FACE À TRUMP, LE GHANA REFUSE L'HUMILIATION
"Le Ghana ne se laissera pas décourager par les insultes, le dénigrement ou les tweets malveillants." Dans une tribune publiée jeudi, le ministre ghanéen des Affaires étrangères revendique la dignité de son pays face aux attaques américaines

(SenePlus) - Le ministre ghanéen des Affaires étrangères, Samuel Okudzeto Ablakwa, a publié une tribune cinglante ce jeudi 10 juillet dans Jeune Afrique, dénonçant les "attaques ad hominem" d'un sénateur américain et rappelant que la question de la dette ne peut plus être "une conversation à sens unique". Une sortie qui intervient dans un contexte de tensions croissantes entre Washington et plusieurs pays africains.
Tout commence par une visite de travail. Le 30 juin dernier, Samuel Okudzeto Ablakwa se rend à Washington pour des réunions au département d'État américain, accompagné de l'ambassadrice par intérim aux États-Unis, Jane Gasu, et de plusieurs conseillers de haut niveau. L'objectif : discuter des relations bilatérales entre le Ghana et les États-Unis, notamment sur les questions de sécurité régionale et les éventuelles restrictions de visas.
Les rencontres avec la sous-secrétaire d'État aux affaires politiques, Allison Hooker, et l'ambassadeur Troy Fitrell se déroulent dans un climat "franc et positif", selon le ministre. Les Américains expliquent que le Ghana figure parmi les pays susceptibles de faire l'objet d'une interdiction de visas car "le taux de dépassement de séjour des visas étudiants est de 21 %, alors que le seuil maximum autorisé par les États-Unis est de 15 %".
Le ministre ghanéen quitte Washington avec des "perspectives prometteuses", convaincu que toutes les rencontres ont été "extrêmement productives", un sentiment confirmé par les tweets d'Allison Hooker et du bureau des Affaires africaines.
Mais l'affaire prend une tournure inattendue. En réponse à ces tweets diplomatiques, le sénateur Jim Risch, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, publie un message que Samuel Okudzeto Ablakwa qualifie "d'attaque ad hominem". Le parlementaire américain affirme que, plutôt que de se rendre à Washington, le ministre ghanéen "aurait dû rester au Ghana pour s'occuper du remboursement de la dette ghanéenne envers les États-Unis".
Cette sortie surprend et indigne le ministre ghanéen, qui rappelle dans sa tribune que "si l'absence de dette était une condition préalable pour voyager, bien peu de personnes de n'importe quelle nationalité pourraient se déplacer, que ce soit pour des raisons personnelles, professionnelles ou politiques".
Pour répondre à ces attaques, Samuel Okudzeto Ablakwa dresse un historique des relations entre les deux pays. "Historiquement, les États-Unis et le Ghana ont toujours entretenu un partenariat respectueux", écrit-il dans Jeune Afrique. Il rappelle que le premier président ghanéen, le Dr Kwame Nkrumah, "a étudié à la Lincoln University et à l'Université de Pennsylvanie", et que de nombreuses personnalités américaines éminentes, dont "deux lauréats du Prix Nobel de la paix, Ralph Bunche et Martin Luther King, ainsi que le vice-président Richard Nixon", étaient présents au Ghana lors de son indépendance.
Le ministre souligne également que "le Dr W.E.B. DuBois, premier Noir à obtenir un doctorat à Harvard (et le deuxième aux États-Unis), a choisi le Ghana comme dernière demeure et y repose aujourd'hui".
Le Ghana, "allié fiable" des États-Unis
Dans sa tribune, Samuel Okudzeto Ablakwa insiste sur la fiabilité du Ghana comme partenaire américain : "Dans notre région, le Ghana a toujours été un allié fiable des États-Unis : nous avons un solide accord de coopération en matière de défense ; nous avons mis en œuvre des projets phares dans le cadre du Millennium Challenge Corporation ; depuis la découverte du pétrole et du gaz commercialisables en 2010, de nombreuses entreprises américaines se sont installées au Ghana".
Il rappelle notamment qu'en 2016, "lorsque les États-Unis cherchaient des partenaires pour accueillir d'anciens détenus de Guantanamo Bay, le Ghana est resté un ami fidèle. Nous n'avons pas rejeté la demande américaine, bien que cette décision ait été accueillie avec tiédeur par l'opinion publique ghanéenne".
Le ministre souligne également que les relations fonctionnent dans les deux sens : "L'an dernier, le Ghana a délivré plus de 80 000 visas à des citoyens américains pour le tourisme et les affaires. Aujourd'hui, environ 10 000 Américains résident au Ghana comme expatriés, et ce chiffre est en nette hausse".
Le cœur de la tribune réside dans la réponse du ministre ghanéen sur la question de la dette. "J'ai répondu au sénateur Risch par un tweet lui rappelant que le Ghana est une nation souveraine et que les États-Unis ont, eux aussi, une dette envers le Ghana. Une dette que nos deux pays n'ont pas encore vraiment évoquée", écrit-il.
Samuel Okudzeto Ablakwa développe cet argument : "Lorsque les nations africaines évoquent la dette qui leur est due à cause de l'esclavage et du colonialisme, c'est perçu comme un acte de défi. En réalité, c'est un acte de détermination". Il ajoute que "le mot 'dette' est devenu un fouet que l'on brandit au-dessus des pays africains pour susciter peur et soumission. Mais cela ne peut plus être une conversation à sens unique".
Le ministre ghanéen n'épargne pas l'administration Trump dans sa critique. Il rappelle que "lorsque le président Donald Trump a annulé les fonds alloués par l'Usaid à plus de 5 000 projets d'aide étrangère, le Ghana a été directement affecté. Nous devons désormais trouver 156 millions de dollars pour compenser ce manque à gagner, une perte qui, malgré tous nos efforts, entraînera des pertes de vies humaines".
Malgré ces difficultés, le ministre revendique les efforts de son gouvernement : "Nous avons renforcé notre monnaie, à tel point que, deux mois consécutifs, le cedi a été désigné comme la devise la plus performante au monde. Nous avons aussi lancé un programme de restructuration de la dette".
En conclusion de sa tribune, Samuel Okudzeto Ablakwa adopte un ton ferme mais digne. "Le Ghana ne se laissera pas décourager par les insultes, le dénigrement, les récits mensongers ou les tweets malveillants. Nous continuerons d'avancer, selon les mots de Kwame Nkrumah : 'En avant toujours, en arrière jamais'", écrit-il.
Il réaffirme les principes qui guident la politique étrangère ghanéenne : "Notre foi dans un ordre fondé sur des règles, la charte de l'ONU, le panafricanisme et le multilatéralisme". Le ministre conclut en rappelant que le Ghana entend "rester un pilier de stabilité et de fiabilité" et "demeurer un modèle de dignité noire, d'émancipation et d'excellence".