Murs calcinés, vitres brisées, portes défoncées, ordinateurs et livres éparpillés : cher au milieu culturel, l'Institut français à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, théâtre d'un putsch fin septembre, ne présente plus que des scènes de désolation
Le 1er octobre, des manifestations se sont multipliées au lendemain du coup d'État qui a porté le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, destituant le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, lui-même auteur d'un putsch huit mois plus tôt.
Des bâtiments français, notamment l'ambassade de France et les Instituts français à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, ont été pris à partie par des manifestants, qui accusaient Paris de protéger le lieutenant-colonel Damiba dont ils réclamaient le départ.
À Ouagadougou, la rue menant à l'Institut français est jonchée de bris de verres, de carcasses d'ordinateurs ou de climatiseurs brûlés.
Le bâtiment est désormais isolé par un périmètre de sécurité installé par la police burkinabè, a constaté ce 12 octobre un journaliste de l'AFP.
Dans le sas d'entrée, les portiques et scanners à bagages ont été calcinés, le plafond et les murs noircis par les flammes.
"C'est l'œuvre de vrais monstres, qui aujourd'hui ne peuvent même pas justifier le saccage de lieux si importants pour le monde culturel, estudiantin, professionnel et artistique", lâche, entre deux soupirs, William Somda, entrepreneur culturel, dépité par "l'étendue des dégâts". "Tous les bâtiments ont été saccagés : les deux niveaux de la médiathèque adulte, la médiathèque enfants, le centre de langue, la salle d'exposition et les deux salles de spectacle", déplore Thierry Bambara, régisseur général de l'Institut français de Ouagadougou.
"Les dégâts sont énormes. Il faudra attendre de faire le point exhaustif pour dresser un bilan chiffré des dégâts", poursuit-il, précisant que "des ordinateurs, divers autres appareils, dont des consoles, des instruments de musique ont été brûlés".
"On commence d'abord par brûler des livres et après on va brûler des hommes. Celui qui peut brûler une bibliothèque, un espace culturel, il a brûlé les hommes qui ont écrit ces livres", lance Salif Sanfo, un opérateur culturel et ancien député, scrutant les dégâts à la bibliothèque.
Dans la grande salle de la bibliothèque, les étagères renversées, des livres, couverts de suie, jonchent le sol, éparpillés entre des CD-ROM et des claviers d'ordinateurs.
"Un symbole"
"Nous nous trompons de route et nous faisons le jeu de ceux qui sont logiquement nos ennemis et qui ont brûlé les bibliothèques à Tombouctou (au Mali). Ceux qui ont incendié l'Institut français ne sont pas mieux que ces gens", les djihadistes qui ciblent le pays depuis 2015, tranche-t-il.
"C'est désolant ! Il va falloir condamner avec la plus grande fermeté les auteurs de ces actes de vandalisme", déplore Salif Sanfo, qui "espère ne plus voir une telle scène indigne de la légendaire hospitalité burkinabè". "Il ne faut pas jeter l'eau du bain avec le bébé. Qu'on soit pro-russe ou anti-français, l'institut a été et est pour le Burkina Faso un symbole", ajoute-t-il, en évoquant le sentiment anti-français et la présence de drapeaux russes lors des manifestations.
"Une deuxième maison"
"Ça fait des années qu'on fréquente ce lieu qui est devenu une deuxième maison pour nous. Le voir dans cet état, par le fait d'insensés, c'est une grosse tristesse, une désolation et une perte pour les Burkinabè, en particulier les artistes", explique à l'AFP Ali Ouedraogo, artiste plasticien, l'air hagard, devant des tableaux empilés dans la salle d'exposition.
Pour l'artiste musicien et instrumentiste burkinabè Kantala, "le saccage de l'Institut est un coup dur pour nous. Nos projets prennent un coup parce que ce qui était mis à notre disposition par cet espace et son administration, on n'est pas sûr de l'avoir ailleurs". "J'ai un festival en préparation qui devait se dérouler ici à l'Institut français en décembre. Maintenant je ne sais pas comment faire !", soupire-t-il.
Les deux instituts de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso sont fermés jusqu'à nouvel ordre, a indiqué dans un communiqué l'ambassade de France, dont les services et ceux du consulat général sont également suspendus.
LES NOMINATIONS AU CONSEIL DES MINISTRES DU 12 OCTOBRE
SenePlus publie ci-dessous, les nominations prononcées au Conseil des ministres du 12 octobre 2022.
"AU TITRE DES MESURES INDIVIDUELLES :
Le Président de la République a pris les décisions suivantes :
• Monsieur Yoro Moussa DIALLO, Magistrat, précédemment Conseiller Juridique à la Présidence de la République, est nommé Agent Judiciaire de l’Etat, poste vacant.
• Monsieur Aymérou GNINGUE, Ingénieur en Génie du Raffinage du Pétrole et Pétrochimie, est nommé Président du Conseil d’Administration de la HOLDING SOCIETES DES PETROLES DU SENEGAL (PETROSEN HOLDING SA), poste vacant.
• Monsieur Papa Ibrahima FAYE, Economiste- financier, précédemment, Directeur du Centre régional des Œuvres universitaires sociales de Saint- Louis, est nommé Directeur général du Fonds d’Entretien routier autonome (FERA), en remplacement de Monsieur Mamadou FAYE, appelé à d’autres fonctions.
• Monsieur Mamadou FAYE, Ingénieur en Génie civil, précédemment Directeur général du Fonds d’Entretien routier Autonome (FERA), est nommé Directeur général de la Société de Gestion des Infrastructures publiques dans les Pôles urbains de Diamniadio et du Lac Rose (SOGIP SA), poste vacant.
• Monsieur Abdoulaye DIOP, Cadre commercial, est nommé Directeur général du Conseil Sénégalais des Chargeurs (COSEC), en remplacement de Monsieur Mamadou NDIONE, appelé à d’autres fonctions.
• Monsieur Mohamadou DIAITE, Inspecteur des Impôts et des Domaines de classe exceptionnelle, précédemment Directeur de l’Administration et du Personnel à la Direction générale des Impôts et des Domaines, est nommé Directeur général de la société nationale « La Poste », en remplacement de Monsieur Abdoulaye bibi BALDE, appelé à d’autres fonctions.
• Monsieur Chérif BALDE, Physico - Chimiste, Professeur des Universités, précédemment Président du Conseil de Réglementation de l’Agence sénégalaise de Règlementation Pharmaceutique (ARP), est nommé Directeur général du Centre Expérimental de Recherche et d’Etudes pour l’Equipement, en remplacement du Professeur Papa Goumba LO, admis à faire valoir ses droits à une pension de retraite.
• Monsieur Ahmadou Bamba KA, Docteur ès Lettres, est nommé Directeur du Centre régional des Œuvres universitaires sociales de Saint- Louis, en remplacement de Monsieur Papa Ibrahima FAYE, appelé à d’autres fonctions.
• Monsieur Ousseynou DIOP, Professeur des Universités, matricule de solde 665 794/C, est nommé Directeur du Centre régional des Œuvres Universitaires sociales du Sine Saloum.
• Madame Néné Fatoumata TALL, Titulaire d’un Master 2 en Administration des Affaires, est nommée Coordonnateur national du Programme de Développement de la Microfinance Islamique au Sénégal (PROMISE), poste vacant.
• Monsieur Yellamine GOUMBALA, Administrateur civil, matricule de solde 608 556/H, est nommé Secrétaire général de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP), en remplacement de Monsieur Samba Alassane THIAM, appelé à d’autres fonctions.
• Monsieur Léonce NZALLY, Administrateur civil principal, précédemment Directeur de l’Administration générale et de l’Equipement (DAGE) au Ministère de la Culture et de la Communication, est nommé Directeur de l’Administration générale et de l’Equipement au Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, poste vacant."
LA DOCTRINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Par quelle magie, le Conseil qui avait refusé à Macky Sall de réduire son propre mandat pourrait lui offrir la possibilité d’augmenter le nombre de mandats que lui avait conféré le peuple au moment de son élection en 2012 ?
Dans sa décision n° 1-C-2016 du 12 février 2016, le Conseil constitutionnel affirmait que les citoyens doivent avoir une parfaite lisibilité de la durée applicable au mandat du président de la République, au moment des élections. Par extension, on pourrait en déduire que les citoyens doivent également savoir le nombre de mandats auquel a droit le président de la République au moment de son élection.
En 2016, saisi par le président de la République aux fins d’examiner la conformité du projet de révision de la Charte fondamentale à l’esprit général de la Constitution, le Conseil constitutionnel avait été intransigeant par rapport au nécessaire respect de la sécurité juridique et de la stabilité des institutions. Que faudrait-il comprendre à travers cette jurisprudence de la haute juridiction rendue en 2016, à l’occasion du référendum ?
D’abord, dans cette fameuse décision n° 1-C-2016 du 12 février 2016, les sept sages affirmaient de manière claire, nette et précise que : ‘’Pour la sauvegarde de la sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions, le droit applicable à une situation doit être connu au moment où celle-ci prend naissance.’’ De manière simple, les citoyens doivent avoir une parfaite lisibilité de la durée applicable au mandat du président de la République, au moment même des élections.
Dans la même veine, les sages ajoutaient que : ‘’Ni la sécurité juridique ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée.’’ Autrement dit, le chef de l’Etat, quel que soit le motif invoqué, qu’il soit bon ou mauvais, ne peut modifier la durée de son mandat en cours d’exercice. Il ne peut même pas la réduire, a fortiori la proroger à travers une révision constitutionnelle. Une jurisprudence que les tenants de l’actuel régime s’étaient empressés de brandir partout pour se dédouaner de leur engagement de faire cinq ans au lieu de sept ans.
Comment quelqu’un qui ne peut même pas diminuer la durée de son mandat (de 7 à 5 ans) peut-il augmenter le nombre de ses mandats (de 2 à 3 au minimum) ? Par quelle magie, le Conseil qui avait refusé à Macky Sall de réduire son propre mandat pourrait lui offrir la possibilité d’augmenter le nombre de mandats que lui avait conféré le peuple au moment de son élection en 2012 ? Raisonner ainsi, comme le ministre d’Etat Mbaye Ndiaye a eu à le faire, hier sur la RFM, c’est admettre le principe du mandat illimité, comme ce fut le cas aux heures sombres de la démocratie sénégalaise.
En effet, à chaque changement de régime, il suffirait de modifier le mandat dans un sens ou dans un autre, pour se donner le droit de postuler à un mandat supplémentaire. Mieux, il suffirait à Macky Sall, s’il se présente et est réélu en 2024, de porter à nouveau la durée du mandat à sept ans, pour avoir droit à deux nouveaux septennats, si l’on suit ce raisonnement de certains acteurs politiques, y compris des juristes.
En attendant, la doctrine du Conseil constitutionnel permet de garder l’espoir quant à la préservation de l’Etat de droit et de la stabilité politique du pays. ‘’La sécurité juridique et la stabilité des institutions, selon le Conseil, sont inséparables de l’État de droit dont le respect et la consolidation sont proclamés dans le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001.’’
Pourquoi la troisième candidature de Wade n’est pas comparable à celle de Macky Sall?
En 2000, Abdoulaye Wade était élu sur la base d’une Constitution qui prévoyait un nombre illimité de mandat. Laquelle disposition a été modifiée à travers le référendum de 2001 qui a apporté la limitation des mandats à deux. Du fait de cette modification, il y avait un conflit entre l’ancienne loi constitutionnelle qui ne prévoyait pas de limite et celle de 2001 qui prévoit une limite. La question juridique qui se posait était alors de savoir laquelle des deux lois devait régir le premier mandat acquis en 2000 ? Le Conseil constitutionnel avait tranché en 2012 en faveur de la non-rétroactivité de la loi de 2001, en se basant plus sur la lettre de l’article 27 que sur son esprit.
En ce qui concerne Macky Sall, il est élu en 2012 sur la base d’une Constitution qui prévoyait deux mandats. En 2016, sur ce point précis du nombre de mandats, le référendum de 2016 n’a apporté aucun changement. Au contraire, il a conforté et consolidé la limitation. En conséquence, on peut légitimement se demander quel est ici le conflit de loi qui nécessite toute cette gymnastique intellectuelle. En effet, aussi bien dans sa lettre que dans son esprit, les dispositions constitutionnelles semblaient jusque-là sans équivoque. Sauf, apparemment, pour les tenants de l’actuel régime.
NOUS NE POUVONS PAS CONTINUELLEMENT ÊTRE LES PIONS DES AUTRES
Éditorialiste, intellectuel, Paap Seen est un des co-auteurs du livre “Politisez-vous”, paru en 2017. Il appelle dans cet entretien, les pays africains à “se détacher des influences coloniales et à devenir leur propre centre”
Éditorialiste, intellectuel, Paap Seen est un des co-auteurs du livre “Politisez-vous”, paru en 2017. Dans cet entretien, il analyse les ressorts de l’attrait qu’exerce la Russie sur une partie de la jeunesse africaine. Contre la dépendance étrangère, il appelle les pays africains à “se détacher des influences coloniales et à devenir leur propre centre”.
Question provocatrice : vous êtes plutôt Poutine ou Macron ?
Je suis Sénégalais, je vis au Sénégal et je n’ai qu'un seul passeport. Il n’est ni russe, ni français. Mais en tant que citoyen du monde, si je devais choisir, je dirais aucun des deux pour des raisons idéologiques et par principe. Emmanuel Macron a une vision du monde ultra-libéral qui, dans son pays, donne le pouvoir aux plus riches, casse les avantages sociaux et détruit les classes populaires. Cela se traduit par une financiarisation de l’économie ainsi que par des crises économiques et sociales de plus en plus violentes. Concernant Vladimir Poutine, je suis un militant de la démocratie car elle garantit le respect des droits fondamentaux et la liberté. L’autocratie et la dictature ne sont pas des systèmes que je pense justes et défendables. Aussi, la liberté des peuples est un droit inaliénable et je crois que l’invasion de l’Ukraine est injustifiable.
Comment avez-vous interprété l’image de jeunes burkinabés, et même d’un soldat debout sur un char brandissant le drapeau russe ?
Triste. Penser, un seul instant, que la solution viendra d’un pays étranger, qui lui-même ne parvient pas à s’occuper des problèmes de ses citoyens relève de la naïveté. Nous n’avons pas à déléguer nos responsabilités. Ce qui a été vendu à ces jeunes, c’est juste la haine de la France, qui ne peut être un mouvement libérateur et qui ne va pas délivrer le Burkina Faso de l’hydre terroriste. J’étais sidéré de recevoir sur WhatsApp des images de la neofasciste italienne Giorgia Meloni. Cette femme déteste les Noirs, les musulmans. Elle est l’héritière d'un mouvement haineux et raciste et elle veut jeter à la mer les immigrés mais parce qu’elle s’en prend à la France, des Africains partagent et font tourner une vidéo d’elle. Si nos chefs d'État préfèrent s’aligner sur les intérêts de la France, maintenir le FCFA, ce n’est pas en raison de menaces mais parce qu’ils pensent faire preuve de pragmatisme au détriment d'un choix de souveraineté. Ils pensent à leurs intérêts immédiats. Si la France se montre encore paternaliste et voit l’Afrique de l’Ouest comme une zone d’influence, c’est parce que nos élites refusent de couper les liens. Évidemment, on ne peut pas comparer la présence française en Afrique à celle de la Russie ou de la Chine.
Ce qui nous lie à la France, c’est une histoire faite d’oppression et de pillages. Mais aujourd'hui, on voit, que cela soit en Centrafrique ou de plus en plus au Mali, les Russes se comporter de manière arrogante. Pourquoi ? Parce que nous affichons une image négative de nous-mêmes, en les exhortant à venir nous sauver. C’est à l’Afrique de se sauver par sa volonté propre. Cela se fera lorsque nous choisirons des dirigeants compétents, loyaux et moralement aptes. C’est difficile de faire face à soi-même et très facile de toujours trouver des boucs-émissaires. Nous ne pouvons pas continuellement être les pions des autres. Allez aujourd’hui sur les réseaux sociaux et regardez la vague de fausses informations distillées par tous ces pays qui cherchent à capter les cerveaux des jeunes africains. Énormément de stratégies et de moyens sont mis en œuvre pour influencer notre jeunesse et recruter des activistes pro tel pays ou tel autre pays. Pour prendre le pouvoir ou le garder, les hommes politiques font des clins d'œil à ces puissances étrangères. C’est glaçant.
Avant le Burkina, on a vu de pareilles scènes au Mali, en Centrafrique et parfois au Niger. Certains y voient une difficulté des Africains à délivrer leurs chaînes, qu'elles soient françaises, russes ou chinoises. Qu’en pensez-vous ?
Les pays que vous avez cité sont tous en faillite. En tout cas, le Mali et la Centrafrique ne sont plus des États viables. Une grande partie du Mali est devenue un no man's land et les raisons de l’affaissement de l'État malien sont connues : des frontières coloniales qui n’ont jamais été acceptées par les populations du Nord, des différends ethniques persistants, le conflit interne algérien qui a poussé des islamistes à venir avec leurs armes et leurs idéologies mortifères au Nord du Mali, la faiblesse et la cupidité des dirigeants de Bamako qui n’ont su trouver des solutions aux défis immenses du pays. Mais surtout la guerre en Libye qui a permis la circulation d’armes et de trafics de toutes sortes. Au Burkina Faso, la chute de Blaise Compaoré a été un catalyseur. Pour garder le pouvoir et maintenir son influence dans la sous-région, il n’hésitait pas à négocier avec les djihadistes.
Ce qui est aussi constant, c’est que l’Afrique de l’Ouest voit depuis plusieurs décennies arriver un discours religieux qui n’a rien à voir avec l’islam ouvert et tolérant. Par ailleurs, nos sociétés connaissent de grands bouleversements et les populations exsangues, fatiguées ne savent que faire. Je n'interprète pas ces scènes comme un refus de liberté, c’est tout le contraire. La jeunesse africaine cherche désespérément de l’aide. Devant l’horizon obstrué et les calamités qui l’accablent, elle veut s’agripper à une bouée de sauvetage. Si ce n’est pas François Hollande et Barkhane qui viennent à son secours, c’est Vladimir Poutine, incarnation du dirigeant viril et dominateur et la milice Wagner qui lui tendent la main. Les militaires qui ont pris le pouvoir excitent la jeunesse de leurs pays, au lieu d’aller au front, de « vaincre ou de périr » devant l’adversaire redoutable qui continue de se mouvoir en toute tranquillité. Les djihadistes se frottent les mains ! Où est la CEDEAO ? Elle impose des sanctions hallucinantes au Mali, en proie à la plus grande crise de son existence. Si les dirigeants africains avaient envoyé une force commune quand les hordes de djihadistes voulaient attaquer Bamako et détruire le Mali, nous n’en serions pas là.
Les manifestations anti françaises à Ouaga, et même les pillages de magasins Auchan au Sénégal en mars 2021, ne sont-elles pas finalement le signe que le ressentiment colonial est toujours vivace ?
Il faut aussi voir ces soulèvements pour ce qu’ils ont de plus fondamental : le désespoir de la jeunesse. Malheureusement, cette colère n’est pas captée par les mouvements progressistes, qui sont complètement inaudibles aujourd’hui en Afrique. Comme nous pouvons le voir partout dans le monde, les populistes-conservateurs, parce que leur discours est dénué de toute complexité, parviennent à se saisir des ressentiments et des peurs. Qu’est-ce qui s’est passé après ces événements ? Rien. Les morts et les blessés ont été oubliés. Le capital français est plus triomphant que jamais et les Turcs ou les Chinois sont aux aguets. Des entreprises comme Auchan sont partout dans le monde. Il faut se demander pourquoi les élites de nos pays préfèrent acquérir des villas en Occident, acheter les plus belles voitures qui existent, ou encore investir tout le temps dans l’immobilier au lieu de miser sur l’industrie, l’agro-alimentaire ou injecter des fonds dans les entreprises locales. Au Sénégal, particulièrement, l’économie est dominée par les intermédiaires et les rentiers. Nous devons questionner tout cela, appeler à la raison nos dirigeants comme ici au Sénégal où le président de la République continue à maintenir le flou sur un 3e mandat ; développer des universités et de grands centres de recherches ; donner une éducation aux enfants de nos pays. L’Afrique devra accueillir près de 2,7 milliards d’habitants en 2050. Comment les nourrir ? Comment les loger ? Comment les soigner ? Ces questions radicales appellent à des réflexions complexes et sans tabou. Il ne faut pas substituer à la faiblesse théorique et idéologique la haine des autres. L’autonomie ne se gagne pas par les slogans mais par la production, économique et intellectuelle. À nos problèmes internes, viendront s’ajouter le dérèglement climatique, les pandémies, les crises économiques cycliques et les conflits qui vont secouer le monde. Pour moi, la contradiction principale reste la création de sociétés ouvertes, l’accès et la circulation du savoir. C’est un difficile chemin, un combat contre soi-même, qui n'est malheureusement pas à l’ordre du jour. Quoi qu'il qu’en soit, l’Afrique de l’Ouest, particulièrement, doit changer de trajectoire. Nous devons avoir peur de l’avenir !
Comment décoloniser les esprits et parvenir à une réelle souveraineté africaine ?
Vaste interrogation. Je ne pense pas qu’un pays comme le Sénégal ne soit pas souverain. Il l’est. Maintenant face aux grands ensembles et aux puissances, le Sénégal aura du mal à tirer son épingle du jeu. C’est juste un exemple pour dire que nos États ont intérêt à construire le panafricanisme. Les nations prises isolément ont accusé beaucoup de retard dans les domaines scientifiques et technologiques. Les économies ne sont pas performantes et la circulation des connaissances est entravée. Le panafricanisme, pour paraphraser Samir Amin, n'est pas une idéologie grandiloquente. Il permet aux pays africains de se détacher des influences coloniales et de devenir leur propre centre. Mais avant même d’aller vers un ensemble à l’échelle continental, consolidons, au niveau de la sous-région les acquis. Exigeons des dirigeants de nos États le déploiement des Forces en attente de la CEDEAO pour desserrer l’étau au Mali et au Burkina Faso, construisons une CEDEAO des peuples. Nous devons nous donner la main et nous entraider, bâtir ensemble. Sans cette première phase, qui sera le début de notre autosuffisance économique, politique et scientifique et qui nous permettra d’être assez puissant pour défendre nos intérêts, il sera difficile de décoloniser les esprits. Cette décolonisation exige aussi de connecter l’enseignement et les savoirs aux langues africaines. Comment pouvons-nous continuer à enseigner et à produire la connaissance dans des langues complètement éloignées de nos paradigmes ?