LE PUZZLE NUCLÉAIRE IRANIEN
Entre installations détruites et sites épargnés, l'offensive israélienne redessine les capacités atomiques de Téhéran. Un bilan contrasté qui divise les experts sur l'avenir des ambitions nucléaires de Téhéran

(SenePlus) - Neuf jours après le début de l'offensive israélienne, le programme nucléaire iranien vacille. Des installations stratégiques de Natanz aux laboratoires secrets d'Ispahan, en passant par le site ultraprotégé de Fordo, l'infrastructure atomique de la République islamique subit des dommages sans précédent. Un inventaire détaillé révèle l'ampleur des destructions et interroge sur l'avenir des ambitions nucléaires de Téhéran.
Le site de Natanz, principal centre d'enrichissement d'uranium iranien, figure parmi les cibles prioritaires des bombardements israéliens. Selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), "les bombardements israéliens du 13 juin ont détruit la partie en surface de l'usine pilote d'enrichissement de combustible", rapporte Le Monde. Plus préoccupant encore, l'agence "a annoncé, le 17 juin, avoir identifié, à l'aide d'images par satellite, de nouveaux éléments montrant des impacts directs dans les salles souterraines" de l'usine d'enrichissement de combustible commerciale.
Cette installation, qui s'étend sur 2,7 kilomètres carrés à 220 kilomètres au sud-est de Téhéran, constitue l'épine dorsale du programme d'enrichissement iranien. Conçue pour accueillir 50 000 centrifugeuses réparties dans deux unités souterraines, elle avait permis à l'Iran d'atteindre un enrichissement à 60% en 2021, "qui reste sous le seuil militaire (90%), mais constitue une étape majeure pour atteindre ce seuil", précise Le Monde.
Fordo : l'installation la plus secrète épargnée
Paradoxalement, le site de Fordo, considéré comme "le site nucléaire iranien le plus secret et le mieux gardé", semble avoir résisté aux attaques. Bien que "les autorités iraniennes aient fait savoir le 13 juin que l'installation avait été prise pour cible par l'armée israélienne", l'AIEA constate qu'"aucun dégât visible n'y a été constaté", selon Le Monde.
Cette installation souterraine, "enfouie sous 80 à 90 mètres de roches" près de Qom, cristallise depuis sa révélation en 2009 les soupçons occidentaux. Les services de renseignement avaient "acquis la conviction que le site était destiné à la production clandestine de matière fissile à des fins militaires". C'est là que les inspecteurs de l'AIEA ont découvert en 2023 "de l'uranium enrichi à 83,7%", un niveau dangereusement proche du seuil militaire.
Ispahan : le pôle de recherches "démantelé"
L'offensive israélienne a porté un coup sévère au centre de technologie nucléaire d'Ispahan, qualifié de "pôle de recherches nucléaires principal de la République islamique" par Le Monde. L'armée israélienne revendique avoir "démantelé l'ensemble des installations nucléaires d'Ispahan". L'AIEA confirme que "quatre bâtiments, dont l'unité de conversion d'uranium et celle de fabrication du combustible destiné au réacteur de Téhéran, ont été endommagés".
Ce site, où travaillent "trois mille scientifiques", abritait des installations cruciales pour la chaîne de production nucléaire iranienne, notamment la production d'"hexafluorure d'uranium (UF6) nécessaire pour alimenter les centrifugeuses". Sa destruction constitue un revers majeur pour les capacités de recherche et de développement iraniennes.
Téhéran : les centrifugeuses de pointe visées
Le centre de recherches nucléaires de Téhéran, inauguré en 1967, n'a pas échappé aux bombardements. L'AIEA révèle qu'"un bâtiment où étaient fabriqués et testés des rotors de centrifugeuse de pointe avait été touché par les bombardements israéliens". Cette installation revêt une importance stratégique particulière : c'est "sur ce site que les rotors des centrifugeuses iraniennes les plus performantes ont été conçus", indique Le Monde.
Arak et Bouchehr : entre dommages et protection diplomatique
Le réacteur à eau lourde d'Arak, officiellement destiné à la production d'isotopes médicaux mais soupçonné de pouvoir produire "du plutonium de qualité militaire", a également été pris pour cible le 19 juin. L'AIEA estime que "plusieurs bâtiments ont été endommagés", bien qu'aucune conséquence radiologique ne soit à craindre.
En revanche, la centrale nucléaire de Bouchehr, seule installation vouée à la production d'électricité, semble bénéficier d'une protection particulière. Après avoir annoncé par erreur qu'elle avait été touchée, l'armée israélienne s'est rétractée. Le président russe Vladimir Poutine a même "assuré s'être entendu avec les dirigeants israéliens pour que sa sécurité soit garantie", selon Le Monde. Cette épargne s'explique par les risques catastrophiques qu'une attaque représenterait : elle aurait "les conséquences les plus graves, pouvant relâcher de grandes quantités de radiation dans l'environnement", a averti le patron de l'AIEA.
Un programme à l'état de "seuil" fragilisé
Ces destructions interviennent alors que l'Iran était devenu "de fait un État du seuil, que seuls une décision politique et quelques mois au plus séparent de l'acquisition de l'arme atomique", rappelle Le Monde. Depuis la dénonciation par Donald Trump en 2018 de l'accord nucléaire de 2015, "la République islamique s'est très largement affranchie des obligations qu'elle avait acceptées", produisant désormais "de l'uranium enrichi à 60%".
L'ampleur des dégâts infligés aux installations nucléaires iraniennes pourrait considérablement retarder les ambitions atomiques de Téhéran. Si l'Iran continue à "nier toute militarisation de son programme", les destructions actuelles remettent en question sa capacité à franchir rapidement le seuil nucléaire militaire. Pour Israël, qui a fait de "l'élimination du programme nucléaire iranien" l'un des "objectifs prioritaires de sa campagne militaire", ces premières frappes constituent un succès tactique majeur dans une stratégie visant à neutraliser durablement la menace nucléaire iranienne.