MAMADOU TALLA CLARIFIE TOUT
Exit la clameur autour du voile. Le ministre de l’Education nationale pense à l’avenir et à ses ambitions de rebâtir l’école de la République et d’en faire une école de la réussite.

Exit la clameur autour du voile. Le ministre de l’Education nationale pense à l’avenir et à ses ambitions de rebâtir l’école de la République et d’en faire une école de la réussite. A la veille de rentrée scolaire prévue à partir de demain, Mamadou Talla ouvre ses portes à « L’As ». Entre la crise du voile, les menaces des syndicats et les nouvelles créations à l’image des lycées d’intégration nationale pour l’équité (Lineq), l’ancien ministre de la Formation professionnelle clarifie tout dans cet entretien exclusif avec «L’As»
Nous sommes à quelques jours de l’ouverture des classes. Avez-vous espoir que le concept «Oubi tay jang tay» sera une réalité ?
Si la rentrée scolaire est prévue pour le 3 octobre pour les élèves et le 1er octobre pour les enseignants et le personnel administratif, le travail a commencé depuis très longtemps. Nous avons passé pratiquement tout le mois de septembre à travailler pour la rentrée à travers des séminaires et plusieurs autres rencontres par secteur. La rencontre la plus importante, c’est le séminaire de rentrée pendant quatre jours. C’était une innovation par rapport ce qu’on faisait jusque-là. Pour ce séminaire, les partenaires sociaux, la société civile, les enseignants et les inspecteurs ont accepté d’être autour d’une table pour la première fois. C’est une rupture. Parce qu’auparavant, c’était une rencontre de l’administration d’un côté et des partenaires sociaux de l’autre. J’ai dit non. Il faut accepter d’aller ensemble pour pouvoir régler les problèmes de l’école ensemble. C’était très difficile, mais nous l’avons réussi. Il y a eu d’autres séminaires qui ont permis d’affiner les décisions qui ont été prises. Cela nous a permis aussi d’anticipé sur la Semaine de la Propreté de l’Ecole. Donc, nous avons essayé partout de donner une touche nouvelle. J’ai eu une rencontre avec les inspecteurs et une autre avec les partenaires sociaux. Nous avons organisé plusieurs plénières. La deuxième innovation, c’est d’aller dans la zone sud du pays pour tenir les Comités Régionaux de Développement (Crd). Là aussi, les inspecteurs ont accepté de travailler avec tous les acteurs pour présenter un document qui nous a permis d’avoir une base de travail. Notre ambition, c’est de redonner à cette école publique la place qu’elle a toujours occupée en instaurant davantage ce qu’on appelle une école de la République, une école de la réussite où il y a l’inclusion. La nouveauté est que tous les acteurs soient associés à toutes les actions que nous menons.
Y a-t-il d’autres nouveautés ?
Je suis en train d’installer un nouveau projet. Pratiquement les 2/3 des élèves vont à l’école sans prendre le petit déjeuner. Il faut agir. J’ai un projet avec des partenaires. On va installer des machines dans les écoles élémentaires, surtout dans les régions, pour que, dès son arrivée à l’école, l’élève puisse avoir le petit déjeuner avec des machines qui font des pains, du lait moyennant par exemple 50 Fcfa. Ce sont des Repas universels solidaires écoles (Ruse).
On parle d’autres écoles d’excellence à l’image du lycée de Diourbel ?
Le président de la République a décidé conformément aux 11 directives que nous orientions les élèves vers des séries scientifiques. Il faut l’égalité des chances. Pour le moment, le Président Macky Sall a décidé la construction de grands lycées scientifiques dans trois régions. Il s’agit des régions de Kaffrine, Sédhiou et de Matam. Ce sont des Lycées d’Intégration Nationale pour l’Equité (Lineq) avec des internats. Les élèves sont identifiés depuis la classe de 6e et sont encadrés dans ces grands lycées à forte dose scientifique. Après ces trois lycées, on va construire certainement d’autres pour une couverture nationale. Ce sont de grands lycées qui favorisent l’équité. On y entre par voie de concours, comme le lycée Mariama Ba.
Etes-vous optimiste avec les menaces des syndicats ?
Nous travaillons avec les syndicats les plus représentatifs regroupés au sein du Groupe des sept (G7) plus le Syndicat des Inspectrices et Inspecteurs de l’Education Nationale du Sénégal (Siiens) qui était en grève depuis mai 2018. Maintenant s’agissant des préavis de grève, chaque année les préavis de grève sont déposés. Mais le fait qu’on ait démarré hier la grande rencontre avec les différents ministères et les acteurs sous la direction de Cheikh Kanté, nous a permis de faire le tour des accords de 2018. On est dans une bonne direction. Même s’il y a eu des préavis, je crois qu’on va aller dans le sens de l’apaisement.
Des syndicalistes vous demandent d’être plus concret.
Etre plus concret, d’abord c’est associer les syndicats à tout ce qu’on fait. Etre plus concret, c’est faire face quand un cas très difficile s’est posé à Bignona où trois agents sont sortis du système. C’est aussi résoudre des problèmes sans que les Sénégalais ne le sachent. Chaque jour, les syndicats m’interpellent et ensemble on trouve des solutions aux problèmes. Je pense que pour être concret, il faut oser affronter les problèmes et trouver des solutions. Il n’y a pas de solutions miracles. Je donne de la considération aux syndicats et ils sont associés à tout. Ce qui m’a permis, d’ailleurs, après avoir fait le point, de déterminer nos priorités. Elles sont au nombre de cinq. La première priorité, c’est l’apaisement du climat social. Quels que soient les investissements, si le climat social n’est pas apaisé, on ne peut rien faire. C’est pourquoi, il faut aider les enseignants pour qu’ils puissent exercer correctement leur travail. La deuxième priorité, c’est l’efficacité et l’efficience parce que l’Etat du Sénégal met beaucoup de moyens dans le système éducatif. Il faut que l’élève qui se trouve à Tambacounda sente les moyens injectés dans le système. Et il faut qu’on arrive à éliminer les redondances dans les offres de formations. Il faut arriver, après une phase pilote, à organiser et harmoniser tout ce qu’on fait. Par exemple, lecture pour tous est un excellent concept qui est dans six régions. Il ne faut pas avoir des écoles à plusieurs vitesses. La troisième priorité, c’est la généralisation de la formation des enseignants. Les administrateurs des écoles doivent être accompagnés. La quatrième priorité, c’est l’élargissement de l’accès à l’éducation de base. La dernière priorité, c’est l’éduction aux valeurs, notamment la citoyenneté, le patriotisme etc. Ces valeurs doivent être inculquées aux enfants à partir de l’école.
Certains expliquent la baisse du niveau par les grèves récurrentes. Comment comptez-vous y remédiez
Je crois que les syndicats sont conscients de la situation. Les secrétaires généraux des syndicats du G7 que j’ai vus sont des responsables. Ils se soucient des conditions de travail de leurs collègues. Je leur ai dit que nous avons intérêt à réformer notre système éducatif, à nous équiper mieux, à mieux former les enseignants, à nous auto évaluer dans nos pratiques de tous les jours, à diversifier nos méthodes pédagogiques et favoriser la formation des enseignants par des universités virtuelles. On parle souvent de la mise en position de stage. Le ministère est coincé, car lorsqu’enseignant dans une école élémentaire demande à être formé à l’Université de Dakar, s’il réussit c’est quasiment une classe qui est fermée. Mais avec les formations à distance, ils pourront rester sur place. D’ailleurs, nous avons augmenté le nombre d’enseignants mis en position de stage et nous avons ouvert d’autres filières. Nous avons donné 172 postes et il n’y avait que 74 qui avaient présenté leur candidature. Il y avait des matières qui ne les intéressaient pas. On a dit qu’on ouvre cela pour toutes les matières. En dehors de cette mise en position de stage physique, nous ouvrons des formations à distance et dans toutes les matières. Aujourd’hui, les enseignants représentent 72% de l’effectif de la Fonction publique. Sur 140.000 fonctionnaires, les 98.000 sont des enseignants. Nous voulons qu’ils soient bien formés afin qu’ils deviennent mobiles.
Justement, les syndicats réclament la création du corps des administrateurs de l’école. Allez-vous accéder à leur requête ?
Dans certains pays, le corps des administrateurs de l’école existe. Le problème, c’est que, par exemple si un professeur devient censeur des études etintègre le corps des administrateurs après une formation, s’il n’est plus censeur, il ne pourrait pas revenir au corps des enseignants. Cette question n’est pas totalement vidée. L’autre option qui existe dans certains pays, c’est de permettre à un enseignant de bénéficier une formation s’il est nommé proviseur. Nous continuons d’étudier la question. Mais toujours est-il que celui qui est nommé proviseur ou directeur devrait être accompagné en terme de connaissances parce que le sujet n’est plus le même.
Dans le monitoring, les acteurs ont déploré les lenteurs administratives dans le traitement des dossiers. Votre commentaire sur cette question.
Cette question me concerne. Parce que les problèmes de logement, de l’Ipres, les lenteurs administratives etc. Si tout cela arrive à bloquer le système, je suis directement concerné. Vendredi dernier lors de la rencontre, le représentant du ministre de la Fonction publique disait qu’ils n’ont pas d’instances. LeDirecteur de la solde a dit que nous avons traité tous les dossiers qui nous sont parvenus et des milliards sont versés aux enseignants. Mais le problème réside dans le traitement des dossiers. Par exemple un enseignant qui se trouve à l’intérieur du pays peut faire sa demande et qu’il y ait des erreurs. Une fois au ministère de l’éducation, une erreur est décelée, mais on ne même pas où retourner le dossier. La solution qui vaille, c’est recourir au numérique. Ils ont commencé avec la modernisation de l’administration. Il y a un guichet unique. Franchement on est en train d’avancer dans le traitement des dossiers, mais on peut aller encore beaucoup plus vite.
Quid du retard de l’octroi des prêts Dmc ?
Il n’y a pas de blocage. Le gouvernement s’est engagé à verser 3,5 milliards Fcfa. Mais au-delà, il y a d’autres méthodes qui facilitent l’accès au logement. Le Président Macky Sall a décidé de construire 100.000 logements. Au niveau de l’éducation nationale, nous avons la chance que les enseignants ont un emploi garanti.Il faut créer des conditions pour que l’enseignant ait un logement dès sa prise de service sans passer par les prêts Dmc. Il faut que nous arrivions à faciliter l’accès au logement aux jeunes sortants des écoles de formation. On est en train de créer une Fondation au niveau du ministère de l’Education nationale qui va accompagner les enseignants pour l’accès au logement. Toujours est-il que cet engagement de l’Etat pour les prêts Dmc sera respecté. On a commencé à verser des tranches.
Vous avez parlé de l’éducation inclusive. Est-ce qu’il est envisagé l’harmonisation des règlements intérieurs des écoles par rapport ce qui s’est passé avec la crise du voile.
Il faut qu’on regarde l’éducation comme un système. Mais dans ce système avec les 3,55 millions élèves, on peut dire que le million viennent des écoles privées. L’enseignement privé est organisé autour de textes. Un règlement intérieur doit suivre un canevas. En dernier ressort, c’est l’académie qui valide. Ce qu’on compte faire cette année, c’est de revoir le règlement intérieur en travaillant avec tous les acteurs pour qu’on donne les grandes lignes des règlements intérieurs en phase avec nos lois. En dehors de ces grandes lignes qui encadrent les textes, une école peut avoir un règlement spécifique, notamment en fixant les horaires. Ces cas spécifiques vont s’ajouter aux grandes lignes.
Comme l’école est laïque, la direction de l’enseignement privé catholique n’est-il pas une entorse à ce principe?
Il faut faire la part des choses. Depuis Jules Ferry, on parle de l’école laïque. Il y a plusieurs définitions. Certains disent que tant qu’il n’y a pas de désordre public, les croyances peuvent être accepté, d’autres pensent que l’école est laïque et par conséquent les signes religieux sont bannis. Au Sénégal nous avons le bon voisinage. Si vous voulez faire référence à l’institution Sainte Jeanne d’Arc qui est là depuis 1939 et qui a formé plusieurs jeunes, il suffit d’accompagner l’école pour qu’il y ait une entente au niveau de l’administration et des parents d’élèves pour qu’ils aient un règlement intérieur consensuel. Je rappelle qu’il n’y avait que 22 élèves sur 1738. Mais même s’il s’agissait d’un seul élève, c’était important qu’on intervienne afin qu’on puisse respecter les croyances de chacun. Encore faudrait-il que cela ne gène pas le fonctionnement de l’école. C’est cela le schéma.