VIDEOLE MOUVEMENT, ESSENCE DE LA DÉMOCRATIE SÉNÉGALAISE
Du pays qui accueillait Yasser Arafat au "pays de France dégage" : Hamidou Anne dresse un portrait contrasté du Sénégal contemporain, mettant en garde contre les dérives d'un "mouvement" démocratique qui peut aussi régresser

Lors de la cérémonie de présentation des nouveaux ouvrages de Yoro Dia samedi 12 juillet, Hamidou Anne, politiste, écrivain, a livré une analyse profonde et nuancée de l'évolution démocratique sénégalaise, plaçant le concept de "mouvement" au centre de sa réflexion.
Dès l'entame de son intervention, Anne a établi le mouvement comme fil conducteur de sa pensée, s'appuyant sur les écrits de Yoro Dia pour développer cette thématique. "L'histoire n'est jamais finie. Elle est toujours à faire, elle est toujours à refaire", a-t-il déclaré, citant Jean Jaurès pour illustrer que "c'est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source".
Cette vision dynamique de la démocratie trouve son illustration la plus frappante dans l'évolution du paysage politique sénégalais. Anne a rappelé qu'en 1998, la création du 34e parti politique était considérée comme "un événement extraordinaire", tandis qu'aujourd'hui, le pays compte plus de 300 formations politiques et a connu 19 candidats à la dernière présidentielle.
Le membre de l'APR a particulièrement insisté sur la transformation profonde des mentalités politiques sénégalaises. Évoquant ses "premières émotions politiques" lors du retour de maître Abdoulaye Wade en 1999, Anne a confessé qu'il était alors "inimaginable" pour sa génération qu'Abdou Diouf perde le pouvoir démocratiquement. "Pour moi, c'était impossible. Pour moi, le pouvoir ne pouvait pas se transmettre démocratiquement", a-t-il témoigné.
Cette révolution des consciences s'est confirmée avec le temps. Vingt ans plus tard, "l'alternance est devenue la respiration naturelle de la démocratie sénégalaise", selon les termes d'Anne, qui cite régulièrement Yoro Dia sur cette question.
L'orateur a trouvé dans les événements de février-mars 2024 une illustration saisissante de ce mouvement perpétuel. "Des personnes qui étaient entre les liens de la détention 10 jours plus tôt sont élues, une semaine plus tard aux fonctions les plus hautes dans la plus grande démocratie d'Afrique", a-t-il souligné, qualifiant cette transition d'extraordinaire.
Cette capacité de transformation rapide témoigne, selon l'intervenant, de "la puissance de la démocratie, mais aussi la force du mouvement qui est finalement la forme de l'existence dans le matérialisme dialectique", reprenant les mots de Babacar Sine cités dans l'ouvrage de Yoro Dia.
Cependant, l'analyse d'Hamidou Anne ne se limite pas à une vision optimiste du mouvement. Il met en garde contre les possibles régressions, rappelant que "le mouvement, comme la jeunesse, n'est pas toujours porteur d'espoir". Il a utilisé le terme "mouvement" plutôt que "progrès" pour souligner cette ambivalence.
L'exemple le plus frappant de cette régression concerne la politique d'accueil du Sénégal. Anne rappelle que sous Senghor, le pays "était la terre qui a accueilli les bureaux du SOAP, du FRIMAU de l'OLP" et avait "donné un passeport diplomatique à Yasser Arafat". Aujourd'hui, il déplore qu'un "ami mauritanien, combattant pour les droits et les libertés, ait été prié gentiment de cesser ses activités" dans le pays.
Cette transformation illustre, selon Anne, comment le Sénégal, historiquement "pays de synthèse, pays des compromis dynamiques", est "devenu finalement malheureusement le pays de France dégage". Cette évolution témoigne d'un mouvement qui peut se faire "dans le sens inverse" du progrès démocratique.
Pour Anne, la solution à ces défis réside dans la "praxis" - l'alliance entre pensée et action - qu'il observe chez les intellectuels interviewés par Yoro Dia. Il cite notamment Babacar Sine, qui "fait un pas de côté" pour rejoindre le socialisme démocratique, illustrant cette capacité d'adaptation nécessaire au mouvement démocratique.