLUSIF SENEPLUS - La refondation de l’État, pilier du discours de rupture, progresse à un rythme trop lent. La séparation des pouvoirs, la réduction des pouvoirs de l’exécutif, l’indépendance de la justice exigent des actes plus vigoureux

Un an après son accession au pouvoir, portée par une mobilisation populaire sans précédent et un récit de rupture systémique, la coalition Diomaye fait face à un contraste grandissant entre les attentes nourries et les transformations concrètement engagées. Si des signaux de changement existent, la promesse d’une rupture profonde se heurte aux réalités sociales, institutionnelles, culturelles et économiques du Sénégal.
Une victoire fondée sur l’espoir d’un tournant historique
L’élection de la coalition Diomaye a cristallisé l’espoir d’une sortie définitive d’un système perçu comme prédateur, extraverti et incapable d’assurer un développement souverain. Le projet se voulait ambitieux : refonder les institutions, moraliser la vie publique, reconfigurer la relation entre l’État et les citoyens. Mais, plus d’un an après, le bilan reste contrasté.
Un quotidien toujours précaire
Sur le plan social, les mesures prises très tôt — telles que la baisse des prix des denrées de première nécessité — tardent à produire des effets tangibles. Pour de nombreux Sénégalais, le quotidien demeure marqué par la précarité, et les retombées concrètes de ces décisions restent limitées en termes d’amélioration du niveau de vie.
Réforme de l’État : entre ambition et lenteurs
La refondation de l’État, pilier du discours de rupture, progresse, mais à un rythme jugé trop lent par de nombreux observateurs. La phase de consultations citoyennes a certes permis de poser des bases solides, mais la traduction institutionnelle de ces aspirations se fait encore attendre. La séparation des pouvoirs, la réduction des pouvoirs de l’exécutif, l’indépendance de la justice sont autant d’objectifs annoncés qui exigent des actes plus vigoureux.
La loi sur la protection des lanceurs d’alerte, pourtant essentielle à la transparence, se fait toujours attendre. Des poursuites ont certes été engagées contre d’anciens responsables du système, mais la
corruption reste un mal enraciné, visible dans la vie quotidienne comme dans certaines pratiques administratives.
Un projet économique ambitieux, des attentes immenses
Le programme économique de la coalition repose sur une volonté de rupture avec les logiques passées : assainir l’environnement des affaires, réformer la fiscalité, maîtriser les dépenses publiques, et
mieux redistribuer les ressources. L’adoption d’un nouveau code minier, la renégociation des contrats, la suppression des fonds politiques, la rationalisation de l’action publique et l’ambition d’une souveraineté monétaire témoignent d’une orientation résolument souverainiste.
À cela s’ajoute un pari sur la transformation structurelle : digitalisation de l’administration, développement du capital humain, valorisation des ressources nationales.
Mais l’acuité des besoins sociaux, les inerties héritées de l’ancien régime et les contraintes budgétaires — combinées à une sous-estimation des résistances internes — freinent la mise en œuvre. Les retombées concrètes tardent à se traduire en créations d’emplois, en hausse des revenus ou en redistribution perceptible des richesses.
La force des symboles
Au-delà des politiques économiques, la rupture se joue aussi sur le terrain des imaginaires et des représentations symboliques. Certains signaux symboliques témoignent d’une volonté réelle de rupture. On observe un usage plus affirmé des langues nationales dans la communication gouvernementale, et un effort pour aligner le discours politique sur les réalités populaires.
Cette orientation n’est pas anodine. La communication — au sens large, incluant la langue, le style vestimentaire, la posture — constitue un levier central de toute transformation systémique. Le slogan « Jub, Jubal, Jubbanti » traduit l’ambition d’instaurer une nouvelle éthique publique.
Mais cette éthique devra se matérialiser dans les pratiques quotidiennes des agents de l’État. Il est aussi regrettable que l’élan populaire suscité par les premières « journées citoyennes de nettoyage » ait, comme sous l’ancien régime, rapidement perdu de sa vigueur après quelques éditions.
Une réforme linguistique prometteuse mais fragile
Dans le domaine éducatif, l’introduction progressive des langues nationales à l’école constitue une avancée majeure, répondant à des impératifs d’efficacité, de justice historique et de pragmatisme.
Cependant, de nombreux défis demeurent : formation des enseignants, production de supports adaptés, promotion de la création culturelle dans ces langues, et surtout, rôle des médias.
Ces derniers doivent respecter l’orthographe officielle ( tant dans les intitulés de leurs émissions que les spots publicitaires) et faire appel à des professionnels qualifiés, afin d’éviter une cacophonie
contre-productive à la crédibilité de cette politique linguistique.
Une inertie structurelle persistante
Malgré les discours de rupture, le système semble avoir en partie absorbé le changement sans être profondément transformé. Les logiques de pouvoir, les privilèges liés aux fonctions étatiques — comme en témoigne la récente polémique sur le renouvellement du parc automobile de l’Assemblée nationale — restent peu remis en question.
Les rapports entre détenteurs de capitaux — politiques, économiques, culturels, religieux, pour reprendre la grille de Bourdieu — demeurent largement inchangés. Les réformes engagées jusqu’ici relèvent davantage d’un réaménagement interne que d’une transformation systémique.
Entre vigilance critique et potentiel de redressement
La conscience de l’écart entre les ambitions initiales et la réalité actuelle devrait nourrir une irritation salutaire. Le capital de confiance dont bénéficie encore la coalition Diomaye ne saurait justifier des lenteurs injustifiées ou des renoncements dissimulés. Il doit au contraire devenir un levier pour une transformation plus hardie.
Sans céder au pessimisme, il faut rappeler qu’un changement de visages ne suffit pas. Le véritable danger n’est pas l’échec, mais l’absorption du changement par le système, selon la vieille recette : « plus ça change, plus c’est la même chose. »
La révolution démocratique souhaitée restera inachevée tant qu’elle n’impliquera pas une reconfiguration réelle des structures et des logiques qui perpétuent l’injustice, l’inefficacité et le désenchantement citoyen. Seule une volonté politique constante, articulée à une pression citoyenne vigilante, mais sans surrenchère, ni égoïsme corporatiste, pourrait conjurer ce risque et inscrire la rupture dans la durée.