VIDEOL'UNIVERSITÉ EN ÉTAT D'URGENCE
83 milliards de francs de bourses par an, 1,2 million investis par étudiant, mais seulement 17% de diplômés : l'équation financière de l'université sénégalaise ne tient plus, selon le ministre de l'Enseignement supérieur Abdourahmane Diouf

(SenePlus) - Le ministre de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a organisé ce mardi 15 juillet un déjeuner de presse pour présenter les enjeux de l'ANTESRIE, l'agenda national de transformation du système universitaire sénégalais. Des révélations surprenantes sur les coûts et l'efficacité du système.
Le constat dressé par Abdourahmane Diouf est sans appel. Avec seulement 16,91% de taux de diplomation sur les trois premières années universitaires, le système sénégalais montre ses limites. "Sur 10 étudiants à la base, vous avez deux qui ont des diplômes", a souligné le ministre, pointant du doigt un problème de "rationalisation de l'investissement".
Plus préoccupant encore, le taux d'abandon précoce atteint 23,44%, signifiant qu'un étudiant sur quatre abandonne dès la première ou deuxième année, malgré les investissements consentis par l'État depuis l'école primaire.
Le ministère gère actuellement :
- 286 169 étudiants (un chiffre jugé insuffisant pour le développement)
- 2 495 enseignants-chercheurs (très en deçà des besoins)
- 9 universités publiques (avec deux nouvelles à Matam et Tambacounda)
- 298 établissements privés
- 6 000 vacataires contre seulement 2 500 enseignants titulaires
Pour la première fois, le ministère a calculé précisément le coût d'un étudiant : 1 178 742 FCFA par an. Cette étude révèle un déséquilibre majeur : l'État investit 636 000 FCFA par étudiant pour le volet social (bourses, restaurants, logement) contre seulement 542 000 FCFA pour le volet pédagogique.
"L'information c'est qu'on investit plus sur le social que sur le pédagogique", a fait observer le ministre, laissant aux futures concertations le soin de déterminer si cette répartition est optimale.
Le budget des bourses sous la loupe
Avec 83 à 85 milliards FCFA consacrés annuellement aux bourses (76 milliards pour les bourses nationales, 7 milliards pour l'étranger), le système atteint 70% de taux d'allocation. Cependant, le ministre a révélé qu'une "application rigoureuse du décret" existant permettrait de réduire ce budget de moitié, passant à "41-42 milliards".
Le baccalauréat 2025 affiche un taux de réussite de 42,85% avec 69 474 admis, soit près de 10 000 bacheliers de moins qu'en 2024 (78 000). "Dans un système qui fonctionne normalement, un étudiant moyen, il passe", a commenté le ministre, s'interrogeant sur la nécessité de réformer cet examen.
L'Agenda National de Transformation de l'Enseignement Supérieur (ANTESRI) s'articule autour de huit commissions thématiques :
- Curricula et recherche : intégration des langues nationales, savoirs endogènes, place de l'anglais
- Gouvernance universitaire : mobilité institutionnelle, carte universitaire, équité de genre
- Transformation numérique : rôle de l'université Cheikh Ahmadou Bamba (74 000 étudiants)
- Qualité et professionnalisation : filières orphelines, intelligence artificielle, nucléaire civil
- Professionnalisation : développement des ISEP, formation de "petites mains" qualifiées
- Économie universitaire : financement, partenariat public-privé, rationalisation budgétaire
- Publications scientifiques : amélioration du ranking international
- Sciences politiques et société : interactions université-milieu, décloisonnement
Un comité de pilotage de haut niveau
Le président de la République a nommé un comité de 15 membres dirigé par le professeur Boubacar Diop, incluant trois vice-présidents (tous d'anciens recteurs) et des représentants des ministères concernés. Ce comité pilotera les concertations qui démarrent officiellement jeudi 17 juillet au CICAD.
"Nous considérons que l'université du Sénégal ne ressemble pas encore au Sénégal", a déclaré le ministre, évoquant la nécessité de réduire les "résidus de colonialité" et de calibrer l'université pour "servir le Sénégal".
Les concertations nationales, troisièmes du genre depuis l'indépendance après celles de 1994 et 2013, viseront à redéfinir l'université sénégalaise "sur les 25 prochaines années" avec un horizon 2050.
Le ministre a insisté sur le fait qu'aucune réforme n'était encore décidée : "Je ne suis pas venu annoncer des réformes, je ne suis pas venu annoncer des mesures. Je vous donne des informations brutes." Les propositions émaneront des concertations et seront soumises au président de la République pour décision.