NOUS DEVONS GAGNER LA BATAILLE DES CONTENUS
En marge de la 13ème session ordinaire de l’assemblée générale de l’Union africaine de radiodiffusion (Uar) qui se tient à Dakar du 2 au 3 juin, Mactar Sylla, ancien Dg de la Rts, a fait un tour d’horizon du monde de l’audiovisuel.

En marge de la 13ème session ordinaire de l’assemblée générale de l’Union africaine de radiodiffusion (Uar) qui se tient à Dakar du 2 au 3 juin, Mactar Sylla, ancien Dg de la Rts, a fait un tour d’horizon du monde de l’audiovisuel. Selon le Pdg de Label Tv au Gabon, le défi majeur des chaînes africaines, c’est de « gagner la bataille des contenus ». S’insurgeant contre la pléthore de chaînes, il appelle à une régulation de la publicité et à un financement correct de l’audiovisuel.
Les attentes sur l’assemblée générale de l’Uar
« L’Union africaine de radiodiffusion (Uar), est en fait, le seul organisme audiovisuel dans le monde qui unit le public et le privé. Et cette assemblée générale permet d’échanger des expériences, de collaborer, d’avoir des contenus. Il y a aussi un certain nombre de projets qui vont être mis en place.
Dans le contexte africain, il est très important que cette union des forces puisse se faire pour que nous puissions créer un véritable paysage médiatique national structuré, organisé, cohérent, régulé qui permette à tous les acteurs de pouvoir de prendre leur place, de jouer la complémentarité, pour qu’enfin, l’Afrique, et dans chaque pays, de manière globale, ait une politique audiovisuelle extérieure. Aujourd’hui, je pense que le continent a beaucoup à offrir en termes de contenus, en termes d’approche, en termes d’originalité, mais pour ce faire, il faudrait que nous soyons unis, que nous mettions nos moyens ensemble. Même s’il y a une sorte de concurrence, cela est très important, car autrement nous ne ferons pas le poids face à cette ‘’invasion de signaux’’ qui viennent d’un peu partout. Et je pense que c’est comme ça qu’on peut bâtir un secteur audiovisuel organisé. Je pense que l’apport du secteur privé fouette un peu et donne une sorte de dynamisme à l’ensemble de l’audiovisuel africain, pour que nous ne restions pas sur nos acquis, pour que nous prenions en compte les mutations du secteur et tous ses développements, pour qu’enfin la culture et la communication puissent prendre toute la place qui sied dans la construction nationale ».
« La guerre se fera par le façonnement des consciences »
« Je pense qu’on a un défi essentiel de contenu. La question technologique est importante parce que nous sommes à l’heure du digital, mais la véritable bataille aujourd’hui, c’est celle du contenu. Je le dis très souvent, les modes de domination dans le monde d’aujourd’hui ont évolué. C’est vrai, la guerre, il y a peut-être encore quelques armes, mais elle se fera par le façonnement des consciences, par l’éducation, par le jeu que l’on peut faire dans la mentalité des jeunes notamment, dans la consommation au quotidien. Cela a l’air de rien, mais la véritable bataille que nous devons gagner c’est la bataille des contenus.
Il faut prioritairement que chez nous, nos publics, lorsqu’il y a une chaîne de télévision, aillent prioritairement, sur les chaînes de télévisions nationales. C’est pourquoi je demande dans les espaces publics, dans les aéroports, dans les hôtels, qu’il y ait une sorte de réglementation qui force et contraint tout le monde à mettre les chaînes nationales. Vous ne verrez aucune chaîne africaine, dans un aéroport en Europe, ni en Asie. Mais ici, lorsque vous entrez dans n’importe quel site, on commence par les chaînes internationales. Et cela doit être régulé et respecté. Cela doit également être l’une des missions de l’autorité de régulation. Nous devons offrir au monde, toute une perspective panafricaine. Nous avons des valeurs, de la culture, de la richesse, aussi bien naturelle qu’intellectuelle ».
« Il faut que le secteur privé prenne sa place avec la publicité »
« Regardez comment on a survécu à la pandémie du Covid sans avoir les moyens ? L’Afrique a su résister en puisant dans notre tréfonds, dans notre potentiel, dans notre for intérieur pour soulever des montagnes. Cela est possible, mais nous devons gagner la bataille des contenus. Et pour cela, il faut un financement correct de l’audiovisuel. Je fais partie des gens qui militent pour un financement conséquent de l’audiovisuel, conforme à ses missions et à ses charges. Et à côté de cela, il faut réguler le domaine de la publicité. Il faut également réguler le secteur car aujourd’hui on voit un foisonnement de chaînes, des chaînes que je n’appelle même pas des chaînes. Il faut que tout cela soit remis en cause. On ne peut pas être dans un environnement ou chacun fait ce qu’il veut, cela va au détriment de la profession. Il faut que le secteur privé prenne sa place avec la publicité, avec d’autres moyens, qu’on mette également l’accent sur la formation ».
« Il faut absolument passer par l’audiovisuel avec sa digitalisation et toutes ses déclinaisons »
« La formation, ce n’est pas d’aller faire deux ans trois ans dans une école, c’est une formation continue, cela peut être des cycles de trois jours, une semaine…, qu’on renforce des capacités et qu’on exploite tout le potentiel que l’audiovisuel peut donner. Aujourd’hui, ce sont des milliers de métiers qui sont aussi dans le domaine qui est le nôtre. Il y a beaucoup de jeunes qui sont talentueux qui ne sont pas allés à l’école, qui n’ont pas eu le Bac, qui n’ont pas de doctorat et qui peuvent être de très bons acteurs dans le domaine de l’audiovisuel. Dans la plupart de nos pays, on parle d’émergence, mais pour gagner la bataille de l’émergence, il faut absolument passer par l’audiovisuel avec sa digitalisation et toutes ses déclinaisons ».
« Les gens n’ont pas de cahier de charges, chacun fait ce qu’il veut »
« Les difficultés sont énormes. Nous sommes dans des environnements qui sont dérégulés, les gens n’ont pas de cahier de charges, on ne sait pas quelles sont les conditions de vente, chacun fait ce qu’il veut, donc on vend à n’importe quel prix. Je pense que tout cela doit être organisé pour que non seulement on puisse vivre en partie de la publicité. Il faut des mandats et des cahiers de charges. On peut être un privé et avoir des mandats de services publics. Par exemple, pendant la pandémie de Covid, chacune de nos chaînes faisait dans la sensibilisation, pourtant ils n’ont rien reçu, en tout cas moi, je n’ai pas perçu un seul franc de qui que ce soit, et pourtant jusqu’au moment où je parle, chaque jour, il y a eu au moins deux à trois passages de sensibilisation et d’accompagnement parce que c’était une interpellation collective. Donc, toutes ces choses-là peuvent être rémunérées et il faut trouver véritablement des passerelles, des méthodes qui permettent, une fois qu’on a financé correctement le secteur public, de donner effectivement des missions de service public à des secteurs privés, surtout les plus professionnels ».
Couverture médiatique du voyage de Macky en Russie
« Aujourd’hui par exemple, le Président du Sénégal est à la tête de l’Union africaine, mais qu’est-ce que l’on fait concrètement en termes d’accompagnement ? Il est aujourd’hui en Russie. Qu’est-ce que l’on fait concrètement pour que le monde entier sente qu’aujourd’hui le dialogue est interrompu entre l’Occident et la Russie et qu’il y a un Africain, accompagné du Président de la commission de l’Union africaine, qui sont en train d’entreprendre une démarche qui peut porter ses fruits ? Quelles sont les agences internationales qui en parlent ? Très peu. Ça va être le black-out total. Et c’est dans des choses comme ça que nous pouvons structurer, également en utilisant nos langues internationales.
Cela le service public le fait. Nous utilisons nos langues nationales en étant repliés sur nous, mais en restant ouverts. La difficulté, ce n’est pas la langue, la première difficulté, c’est de produire et de bien produire de la qualité. Une fois que s’est fait, on peut le mettre dans toutes les langues possibles, imaginables. Aujourd’hui les Chinois ont lancé une chaîne en Foulani Pulaar, depuis presque un an, parce qu’il y a 69 millions de locuteurs foulani sur le continent africain. Est-ce que nous devons rester là, assis, à attendre que les choses se passent au-dessus de nos têtes, sur nos propres territoires ? Il n’y a pas de complexe à avoir dans ce domaine, l’Afrique a une partition à jouer dans le domaine de l’audiovisuel, et je pense que nous pouvons tous la jouer ensemble, public et privé, lever les difficultés et avancer ensemble ».