MORT DE MUHAMMADU BUHARI
L'ancien chef de l'État est décédé ce dimanche à 82 ans. Figure controversée de la politique nigériane, il aura marqué son pays par deux passages au pouvoir : comme putschiste en 1983, puis comme président élu en 2015

(SenePlus) - L'ancien chef d'État nigérian Muhammadu Buhari s'est éteint ce 13 février 2025 à l'âge de 82 ans, selon les informations rapportées par son ancien porte-parole et relayées par RFI. Figure emblématique et controversée de la politique nigériane, Buhari laisse derrière lui un héritage complexe, marqué par des succès militaires contre le terrorisme mais également par des pratiques autoritaires qui ont divisé l'opinion publique.
Muhammadu Buhari incarnait la trajectoire singulière d'un homme qui aura occupé la plus haute fonction de l'État nigérian selon deux modalités radicalement différentes. Comme le rappelle RFI, il fut "deux fois président dans sa carrière, en tant que putschiste (2015) puis président élu (2019)", s'inscrivant ainsi "dans la lignée des hommes forts du Nigeria".
Né en 1942 dans l'État fédéré du Katsina au sein d'une famille nombreuse - il était "le 23e enfant de son père, un chef traditionnel Fulani qu'il ne connaîtra pas" selon RFI - Buhari grandit dans un environnement marqué par la précarité. Orphelin de père à quatre ans, il sera orienté vers une carrière militaire par sa mère, intégrant une académie militaire peu après l'indépendance du Nigeria en 1960.
Sa formation d'officier en Grande-Bretagne, où "il prend goût à la discipline et au travail" selon RFI, forgera son caractère autoritaire qui marquera profondément ses futures responsabilités politiques. De retour au Nigeria, le jeune lieutenant gravit rapidement les échelons militaires, se distinguant notamment lors d'une incursion tchadienne sur des îles du Lac Tchad.
En 1983, âgé de 41 ans, Buhari renverse le président démocratiquement élu Shehu Shagari, qu'il juge corrompu. Ce coup d'État le transforme en "tombeur de la démocratie", selon les termes de RFI. Une fois au pouvoir, il impose sa vision rigide de la discipline sociale avec des méthodes qui marqueront durablement la mémoire collective nigériane.
Le "Buharisme", terme qui renvoie à ses pratiques autoritaires selon RFI, se caractérise par des mesures drastiques : "Les citoyens doivent faire la queue en rang aux arrêts de bus, sous peine de se faire fouetter par des soldats en faction. Les fonctionnaires arrivant en retard au travail se voient humilier, contraints de faire des sauts de grenouille en public."
Ces pratiques s'accompagnent d'atteintes aux droits de l'homme, notamment "l'emprisonnement du musicien Fela Kuti, voix critique à son encontre, sous un prétexte fallacieux", comme le souligne RFI. Renversé en 1985 par Ibrahim Babangida, Buhari passe trois ans en détention, mais "n'a jamais renoncé au pouvoir" selon RFI.
Après plusieurs tentatives électorales infructueuses, Buhari parvient finalement à conquérir le pouvoir par les urnes en 2015, remportant 54 % des voix face au président sortant Goodluck Jonathan. Cette victoire fait de lui "le premier leader de l'opposition à faire advenir en 2015 une alternance démocratique", un "exploit au Nigeria" selon RFI.
Cependant, son retour au pouvoir s'avère décevant. Surnommé "Baba-Go-Slow" car "il met six mois à former son gouvernement", Buhari doit faire face à une récession en 2016 due à la chute des cours du pétrole. Ses absences répétées pour des raisons de santé, notamment en 2017 où "il s'absente plus de cinq mois", fragilisent son autorité.
Les tensions culminent avec les critiques de sa propre épouse Aisha, qui affirme dans une interview à la BBC en 2016 qu'elle ne soutiendra pas sa réélection "s'il continue à ne pas connaître la plupart des ministres qu'il a nommés". La réponse de Buhari depuis l'Allemagne, selon laquelle la place de sa femme est "à la cuisine, au salon et dans la chambre", provoque le "regard désapprobateur d'Angela Merkel" selon RFI.
Les dernières années de Buhari au pouvoir sont marquées par une succession de crises. En 2020, le mouvement #EndSARS éclate après qu'un jeune homme soit "abattu par une unité de la police connue pour sa violence, la Special Anti Robbery Squad (SARS)", les policiers le soupçonnant d'être un arnaqueur Internet en raison de sa belle voiture. Le mouvement se solde par "une vague de pillages et un massacre au péage autoroutier de Lekki, à Lagos" où les forces de l'ordre "tirent dans la foule de manifestants, faisant au moins douze morts".
En juin 2021, Buhari fait un "buzz mondial en interdisant purement et simplement Twitter au Nigeria" après que la plateforme ait supprimé deux de ses tweets pour "incitation à la violence". Dans l'un d'eux, évoquant la guerre du Biafra, il menaçait les séparatistes : "Beaucoup de ceux qui se conduisent mal aujourd'hui sont trop jeunes pour avoir connu la destruction et la perte de vies qui se sont produites durant la guerre civile du Nigeria. Ceux d'entre nous (...) qui ont connu cette guerre les traiteront avec le langage qu'ils comprennent."
Cette décision suscite la critique du prix Nobel de littérature Wole Soyinka, qui exprime sa "surprise face à ce geste d'irritabilité, inconvenant pour un président élu démocratiquement", dénonçant un "spasme dictatorial" selon RFI.
Muhammadu Buhari laisse un bilan mitigé. S'il a réussi à enrayer l'expansion de Boko Haram et à "empêcher de fonder un califat dans le nord du pays", il n'est pas parvenu à "venir à bout du groupe armé". Son héritage économique et social reste préoccupant, avec une "forte inflation, dépréciation du naira, chômage endémique, endettement" qui ont plongé le pays dans une pauvreté telle que "la prise d'otage contre rançon a pris les proportions d'un véritable business dans le Nord".
Comme l'analysait l'écrivain Chigozie Obioma avant le scrutin de 2019, cité par RFI, le mandat de Buhari était "voué à l'échec", dans la mesure où "le mélange de diverses traditions tribales et de valeurs occidentales mène à un système politique unique qui n'est pas la démocratie, mais peut se définir au mieux comme un chaos atténué".