LA PRÉSIDENTIELLE, ''C'EST DÉJÀ GÂTÉ''
La résurrection ivoirienne, Ouattara le mal aimé, Les fantômes de la crise de 2011- Le duel ADO-SORO vu d'un village Potemkine, au bord des lagunes

« La Présidentielle, c’est déjà gâté ! ». Cette expression résume à elle seule le désarroi des Ivoiriens à quelques mois d’une présidentielle qui s’annonce tendue. Car, si la Côte d’Ivoire connaît une certaine embellie économique, le pays demeure une vraie cocotte-minute pouvant exploser à la moindre étincelle.
« La présidentielle, c’est déjà gâté » ! Dans un français approximatif, Willy tente d’expliquer que les dés sont déjà pipés. « Ouattara veut faire du forcing. Soro est trop pressé et à force il risque même de se faire empoisonner. Bédié, lui, est trop vieux. On n’a aucune idée de ce que ça sera cette élection. C’est déjà gâté » !
Le jeune homme, la trentaine révolue, ne croit plus au jeu des politiciens. Rencontré dans le quartier chic du Plateau de Cocody, Willy tient son petit commerce de vente de téléphones portables.
La politique, il n’y croit plus. « Même si aujourd’hui, Soro se présentait au coin de la rue, je n’accourrais pas pour le voir. Je ne suis ni pro Ouattara, pro Gbagbo ou qui que cela soit, je suis pro-ivoirien. Aucun d’entre eux ne fera quelque chose pour la Côte d’Ivoire », se désole-t-il. A son fatalisme, Willy joint une dose d’inquiétude.
La résurrection ivoirienne
Il était là en 2011. Et il se souvient parfaitement de ces chaudes journées d’avril, en pleine crise postélectorale, où les tirs de balles les avaient contraints au chômage. « Une période difficile qui a fait mal à la Côte d’Ivoire. Nous tentons encore de nous en remettre. On vu comme les choses se présentent, nous craignons de revivre la même situation. On est dans une impasse », croit-t-il.
Huit années se sont écoulées depuis cette période sombre, qui a fait 3000 morts. Et la Côte d’Ivoire a eu le temps de panser ses blessures. Comme le Phénix qui renait de ses cendres, le pays s’est refait une santé.
De grands travaux ont été lancés. Un immense pont et des autoroutes ont été construits. En moins d’une décennie, le pays est redevenu la coqueluche des investisseurs étrangers. En témoigne, les grandes enseignes françaises et chinoises, qui jalonnent les rues du Plateau. Mais ça, c’est le côté pile de Abidjan.
Côté face, le tableau se noircit. De l’autre côté du pont, qui sépare les beaux quartiers de la banlieue, une autre réalité. « Regardez tous ces ponts ? Vous pensez que c’est ce dont Abidjan a besoin. Qui va payer la note ? C’est encore nous les pauvres.
En 2020, la note sera bien salée », peste Adramé, taximan. Malgré les gros investissements, la circulation est toujours dense. « Si vous vous plaignez à Dakar des embouteillages, on ne sait pas ce qu’on doit dire d’Abidjan. Ici, on ne circule même pas. On ne comprend pas à quoi sert toutes ces routes », s’énerve Adramé qui nous fait traverser le grand échangeur de Marcory, dont les travaux ont été initiés par le président Alassane Ouattara. Depuis Houphouët, il a été le seul à avoir initié des travaux dans le pays. Et pourtant, son modèle économique peine à convaincre.
Ouattara, le mal aimé
« Houphouët, il a donné à manger à tout le monde. Mais, Ouattara, lui, a donné les richesses à ses partisans. Les transports, les commerces, les grandes entreprises, tout est concentré aux mains des nordiques », se plaint le chauffeur de taxi. Qui lui rappelle ses promesses de campagne. « Il avait dit qu’il ne resterait que 5 ans. Juste 5 ans pour après partir. Mais, il ne veut pas quitter. »
« Ouattara, il n’a qu’à partir. On ne veut plus de lui. Ça suffit ! », s’emporte Olivier, trouvé sous un immeuble du populeux quartier de Marcory. « Si la France ne s’en mêle pas, Ouattara va partir. Mais, tout ça, c’est la faute à la France.
C’est Macron qui tire les ficelles. Sa visite, là, (Ndlr : du 20 au 22 décembre 2019), elle n’est pas fortuite. Il est venu donner ses consignes à Ouattara », croit savoir Olivier. Un peu plus au nord, le chic quartier du Golfe.
Dans la commune, la plus select de la ville, les villas cossues et les résidences d’ambassades se toisent. Dans le prolongement de l’hôtel du Golfe, là où, Alassane Ouattara avait trouvé refuge une décennie plus tôt, après la destruction de sa résidence durant la crise postélectorale, le siège de Guillaume Soro. Devant, une voiture de police veille au grain. L’entrée est interdite aux étrangers. À quelques mètres du siège, une voiture calcinée.
Mais, on ne saurait dire s’il résulte de la répression brutale des partisans de Soro, ancien chef rebelle, devenu président de l’Assemblée nationale et candidat à la présidentielle en 2020. Un mandat d’arrêt international a été émis contre lui, le 23 septembre dernier, après sa tentative de rentrer au pays. Il est poursuivi pour tentative d’atteinte à l’autorité de l’Etat et à l’intégrité du territoire.
Plusieurs de ses camarades ont été arrêtés et emprisonnés. « On ne comprend pas Ouattara, s’emporte Alioune, un autre taximan. Il veut empêcher son compatriote de rentrer chez lui. Et refuse aussi que Gbagbo rentre au pays. Gbagbo n’a rien fait. Son seul tort c’est d’aimer son pays », fulmine-t-il.
Les fantômes de la crise de 2011
La situation semble confuse à quelques mois des joutes électorales. Mais, que cherche Ouattara ? « Il veut forcer. Et ça les Ivoiriens, ne l’accepteront pas. Il va briguer un 3e mandat. Il semble avoir le soutien de la France », pense Oumar, vendeur d’ananas, à Koumassi.
« Certains d’entre nous pensent même à retourner au pays pour laisser passer la tempête », nous confie Alioune, un sénégalais, 100% Baol-Baol, rencontré dans le centre d’Abidjan. « Je travaille au Plateau mais j’habite à Adjamé. Nous étions là en 2011, aussi. Mais, au vu de la situation, certains d’entre nous ont même commencé à rapatrier leur famille au Sénégal. On a peur », nous dit Alioune.
Les manchettes des journaux donnent déjà le ton. « Coup d’Etat avorté », « Tout sur le dossier béton du procureur Abdou », « Sur les traces de Guillaume Soro », « Tout se complique pour Soro », « Pluie d’indignations et de condamnation » …le tout sur fond de « Joyeuses fêtes ». « C’est calme apparemment mais à l’intérieur la situation est pourrie », nous souffle Mountakha, rencontré à la rue des Jardins, aux Deux Plateaux.
Pour le moment, pro Ouattara et pro Soro se regardent d’un œil en attendant la « finale », comme disent les Ivoiriens.