LES ETUDIANTS DIVISÉS SUR LA SUPPRESSION DES AMICALES
La proposition de dissoudre les amicales et de fermer le campus social de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) n’est pas du goût des étudiants qui s’y opposent fermement

La proposition de dissoudre les amicales et de fermer le campus social de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) n’est pas du goût des étudiants qui s’y opposent fermement. Dans ce temple du savoir, le débat sur la place et le rôle de ces amicales se pose avec acuité. Les élections des directions des amicales constituent une pomme de discorde entre les étudiants et l’administration du COUD (Centre des œuvres universitaires de Dakar).
En ce lundi matin du mois d’avril, le campus social a son allure habituelle. Ses pensionnaires squattent les différents pavillons. Le point de presse que devaient tenir les amicales a été annulé. La récente sortie du Conseil restreint de l’Université, demandant la fermeture du campus social et la suspension des amicales, n’est pas pour plaire aux étudiants qui s’y opposent. Assis seul sur un banc, isolé de ses autres camarades, Ibnou Oumar Ba, vêtu d’une chemise grise et d’un pantalon noir, donne son avis. Selon lui, fermer le campus social, c’est « exposer les étudiants dans un dilemme dont ils ne seront pas en mesure de se sortir. Ce n’est pas une bonne idée. Penser que cela règlerait les problèmes liés à l’insécurité serait une chose absurde. Ce n’est pas en fermant le campus social que les problèmes seront réglés », explique l’étudiant en Master 1 en philosophie. Concernant le fait de vouloir mettre fin aux amicales, il affirme que c’est encore placer l’université dans l’incertitude. « Encore une fois, dissoudre les amicales ne va rien régler. Ça aura des conséquences plus désastreuses que le mal que l’on prétend régler. Aucun étudiant n’acceptera cela, il faut comprendre que les amicales représentent les étudiants. Qui dit étudiant, parlera forcement des amicales car ce sont elles qui sont censées nous représenter en cas de conflits avec l’administration du COUD, mais aussi hors de l’université » explique Ibnou Oumar Ba qui reconnait qu’il y a énormément de problèmes mais estime que ce n’est guère en en créant d’autres qu’on va résoudre ceux auxquels on veut s’attaquer. Le mal est profond, selon lui.
Seydou Niang, étudiant en master 2 en espagnol, rejoint son camarade, jugeant la recommandation du Conseil restreint de l’université absurde. « Il faut qu’ils se demandent où vont loger ces étudiants qui n’habitent pas Dakar » demande le jeune homme qui pense qu’il faut en amont mettre fin aux problèmes inclusifs qui se posent à l’université. Pour Seydou Niang, la solution doit d’abord consister à règlementer le campus social. « L’administration est censée savoir le nombre d’étudiants à l’université. Certes, nous sommes tous étudiants, mais il y a des cartouchards, des vendeurs et des personnes qui n’ont rien à voir avec les études parmi nous » fait-il savoir avant d’inviter les autorités compétentes à faire un recensement au niveau du campus. Pour Babacar Diop, novice dans le milieu universitaire, c’est la codification qui est la véritable source des conflits entre les amicales. De ce fait, le COUD doit la reprendre des mains des étudiants. « Les chambres devraient revenir à ceux qui excellent dans les études. Malheureusement, ce critère d’excellence n’est pas pris en compte par les amicales qui préfèrent donner les chambres à leurs amis qui sont souvent des cartouchards, s’ils ne les vendent parfois » indique M. Diop. Pour diriger les amicales, Assane Fall de la faculté des sciences propose de « promouvoir les camarades qui sont brillants ou bien qui ont connu un passage brillant dans leur premier cycle pour les diriger ». En un mot, cet étudiant invite les autorités à privilégier l’excellence.
« L’administration est complice de tout ce qui se passe ici »
Les étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar sont unanimes sur une chose à savoir que les violences survenues récemment dans l’espace universitaire n’ont rien à voir avec les amicales. En effet, selon plusieurs responsables et présidents d’amicales, les autorités du Coud savent de quoi et de qui il s’agit, mais refusent de prendre leurs responsabilités. Djibril Guèye, étudiant à la Faculté des sciences juridique et politiques, secrétaire général sortant de l’amicale des étudiants de ladite faculté, pense que « l’erreur commise par les autorités administratives, c’est le fait d’avoir confondu ces deux forces, Kekendo et Ndef Leng, à des mouvements syndicaux alors qu’ils n’ont aucun lien de causalité avec les amicales ». D’après cet étudiant, il est « inacceptable » que les autorités universitaires veuillent dissoudre des structures qui ont été autorisées par la Constitution. Car le fait de se syndicaliser à travers les amicales est un droit. Par ailleurs, il pense que les autorités compétentes doivent combattre ce genre de « mouvements qui visent à se réunir, former un bloc pour terroriser l’espace universitaire et ainsi attiser la violence. C’est ce genre de mouvements qui créent l’insécurité tant décriée. Ce qui est désolant, c’est que l’administration est au courant de ce phénomène qui est en train de perdurer et qui ne fait que dégrader l’environnement social du campus. Ce qui m’autorise à penser que les autorités administratives sont complices de ce qui se passe ici » confie Djibril Guèye. Il ne manque pas de soulever un point qui lui parait important. A l’en croire, l’administration doit revoir la manière par laquelle sont élus les représentants des amicales. A l’en croire, il faudrait tout réguler et faire en sorte qu’il y ait des critères pour qu’une personne puisse se présenter aux élections. En somme, il faut choisir l’excellence pour diriger. Le principal problème, c’est également le fait que les amicales bénéficient de pouvoirs exorbitants. « Elles sont superpuissantes et ce n’est pas normal », peste le jeune homme.
La suppression des amicales ? Une décision « inopportune »
Cependant, Yamar Cissé, étudiant en master 2 en sociologie, coordinateur de la liste « Espoir » et président de la coalition excellence de la faculté des lettres, soutient de son côté que la violence au sein de l’espace universitaire n’est pas une chose nouvelle. « Ça date depuis fort longtemps. Ce genre de situation se répète à l’université », insiste-t-il. Sur la suppression des amicales voulue par le Conseil restreint de l’Université, M. Cissé confie que c’est avec une grande surprise qu’ils ont accueilli cette décision « inopportune » à leurs yeux. « C’est une décision prise à la suite d’une affaire qui ne nous concerne pas. Ils se sont basés sur la mort d’un homme qui n’a rien à voir avec les amicales. Il fallait qu’ils réfléchissent avant de prendre une telle décision. Heureusement qu’ils n’ont pas été suivis par les autorités du Coud. Sinon qui allait porter la voix des étudiants ? Qui allait négocier pour nous devant les autorités et l’administration ? Si les étudiants veulent faire quelque chose, qui va être leur intermédiaire avec les autorités ? ». Autant de questions que se pose un des prétendants à la présidence de l’amicale des étudiants de la faculté des Lettres. Concernant le rôle que doit jouer une amicale, Yamar Cissé estime pour sa part que celle-ci est la voix des étudiants.
A l’en croire, l’amicale joue un rôle très important au sein de l’université, car tout passe par elle. A savoir : la pacification, le maintien de l’ordre, la paix et bien d’autres choses. Les étudiants respectent les amicales et se conforment toujours à leurs décisions, ajoute-t-il. Pour ce candidat, « l’idéal serait alors d’accélérer le processus électoral, d’appuyer les amicales en place pour qu’elles puissent négocier et discuter avec les étudiants afin qu’ils puissent respecter le règlement universitaire établi », indique Yamar Cissé. Il pense qu’il est temps pour les étudiants d’adopter un autre comportement, car les choses sont en train de se dégrader au niveau de l’espace universitaire. Pour Steven Dame Sène, président sortant de l’amicale de la Faculté des Lettre et Sciences humaines, une amicale doit défendre les étudiants quand il le faut, traduire leurs visions en actes pour que ses administrés puissent se sentir dans de très bonnes conditions. Cela dit, notre interlocuteur dit bannir la violence qui sévit dans le campus. Pour terminer, il invite l’administration à mettre en place le processus électoral afin que tout se passe dans la paix.