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MACRON, SASSOU-GUESSO : LA FORÊT, LE FAUX GISEMENT ET LES VRAIS MILLIONS

Juste après une énorme découverte pétrolière dans la jungle du Congo-Brazza, Macron a signé avec Sassou-Nguesso une lettre promettant 65 millions de dollars pour préserver cette forêt vierge. Mais une enquête montre que ce gisement de brut était surévalué

Mediapart  |   YANN PHILIPPIN ET VINCENT HUGEUX  |   Publication 12/04/2020

Juste après une énorme découverte pétrolière dans la jungle du Congo-Brazzaville, Emmanuel Macron a signé avec le président Sassou-Nguesso une lettre promettant 65 millions de dollars pour préserver cette forêt vierge et ses tourbières. Mais notre enquête montre que ce gisement de brut était grossièrement surévalué.

Brazzaville, le mercredi 14 août 2019. Au détour du traditionnel discours prononcé à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance de la République du Congo, le président Denis Sassou-Nguesso tient à partager une grande nouvelle avec ses « chers compatriotes ». Quatre jours plus tôt, une compagnie pétrolière congolaise avait annoncé la découverte d’un gisement colossal, capable de cracher 983 000 barils par jour. De quoi quadrupler d’un seul coup la production nationale.

L’autocrate de 77 ans, dont 36 ans à la tête du pays, est d’autant plus comblé que ces « réserves de pétrole de qualité » ont été découvertes à Ngoki (« crocodile » en langue locale), dans le bassin de la Cuvette, une immense zone de forêts vierges et de marécages du nord du Congo, située non loin d’Oyo, bastion natal de Denis Sassou-Nguesso et de son ethnie mbochi.

Le chef de l’État évoque ensuite les tourbières du bassin, qui stockent 30 milliards de tonnes de CO2 et dont la destruction déclencherait une déflagration climatique. Denis Sassou-Nguesso se dit prêt à contribuer à « la survie de l’humanité » en préservant ce précieux et fragile patrimoine, même si « les contreparties financières annoncées continuent à se faire attendre ».

Menace à peine subliminale adressée à la communauté internationale : vu l’ampleur du jackpot pétrolier espéré, il faudra passer à la caisse si vous voulez vraiment que nous protégions la forêt.

Le message semble avoir été reçu cinq sur cinq par Emmanuel Macron. Trois semaines plus tard, le 3 septembre 2019, il offre à « Sassou », reçu à l’Élysée, un beau cadeau : une lettre d’intention signée de sa main, promettant 65 millions de dollars d’aide européenne, dont plusieurs millions fournis par la France, qui n’a pas souhaité donner le montant exact. Et ce en échange d’une vague promesse de « minimiser » l’impact de l’exploitation pétrolière sur les forêts et tourbières.

En apparence, un accord gagnant-gagnant. Mais qui repose en réalité sur un mensonge. C’est ce que montre une enquête fondée sur de nombreux témoignages et documents confidentiels obtenus par Mediapart, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel et l’ONG Global Witness (lire son rapport ici), et partagés avec le réseau European Investigative Collaborations (EIC). 

Nos recoupements établissent que la miraculeuse découverte à Ngoki est au mieux grossièrement enjolivée, au pire complètement bidon. Plusieurs majors, dont la française Total, avaient refusé d’investir dans le gisement, en raison de sa « taille modeste » et de « risques élevés ». Et aucun test de production, seul procédé permettant d’obtenir des chiffres fiables, n’a été réalisé à ce stade. Confronté aux résultats de notre enquête, le patron de la société titulaire du permis, Claude Wilfrid Etoka, a d’ailleurs divisé par sept les prévisions mirifiques claironnées en août dernier ! Dans sa réponse à l’EIC, il affirme toutefois que nos « allégations » sont « non fondées ».

Les soupçons sont d’autant plus légitimes qu’Etoka, l’homme d’affaires qui a orchestré l’opération Ngoki, est un intime de la famille Sassou-Nguesso, en particulier du fils prodigue Denis Christel, alias « Kiki ». À tel point que la Banque BNP Paribas a décidé de clore les comptes du businessman, du fait de l’étroitesse de ses liens avec le palais de Mpila, siège de la présidence, et du caractère jugé trop avantageux des partenariats que lui a octroyés la SNPC, société pétrolière nationale, notamment lorsque Kiki en était le numéro 2.

Denis Sassou-Nguesso, dit « DSN », a-t-il utilisé le pactole surévalué de Ngoki pour arracher à la France et à l’UE des crédits environnementaux ? « Ça ne m’étonnerait pas, admet un ponte du Quai d’Orsay. Sassou cherche du fric partout, et par tous les moyens. » L’Élysée répond pour sa part que la découverte à Ngoki et les financements ne sont « aucunement liés », la lettre d’intention étant « l’aboutissement de négociations menées pendant des mois », dans le droit fil des engagements pris « dès mars 2018 » par le Congo-Brazzaville pour protéger les tourbières.

Malgré les fortunes que procurent le pétrole et le bois, le pays est étranglé tant par la baisse des cours du brut que par une dette publique colossale, dont le régime a vainement tenté de minimiser l’énormité sous un voile de mensonges. En décembre dernier, le Fonds monétaire international (FMI) a ainsi gelé le versement d’une tranche d’aide substantielle, désormais subordonné au respect, entre autres, des engagements du Congo en matière de lutte contre la corruption.

Une gageure au regard de la dérive kleptocratique chronique de la famille présidentielle, connue pour accumuler les richesses pendant que la moitié des Congolais, soit plus de 2,5 millions de citoyens, végètent sous le seuil de pauvreté, soit moins de deux euros par jour. DSN et plusieurs de ses familiers sont d’ailleurs visés par des enquêtes pour corruption et détournement de fonds publics dans divers pays ; à commencer par l’affaire des « biens mal acquis » en cours d’instruction en France. En septembre 2019, l’État de San Marin a ainsi confisqué 19 millions d’euros sur un compte bancaire détenu par le chef d’État congolais et utilisé par exemple pour acheter des chaussures en croco à 114 000 euros la paire ou régler des séjours dans des palaces parisiens à 11 000 euros la nuit.

Si la quasi-totalité du pétrole congolais est aujourd’hui extraite dans le Sud, notamment au large de Pointe-Noire, voilà plus de 40 ans que Sassou s’intéresse aux ressources de son fief politique mbochi du Nord, avec le discret concours d’un ingénieur et géologue français, « le sourcier blanc » Alain Gachet. Après avoir salué l’opiniâtreté de ce dernier dans un documentaire promotionnel (à voir ici), Sassou l’a invité le 31 octobre 2019 à fêter en sa compagnie, à Oyo comme il se doit, la « découverte » providentielle de Ngoki.

« J’ai commencé à regarder ce dossier dès 1998, confie Gachet, un ancien d’Elf-Aquitaine qui ne fait pas mystère de son admiration pour DSN. La structure de Ngoki était prometteuse et les données des mesures que j’ai pu voir sentent bon. » Mais il y a un hic. Si tous les experts s’accordent sur la présence d’or noir dans les entrailles de la Cuvette, nul ne sait dans quelle mesure il est exploitable. Il faudrait pour cela que le brut ait été piégé par des « couvertures » rocheuses, faute de quoi il remonte à la surface, se dilue et s’évapore. C’est cette incertitude, concède Alain Gachet, qui « a motivé le retrait de la plupart des géants pétroliers de la planète ».

Qu’à cela ne tienne. En 2006, un personnage controversé choisit de tenter l’aventure : l’affairiste émirati Abbas al-Youssef, qui fut l’un des intermédiaires préférés des industriels français de l’armement dans les années 1990, et à ce titre l’exécutant d’opérations de corruption présumées pour le compte du fabricant de tanks Nexter (l’ex-Giat) et de l’avionneur Airbus (lire nos enquêtes ici et là).

En 2015, plombé par la gestion désastreuse du projet, Abbas al-Youssef sollicite plusieurs majors pétrolières, les invitant à investir à ses côtés sur Ngoki. Las ! Après examen des analyses sismiques, elles déclinent toutes. 

Dans un document confidentiel daté de juillet 2015, Total estime que les « ressources récupérables [sont] limitées » et pointe le « coût élevé du forage » dans cette jungle isolée et difficile d’accès, totalement dépourvue d’infrastructures. Même diagnostic du côté de Shell, où l’on estime qu’à l’aune des « risques et des défis opérationnels dans la zone », les mesures n’ont pas permis d’identifier suffisamment de puits exploitables.

« Les employés sur place étaient affamés »

Un homme persiste pourtant à croire au potentiel de ce gisement si cher à Sassou : le Congolais Claude Wilfrid Etoka, fils de fonctionnaire doté d’une formation d’agronome. Âgé de 50 ans, Etoka, présent notamment dans le pétrole et l’agro-industrie, figure parmi les entrepreneurs les plus riches d’Afrique francophone, avec une fortune estimée en 2015 à 500 millions de dollars par le magazine Forbes Afrique. Ce colosse dégarni au look étudié est depuis 2008 résident au Maroc, où son « mariage hors norme » fit six ans plus tard la une de la presse people.

Etoka a logé ses affaires dans des structures abritées dans des paradis fiscaux opaques tels que l’île Maurice ou Chypre. La société de trading pétrolier SARPD Oil International, joyau de son empire, est immatriculée aux îles Vierges britanniques et a installé son siège au Technopolis, quartier d’affaires proche de Rabat, tandis que son département marketing prenait ses quartiers à Genève. 

Etoka, lui aussi d’ethnie mbochi, est proche du président, et plus encore de son fils Denis Christel, dit « Kiki le pétrolier », directeur général adjoint de 2010 à 2018 de la société pétrolière nationale SNPC. Un héritier gourmand : l’ONG Global Witness a révélé l’an dernier qu’il aurait détourné à son profit 50 millions de dollars d’argent public.

Animateur du collectif Sassoufit, l’opposant radical Andrea Ngombet dépeint Etoka sous les traits du « principal homme de main de Kiki ». Membre éminent de la fondation Perspectives d’avenir (ce qu’il dément, malgré divers documents l’attestant), vecteur de l’ambition politique de Denis Christel, Etoka a, selon des sources concordantes, œuvré dans les coulisses de la campagne législative de son ami bien né, élu député… d’Oyo en 2012. L’homme d’affaires répond ne pas avoir financé cette campagne.

On retrouve aussi sa trace dans l’enquête judiciaire française sur les « biens mal acquis ». En perquisitionnant chez un concessionnaire automobile parisien très prisé du clan Sassou, les enquêteurs ont découvert qu’il avait acheté en 2012, apparemment sous l’identité fictive de « Pierre Etoka », deux Range Rover, pour un montant total de 148 000 euros. Les policiers soupçonnent que ces véhicules aient été acquis « pour le compte de la famille Sassou-Nguesso et leurs proches ». Etoka répond les avoir achetés pour lui-même et sa cousine.

Rembobinons le film de cette success story dorée sur tranche. Dès 1993, le jeune Claude Wilfrid aiguise son sens des affaires en important au Congo des pneus rechapés venus d’Europe. Puis il change de braquet, faisant fortune dans le négoce et la distribution d’hydrocarbures, via le groupe Société africaine de recherche pétrolière et de distribution, ou SARPD Oil, fondé en 2004. Et ce grâce aux contrats et partenariats avec la SNPC, dont certains passés à l’époque où Denis Christel en était le numéro 2. Sa martingale ? Exporter du brut congolais, puis importer des produits raffinés, marché qu’il contrôle, à l’en croire, à hauteur de 60 %.

Selon nos informations, la banque BNP Paribas juge ces accords si sulfureux qu’elle décide en 2016 de mettre fin à sa relation bancaire avec SARPD Oil. Dans un rapport confidentiel, elle justifie cette décision par les allégations de « liens d’amitié très étroits » entre Etoka et « l’épouse du président » Sassou-Nguesso, l’opacité sur les deals entre la SARPD et la SNPC, et le niveau de profit qu’en retire la première, jugé trop « élevé par rapport à la valeur ajoutée fournie ». 

Etoka estime que la fermeture de ses comptes par la BNP « serait plutôt liée aux sanctions » infligées à la banque par le « gouvernement américain ». Il ajoute que la « SARPD Oil a été choisie par la SNPC suivant un cahier des charges clair » dès l’année 2005, « donc bien avant l’arrivée de Monsieur Denis Christel Sassou-Nguesso comme directeur général adjoint ».

En 2013, Claude Wilfrid Etoka acquiert, via la SARPD Oil, une part minoritaire dans la société Petroleum Exploration & Production Africa (Pepa), détentrice des droits sur le gisement de Ngoki. Il monte à 100 % trois ans plus tard, après avoir évincé al-Youssef, lequel affirme ne pas avoir été payé. Etoka rétorque que l’Émirati n’avait pas honoré ses promesses d’investissements et que les tribunaux ont validé l’opération.

Plusieurs sources se disent persuadées qu’Etoka prend alors le contrôle de Ngoki avec l’aval du clan présidentiel. Il nomme d’ailleurs à la tête de Pepa un neveu du président, Cyr Nguesso, choisi exclusivement, à l’entendre, en raison de son profil « bilingue » et de sa « riche expérience acquise dans les sociétés pétrolières ».

L’homme d’affaires croit-il vraiment au projet ? Mystère. Une certitude : il ne peut ignorer l’immense valeur environnementale de Ngoki. Deux ans avant son irruption sur l’échiquier de la Cuvette, une équipe conduite par le Britannique Simon Lewis, chercheur à l’université de Leeds, découvre que la forêt du bassin du fleuve Congo abrite la plus grande zone de tourbières de la planète. Les scientifiques calculeront par la suite que ces sols humides stockent 30 milliards de tonnes de CO2, dont la libération accélérerait le réchauffement climatique. C’est pour protéger ce « réservoir » qu’a été fondée en 2015 l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale (Cafi), qui associe des bailleurs européens, dont la France, à six États subsahariens, dont le Congo-Brazzaville.

Denis Sassou-Nguesso comprend très vite l’intérêt d’une découverte aux allures de pompe à financements. Dès 2016, il a enfilé le costume de protecteur du patrimoine forestier, sillonnant les sommets internationaux sur le climat et incitant les « amis de l’Afrique » à garnir les caisses de son Fonds bleu pour le bassin du Congo, créé en 2017 (lire ici).

Mais l’autocrate congolais garde plusieurs fers au feu. Quoique drapé dans sa toge verte, il lance en 2018 un appel d’offres en vue d’attribuer plusieurs permis d’exploration dans le bassin de la Cuvette. Les tourbières situées dans ces zones stockent 10 milliards de tonnes de CO2, selon les calculs de notre partenaire Global Witness (voir la carte ci-dessous). L’un des permis échoit à l’italien ENI ; un autre à Total. En juillet de la même année, Claude Wilfrid Etoka signe un contrat avec la société française SMP Drilling, chargée de conduire le tout premier forage à Ngoki.

Les travaux commencent en mars 2019. « Etoka […] étant très bien introduit auprès de Denis Sassou-Nguesso, qui attache une importance particulière à un tel forage dans son fief de la Cuvette, il nous a assuré disposer des fonds nécessaires, fournis par la présidence, et nous a promis monts et châteaux », indique à Mediapart le directeur juridique de SMP, Christian Cottenceau. 

Malgré ces garanties, l’entreprise se voit contrainte de suspendre les travaux dans l’attente du règlement de factures substantielles. De plus, insiste-t-on chez SMP, le client congolais n’aurait pas respecté l’engagement de créer dans les marécages de Ngoki une plateforme technique et une base-vie pour les ouvriers, pas plus que la promesse de subvenir aux besoins de ceux-ci. « Il nous a fallu approvisionner le site en catastrophe, tant les employés sur place étaient affamés, précise Cottenceau. Rien à manger ni à boire, pas d’abris dignes de ce nom pour la nuit, pas de gasoil. Bref, nous avons perdu quatre mois pour finir par atterrir sur la plateforme d’ENI. » 

Au total, affirme SMP, Etoka a accumulé 4,6 millions de dollars d’impayés. Ce qui, début 2020, conduit cette société familiale à saisir la justice congolaise, histoire de récupérer son dû, assorti des intérêts de retard. Selon nos informations, le tribunal de Brazzaville vient d’ordonner la saisie conservatoire des avoirs de SARPD Oil et Pepa, les sociétés pétrolières d’Etoka, à hauteur de 5,8 millions d’euros. Interrogé par Mediapart, l’homme d’affaires congolais affirme avoir réglé toutes les factures.

Sassou-Nguesso pousse Total dans les tourbières

Au passage, on notera qu’en dépit de ses revers, « CWE » jouit, en Afrique comme en France, d’une image étonnamment flatteuse. Le 8 novembre 2018, il apparaît ainsi à Paris parmi les orateurs des « Rencontres d’affaires francophones », organisées à la Maison de la Mutualité « sous le haut patronage du secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères », à savoir Jean-Baptise Lemoyne. Si abscons soit-il, cet extrait du programme officiel vaut le détour : « Claude Wilfrid Etoka, alias Willy Etoka, l’un des plus grands entrepreneurs et investisseurs africains, récemment nommé président de la commission Responsabilité sociétale des entreprises du Groupement du patronat francophone, viendra témoigner de son implication dans le respect de ce concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités. »

Revenons à nos barils. Compte tenu des retards subis, tant financiers que techniques, impossible de boucler le forage avant la date d’expiration du permis, le 31 mai 2019. Qu’importe : le 26 juillet suivant, Denis Sassou-Nguesso signe le décret 2019-206, une « prorogation exceptionnelle » du permis pour une période d’un an. Logique, avance Etoka : sa société a été la première à forer dans une zone « très difficile ».

L’opération, précisent les dirigeants de SMP, se termine enfin en août 2019. Dans la foulée, le 10 de ce mois-là, des émissaires de SARPD Oil annoncent à Oyo, cœur battant du régime, que le forage a permis de découvrir un gigantesque gisement de 359 millions de barils de pétrole, gage de l’extraction de 983 000 barils/jour.

Révélation aussi spectaculaire que fantaisiste. Plusieurs experts pétroliers nous ont indiqué qu’il est impossible de déterminer un volume à venir sur la base d’un unique forage. Toute estimation fiable en la matière exige la réalisation d’un « test de production », lequel suppose a minima deux ou trois forages dits de confirmation. Or, de l’aveu même de Claude Wilfrid Etoka, aucun n’a été effectué à cette date. 

Interrogé par nos soins, le richissime insider congolais indique désormais que le volume de production prévu avoisine les 140 000 barils quotidiens, soit sept fois moins que l’époustouflante projection avancée par ses équipes six mois plus tôt…

Il affirme néanmoins que le forage a permis de découvrir quatre réservoirs hauts de 89 mètres. Il ajoute que sa nouvelle estimation revue à la baisse sera confirmée « sous peu par des tests de production en cours », et résulte de l’interprétation de « données fiables » par le cabinet de géologie français Eosys. Interrogé par Mediapart, le patron d’Eosys, Patrick Portolano, dément catégoriquement. Il indique n’avoir jamais travaillé pour Etoka ni eu accès aux résultats du forage, et s’être borné à analyser en 2011 les données sismiques pour le compte d’Abbas al-Youssef, le précédent titulaire du gisement. « Les chiffres contenus dans notre rapport, précise-t-il, portaient uniquement sur le potentiel d’exploration. Ils ne constituaient ni une estimation des réserves, ni une estimation de la production. »

« La divine surprise Ngoki est totalement bidon et renvoie à un vieux serpent de mer, confirme Xavier Houzel, vétéran du négoce pétrolier et familier des marchés africains. Les estimations avancées l’été dernier sont hautement fantaisistes. On est dans le pur effet d’annonce. Denis Sassou-Nguesso est aux abois sur le front financier. Aux prises avec le FMI, il s’est saisi de ce pactole présumé. »

Il n’empêche. Au cœur de l’été 2019, les médias congolais les plus déférents magnifient le Graal pétrolier de Ngoki, célébré quatre jours plus tard par l’indéboulonnable locataire de Mpila. Lequel martèle que le puits, situé à la « périphérie » des tourbières, ne menace donc pas l’environnement.

Mauvaise pioche, là encore. L’enquête réalisée par notre partenaire Global Witness, fondée sur l’analyse des données scientifiques,  nuance fortement cette affirmation. Si le premier forage a bien été accompli à trois kilomètres des tourbières, deux autres poches jugées prometteuses par les études sismiques se situent au cœur de la zone sensible (voir la carte ci-dessous). Et quid de l’impact qu’aurait in situ le chantier de la construction d’un oléoduc, équipement indispensable à l’évacuation du brut en cas d’exploitation commerciale ?

On l’aura compris : le prodige de Ngoki aura, un temps au moins, fourni à DSN un joli levier vis-à-vis du Cafi, cette alliance destinée à voler au secours des massifs forestiers d’Afrique centrale. Et dont la France assurait en 2019 la présidence tournante.

Survenant trois semaines après l’annonce miraculeuse, la visite élyséenne du président Sassou a plongé Paris dans un malaise palpable. Un signe : ladite visite, qui ne figurait pas initialement à l’agenda présidentiel, a été rendue publique in extremis. Selon Le Monde, l’équipe Macron, soucieuse d’offrir des gages à un partenaire ancien et fidèle de la France, aurait insisté auprès du Cafi pour que la formalisation du financement survienne pendant le séjour de Sassou sur les bords de Seine. D’autant que la France tient à ménager un « sage » si prompt à jouer, avec un bonheur inégal, les médiateurs universels, dans le bourbier libyen sous l’étendard de l’Union africaine comme en République centrafricaine. Et tant pis si l’intéressé, enclin à embastiller ses opposants, peine tant à pacifier sa propre patrie…

L’Élysée reconnaît que la signature « était prévue initialement le 21 septembre », mais assure qu’elle a été anticipée « afin de s’inscrire dans le sillage immédiat des conclusions du G7 de Biarritz ». La présidence française précise que la conclusion de cet accord international n’a rien à voir avec la « relation bilatérale ». 

Cette fameuse enveloppe de 65 millions de dollars est d’autant plus problématique que le Cafi n’a pas exigé en échange l’abandon de la production pétrolière dans le bassin de la Cuvette. Le Congo a seulement promis d’accorder d’ici à 2025 un « statut juridique spécial » à la zone des tourbières et de « limiter » l’impact de l’exploitation pétrolière dans la zone.

Pourquoi une telle mansuétude ? Interrogé par Mediapart et ses partenaires, le Cafi répond que la lettre d’intention dévoilée à Paris « insiste particulièrement sur la compréhension et la gestion des risques » liés à l’activité pétrolière. L’Élysée ajoute que l’exploitation pétrolière « relève du droit souverain de chaque État », et que la lettre d’intention, « par nature juridiquement non contraignante, engage cependant le Congo à mettre en place des mesures environnementales et sociales restreignant drastiquement l’exploitation minière et pétrolière dans les zones concernées ». 

Le président congolais a toutefois une conception toute particulière de cette limitation « drastique ». Il a profité de son passage à Paris pour s’entretenir avec le PDG de Total, Patrick Pouyané, et l’inciter à accélérer l’exploration sur le permis décroché en décembre dernier par la firme française sur le bloc Mokélé-Mbembé, situé lui aussi au royaume des tourbières. « C’est un sujet qui était cher à Monsieur le président de la République du Congo, qui nous en a parlé », a reconnu le patron de Total dans les colonnes du journal congolais Le Patriote.

Interrogé par Mediapart, Total reconnaît que la zone est « identifiée comme sensible d’un point de vue environnemental » et assure qu’il « réalisera une étude d’impact environnemental dans le but de mesurer les éventuels risques liés à des activités d’exploration ». Le groupe prévoit de mener d’abord « des études aériennes » avant de décider d’effectuer ou non des forages. Bref, Total fait preuve d’un enthousiasme mesuré. Mais le groupe français étant le premier producteur de brut au Congo, il lui est difficile d’ignorer les souhaits du chef de l’État. 

Vieux serpent de mer, écrivions-nous plus haut. Sait-on assez, chez Total comme à l’Élysée, que dans la tradition locale, le Mokélé-Mbembé est le cousin congolais du monstre du Loch Ness ?

Cette enquête, basée sur de nombreux témoignages et documents confidentiels, a été réalisée par Mediapart, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel et l’ONG Global Witness, puis partagée avec le réseau de médias European Investigative Collaborations (EIC) et le quotidien britannique The Guardian.

Mediapart et Der Spiegel sont deux des membres de fondateurs de l’EIC, qui a notamment publié les enquêtes sur les armes de la terreur, les Football Leaks, les Malta Files, les noirs secrets de la Cour pénale internationale, l'évasion fiscale du groupe Kering ou les affaires de corruption visant Airbus.

Interrogé par courriel, le patron et propriétaire du groupe SARPD Oil, Claude Wilfrid Etoka, nous a adressé une longue réponse écrite.

Questionnée sur les raisons qui l’ont conduit à fermer les comptes de SARPD Oil, la banque BNP Paribas nous a répondu qu’elle ne souhaitait faire « aucun commentaire ».

L’Élysée, le Cafi, Total et Shell nous ont adressé des réponses écrites.

Nous avons envoyé nos questions au président Denis Sassou-Nguesso à son avocat français, Me Jean-Marie Viala, qui nous a confirmé les avoir transmises. Nous n’avons pas reçu de réponse.

Nous avons envoyé par courriel nos questions destinées à Denis Christel Sassou-Nguesso à son avocat français, Me Jean-Jacques Neuer. Malgré deux appels téléphoniques à son cabinet, Me Neuer et son client n’ont pas donné suite.

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