LE SABRE, LA PAROLE ET LE VIDE
EXCLUSIF SENEPLUS - Le Premier ministre semble s’être donné pour mission non pas de gouverner, mais de purifier la République. La pluralité le dérange, la critique l'irrite, la nuance l'effraie. Pendant ce temps, les défis réels du Sénégal s’accumulent

Il brandit la parole comme on dégaine un sabre. Tranchante, implacable, circulaire. Chaque phrase d’Ousmane Sonko est une estocade. Mais à force de fer et de fureur, que reste-t-il sous la cuirasse ? Un homme en guerre contre tout ce qui n’est pas lui, contre les institutions, contre la presse, contre la société civile et désormais, contre le président même qu’il a pourtant contribué à porter au pouvoir. Le 10 juillet 2025, encore, le Premier ministre est monté à l’assaut. Il a parlé longtemps, il a parlé fort. Et ce que l’on entend dans ce long torrent de colère n’est en rien une vision. C’est un vide. Un vide sidéral, couvert de mots, de menaces, de reproches. Un vide qui n’aspire qu’à dominer.
Depuis plusieurs mois, le Premier ministre semble s’être donné pour mission non pas de gouverner, mais de purifier la République à sa manière. Il dénonce, il accuse, il menace. Il ne construit pas, il récite une liturgie d’exclusion. Magistrats, organisations de la société civile, partis d’opposition, journalistes, et même le président qu’il accompagne : tous sont tour à tour suspects, traîtres ou lâches. Son discours du 10 juillet, d’une virulence inédite, aura au moins eu le mérite de confirmer ce que beaucoup avançaient : cet homme ne veut pas discuter, il veut dominer.
Mais dominer quoi ? Des silences contraints ? Des débats bâillonnés ? Des citoyens tétanisés par le feu de la rhétorique ? À force d’invectives, de jugements péremptoires, de menaces, voilà qu’il rêve d’une loi pour tarir toute influence étrangère dans la société civile. Il ne veut pas les encadrer, il veut les faire taire. En creux, c’est l’aveu d’un malaise. La pluralité le dérange, la critique l'irrite, la nuance l'effraie. Il entend gouverner un peuple à genoux. Et pourtant, comme l’écrivait Césaire, « une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente ».
Ce n’est plus une déviance, c’est une pente : celle de l’autocratie tapie sous les oripeaux de la révolution. À l’entendre, tout est justification. Le complot est partout. L’ennemi est partout. Tout désaccord est une trahison. Et même celui qu’il a porté au sommet, Diomaye Faye, n’échappe plus à ses coups d’éventail en acier trempé. Il lui reproche d’être trop doux. Il affirme que lui, président, aurait frappé plus fort, plus tôt, plus largement. Faut-il rappeler qu’il n’a pas été élu à cette fonction ? Ou doit-on comprendre que tout cela n’était qu’un prélude, une mise en scène avant la grande marche vers la couronne ?
Mais gouverner, ce n’est pas tonner. Gouverner, ce n’est pas transformer la tribune en tranchée. Gouverner, c’est répondre à la complexité du monde, à ses failles, à ses douleurs, sans tout réduire à des binaires toxiques. Le pouvoir ne se résume pas à l’occupation permanente de la parole. Il suppose l’écoute, la modération, la responsabilité. Il suppose aussi, comme l’écrivait encore Césaire dans Discours sur le colonialisme, de « refuser que l’esprit se dessèche dans le confort des certitudes ».
Or Ousmane Sonko semble au contraire s’y enfoncer, avec le zèle d’un prédicateur qui aurait confondu la République avec une salle d'exorcisme. Tout ce qui pense autrement doit être expulsé. Il ne reste alors qu’un homme seul, parlant à la place des autres, persuadé qu’il incarne tout le peuple à lui seul et prêt à disqualifier tous les autres comme résidus, fumiers, collabos ou vendus. C’est le retour de l’homme-providence, mais un providentiel sans transcendance. Le bruit sans la boussole.
Et pendant ce temps, les défis réels du Sénégal s’accumulent. Les bailleurs s’inquiètent. Les finances tanguent. La jeunesse attend. La gouvernance reste floue. Et lui parle. Il parle, encore et toujours. Avec des mots de plus en plus forts, pour des idées de plus en plus faibles. La parole comme voile pour masquer l’absence de cap. Le verbe pour remplir le vide. Mais comme disait encore Césaire : « Il est bon d’avoir un cœur vide pour y verser la colère, mais meilleur est un cœur plein pour y loger la justice ».
Le sabre a tranché, la parole a tonné, mais c’est le vide qui gouverne. Ce vide d’écoute, de mesure, de maturité. Ce vide d’un homme enfermé dans sa propre colère, qui croit encore faire trembler les murs alors qu’il les fissure de l’intérieur. Le Sénégal n’a pas besoin d’un tribun enragé en costume d’autocrate. Il a besoin de justice, de constance, de souffle collectif. Qu’Ousmane Sonko sache que l’histoire se souvient moins des orages que des bâtisseurs. Le sabre s’émousse, la parole s’épuise, et le vide, lui, finit toujours par s’écrouler sur lui-même.
barry.at15@gmail.com, un citoyen qui préfère les bâtisseurs aux boutefeux et la justice à la foudre.