SANS LE SECTEUR PRIVÉ, PAS D’EMPLOIS DURABLES
Khadim Bamba Diagne, enseignant chercheur en économie à l’UCAD, donne son point de vue sur le conseil présidentiel sur l’emploi de ce jeudi 22 avril

Le Dr Khadim Bamba Diagne, enseignant chercheur en économie à l’UCAD, donne son point de vue sur le conseil présidentiel sur l’emploi de ce jeudi 22 avril. Selon lui, pour régler le problème de l’emploi, il faut impliquer le secteur privé et « endogénéiser » les politiques publiques.
Le témoin : Le président de la République a décidé de débloquer, sur une durée de trois ans, 450 milliards pour trouver des réponses à la problématique de l’emploi. Mais ne risque-t-il pas de faire du surplace si ce sont le même système et les mêmes entités de financement qui sont maintenus pour résoudre cette problématique?
Khadim Bamba Diagne : Si c’était aussi simple, le président Léopold Sédar Senghor aurait réglé le problème de l’emploi des jeunes depuis 1967. Or, il a échoué. Le président Abdou n’a même pas tenté parce que, dès le premier jour de son mandat, il faisait face au Programme d’Ajustement Structurel (PAS). C’est-à-dire corriger les erreurs de gouvernance de son prédécesseur qui avait des dépenses largement supérieures à ses recettes. Les institutions de Bretton Woods ont décidé d’ajuster structurellement les dépenses jusqu’au niveau des recettes, les conséquences ont été terribles (départs volontaires, radiations, arrêt du recrutement dans la fonction publique…). Le président Abdoulaye Wade a tenté de régler le problème en mettant en place des structures pour l’emploi des jeunes sans résultat, sans évaluation et le président Macky Sall applique les mêmes politiques avec juste quelques changements. Alors qu’ici, il ne s’agit pas d’augmenter la vitesse du train mais plutôt de changer la direction des rails. Même politiques, mêmes résultats pour ne pas dire pas de création d’emplois.
Ne pensez-vous pas que la solution serait de revivifier le secteur secondaire et de renforcer le privé national affaibli par les multinationales et leur imposer un cahier de charges pour recruter en masse les jeunes demandeurs d’emplois ?
Le rôle de l’État n’est pas de créer des emplois. Pour exemple, sur 10 millions de personnes actives, il n’y a que 150 mille fonctionnaires soit 1,5 % de la population active. L’État ne peut même pas aller à 2% d’ici 2024. Ce qu’on attend de lui, c’est de revoir l’environnement des affaires qui commence à devenir hostile (la crise du 08 mars). Il nous faut reconquérir la paix et la stabilité politique, renforcer la démocratie et l’Etat de droit, trouver des consensus sur l’organisation des élections. C’est après qu’on va jouer sur l’énergie, qui doit être disponible à des coûts moindres, réduire la pression fiscale et augmenter l’assiette fiscale, investir sur la formation, faire du Sénégal un pays ou tout est possible en terme de création de richesses... Ces facteurs vont inciter les investisseurs à venir dans ce pays pour bénéficier d’un marché de 400 millions d’habitants (CEDEAO) et bientôt pour tous les Africains avec la ZLECAF.
Qu’attendez-vous du conseil présidentiel pour l’emploi des jeunes que tient le président de la République ce 22 avril ?
Pas grand-chose. Le Président adore les mots « Urgence » et « Rapidité », or l’État c’est une éternité et une continuité, chaque président fait son job et le successeur continue. Sans le secteur privé et l’endogénéisation des politiques publiques, personne ne peut créer d’emplois durables au Sénégal. Je le répète encore, on doit investir sur l’environnement des affaires et donner les marchés publics aux entreprises nationales. Si nos entreprises de BTP ont du mal à faire les ponts au Sénégal, ce marché est gagné par une société étrangère, comment avoir des références pour gagner les marchés de ponts dans la sous-région ? Presque tous les grands projets sont gagnés par des entreprises internationales sans transfert de technologie. Il nous faut une politique sérieuse de promotion du secteur privé local en vue d’une transformation structurelle de l’économie avec la mise en place d’une véritable chaine valeur.
Selon vous, où l’État pourrait-il puiser ces 450 milliards si l’on sait qu’il a presque atteint son niveau d’endettement selon les critères de convergence de l’UEMOA ?
En 2020, l’encours de la dette était estimé à 9176,3 milliards de FCFA et le PIB, qui a subi les conséquences de la COVID, va tourner autour de 13750 milliards de FCFA. Le taux d’endettement avait donc atteint presque 67 % du PIB alors que les critères de convergence de l’UEMOA fixent le ratio au maximum à 70 %. Donc l’État a décidé de faire une réallocation budgétaire au lieu d’emprunter le montant à utiliser pour l’emploi des jeunes en 2021. La question, c’est de savoir comment mobiliser les ressource nécessaires avec des ponctions dans des postes budgétaires sans les déstabiliser. Quels sont les projets à sacrifier pour mobiliser le montant nécessaire pour l’année en cours ? Les années 2022 et 2023 ne poseront pas problème, car les montants seront prévus dans les budgets.