POURQUOI LE PAIGC A PERDU L'ELECTION
Aujourd'hui, la question que beaucoup d'observateurs se posent est celle de savoir comment le PAIGC, ce parti historique dont le destin était étroitement lié avec celui de la nation bissau-guinéenne, a perdu cette élection.

Les résultats du deuxième tour de l'élection présidentielle bissau-guinéenne sont tombés ce mercredi et le candidat du Madem, Umaro Sissoco Embalo, a été déclaré vainqueur avec 53, 55 % des voix contre 46,45 % pour son adversaire, Domingos Simoës Preira du PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et des îles du CapVert). Pour rappel, Domingos Preira était arrivé en tête lors du premier tour avec un peu plus de 40 % des suffrages contre 27 % pour Umaro Sissoco Embalo, arrivé deuxième. Seulement voilà : lors du second tour, ce dernier a bénéficié du soutien du candidat du PRS, Nuno Nabiam, et celui du président sortant José Mario Vaz, arrivés respectivement troisième et quatrième.
Aujourd'hui, la question que beaucoup d'observateurs se posent est celle de savoir comment le PAIGC, ce parti historique dont le destin était étroitement lié avec celui de la nation bissau-guinéenne, a perdu cette élection. Ce parti historique qui a conduit la lutte armée pour la libération nationale du pays du colon portugais. Un rôle historique qui faisait qu'aux yeux de la quasi-totalité des Bissau-guinéens, la Guinée-Bissau, c'est le PAIGC et vice-versa. Jusqu'à un temps récent, le vrai Bissau-guinéen, c'est celui-là qui avait pris les armes pour combattre le colon portugais.
Autrement dit, les vétérans du PAIGC bénéficiaient de plus de considération que les professeurs d'université ou autres cadres du pays au sein de la population. Et les dirigeants du PAIGC ont toujours profité de cette notoriété pour diriger le pays, avec souvent des pratiques peu orthodoxes. La corruption et la malversation y sont érigées en règle. Ministres, gouverneurs, préfets, agents de la fonction publique,... chacun travaille pour sa poche d'abord avant de penser au Trésor public. Conséquences : les caisses du pays sont tout le temps vides, les fonctionnaires restent des mois voire des années parfois sans salaires.
Conséquence de cette situation de pillage : il n’y a pas d'infrastructures sociales de base adéquates à l'intérieur du pays. Les populations partent se soigner dans les grandes villes et, pour les cas graves, ils vont à l'étranger. Les enseignants sont toujours en grève dans les écoles faute de salaires ou de plan de carrière. Le pays est frappé de plein fouet par le chômage, alors que les caciques du pouvoir passent sous les yeux des populations tous les jours dans de grosses cylindrées et habitent dans des villas cossues. à cela, il faut ajouter le trafic de drogue qui est devenu endémique en Guinée-Bissau depuis près de deux décennies et implique souvent des gens du pouvoir ou de l'armée.
Des officiers de l'armée sont devenus des milliardaires avec la drogue. On se rappelle que l'ancien chef de la marine nationale du pays, l’amiral Bubo Na Tchuto, avait été arrêté pour trafic de drogue par les Américains qui l'ont jugé et condamné à quatre ans de prison ferme, il y a un peu plus de cinq ans. En quelque sorte, les leaders du PAIGC avaient fini par croire que la Guinée-Bissau, c'est eux et personne d'autre, profitant de leur statut de libérateurs du pays.
Hélas pour eux, cette situation a commencé à changer, et les jeunes nés dans la période postindépendance, qui n'ont pas vécu la guerre de libération nationale, ont une autre philosophie. Surtout qu'aujourd'hui cette jeunesse se forme, de plus en plus, à l'étranger et est donc très imprégnée de ce qui se passe dans le monde. Pour ces jeunes, ce qui compte avant tout c'est l'intérêt supérieur de la Guinée-Bissau et, à leurs yeux, le PAIGC est devenu un frein pour le développement du pays. Ils estiment donc qu’il faut se départir des caciques de ce parti pour donner du sang neuf à l'appareil d'Etat.
Vote ethnico-religieux
Le président sortant, José Mario Vaz, l'avait vite compris et avait entamé des réformes dès son élection en 2014 notamment pour assainir la gestion des finances publiques, mais les décisions qu'il avait prises dans ce sens seront vite rejetées par certains membres du gouvernement. C'est pourquoi, il avait pris la décision de limoger le Premier ministre Domingos Simoës Preira. C'est là qu'est née la crise politique que le pays a traversée durant ces cinq dernières années entre Vaz et le PAIGC. Et c'est aussi, peut-être, cette crise qui a emporté le PAIGC.
A preuve, de majoritaire à l'Assemblée nationale en 2014 avec 57 députés sur les 102 que compte l'hémicycle, il s'est retrouvé avec 40 % seulement (soit 47 députés) lors des dernières législatives de mars dernier. Il lui a fallu des alliances avec d'autres formations pour avoir une majorité qui lui a permis de former un gouvernement. Avec l'élection de Embalo, il ne faut pas exclure de voir ces alliances voler en éclats, d'autant qu'en Guinée-Bissau les députés changent de couleurs comme des caméléons en fonction des offres qui leur sont faites. Exemple : au fort temps de la crise entre le président José Mario Vaz et Domingos Preira, une quinzaine de députés du PAIGC avaient changé de camp pour rejoindre l'opposition, rendant ainsi celui-ci minoritaire.
N'eut été la présence de l'ECOMIB, la force d’interposition de la CEDEAO, José Mario Vaz ne terminerait pas son mandat à la tête du pays, estiment beaucoup d'observateurs avisés. L'autre raison qui peut expliquer la chute du PAIGC peut être liée au vote ethnico-religieux. En fait, à l'image de beaucoup de pays africains, la politique est teintée de relents ethniques ou religieux en Guinée-Bissau. C'est ce qui a fait, par exemple, que José Mario Vaz a pu devenir président de la République. Il a été investi par le PAIGC en 2014 pour faire éclater l'électorat Balante, l'ethnie majoritaire dans le pays et qui était très favorable à Nuno Nabiam du PRS qui aurait pu l'emporter si le PAIGC avait investi Domingos Simoës Preira ou quelqu'un d'une autre ethnie. C'est pour cette raison que Vaz a toujours été considéré comme un président par défaut.
La religion a aussi joué un rôle important pour l'élection de Embalo qui appartient à la communauté peule musulmane qui est très importante en Guinée-Bissau et notamment dans les zones du Gabou et de Bafata. Cette communauté a massivement voté pour lui pour lui manifester son soutien mais aussi pour solder ses comptes avec Domingos qui interdisait l'appel des muezzins à certaines heures dans certains quartiers de Bissau, la capitale, quand il était Premier ministre.