par l'éditorialiste de seneplus, jean-claude djéréké
MGR ALBERT NDONGMO, UN PROPHÈTE EN AVANCE SUR SON TEMPS
EXCLUSIF SENEPLUS - Il a été persécuté, diffamé et injustement condamné, abandonné par les siens lors de son procès. Ce prêtre fut contraint à l’exil parce qu'il voulait une Église africaine qui se prenne en charge
Jean-Claude Djéréké de SenePlus |
Publication 04/09/2022
Mgr Albert Ndongmo avait été accusé d’avoir voulu renverser Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun, ou d’avoir encouragé les femmes bamiléké à avoir beaucoup d’enfants afin que les Bamilékés puissent devenir les plus nombreux et porter un des leurs au pouvoir. Accusations fondées ou non ? Comment Ndongmo fut-il nommé à la tête du diocèse de Nkongsamba ? Que voulait-il pour ce diocèse ? Quelle était sa vision ?
Selon les informations que nous avons obtenues de sources différentes, Ndongmo ne faisait pas partie des prêtres camerounais à qui l’on pensait pour succéder à Mgr Paul Bouque. Les prêtres du Sacré-Cœur de Saint-Quentin, qui ont “évangélisé” le diocèse de Nkongsamba, ne le portaient guère dans leur cœur, parce qu’il était un homme brillant, libre et direct. Ils préféraient quelqu’un qui ferait leur volonté et dépendrait de leur générosité. Le Vatican ne les suivit pas puisqu’il choisit Albert Ndongmo qu’il avait découvert à une rencontre de la Jeunesse ouvrière catholique (JOC) au Nigeria. L’exposé de l’abbé Ndongmo sur la JOC camerounaise avait séduit la délégation vaticane présente à cette rencontre. “C’était un intellectuel au sens le plus plein du terme, le symbole du courage de dire”, confirme André Norbert Ntonfo. Le 15 mars 1960, l’abbé Ndongmo lance le journal ‘L’Essor des jeunes’ pour permettre à la jeunesse catholique de Nkongsamba de débattre librement des problèmes du pays. Devenu évêque de Nkongsamba, le 16 juin 1964, il continue de soutenir le journal où sont publiés quelquefois des extraits de ses lettres pastorales. Le pouvoir ne tarde pas à exprimer des craintes pour ce journal qu’il juge subversif. Quant à Mgr Jean Zoa, il souhaite que le quotidien déménage de Nkongsamba à Yaoundé et devienne national. Ndongmo répond négativement à la requête de l’archevêque de Yaoundé. Est-ce à cause de cette réponse négative que Mgr Zoa refusa de soutenir Ndongmo quand ce dernier fut accusé de participation à une tentative de coup d’État contre Ahidjo ? En tous les cas, les prêches de Mgr Ndongmo attiraient du monde, parce qu’ils critiquaient la corruption et la brutalité du régime, parce que Mgr Ndongmo n’avait de cesse d’indiquer que “l’Évangile doit être incarné dans les réalités camerounaises de l’heure” ou que “l’Église ne peut conduire les hommes au ciel comme si la terre n’existait pas”. Mongo Beti, qu’on ne peut soupçonner de caresser l’Église catholique dans le sens du poil, admirait Mgr Ndongmo au point de le décrire comme “la goutte d’humanité dans un océan de bureaucratie” et “la bête noire des soi-disant experts” (cf. ‘Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation’, Paris, Éditions François Maspero, 1972). C’est sous sa plume que l’on apprend que “rien n'avait été négligé pour conditionner l’opinion camerounaise et internationale en accréditant la thèse de la culpabilité des accusés bien avant leur jugement”. Le romancier camerounais poursuit : “À la veille de l'arrestation de l’évêque, le bureau local de l'AFP lança plusieurs fois une dépêche à l'évidence mensongère, selon laquelle des stocks d’armes avaient été découverts dans des locaux appartenant à l'évêché de Nkongsamba. Aucun journal honnête n'aurait dû reproduire une dépêche aussi peu conforme aux usages de la profession : elle fut cependant reproduite telle quelle dans Le Monde où officiait alors un certain Philippe Decraene, autre grand ami et conseiller occulte du dictateur camerounais Ahidjo. Toutes les tentatives effectuées par la suite par des Camerounais, y compris Mgr Albert Ndongmo, pour démentir l’information furent vaines.” (cf. ‘Peuples noirs-Peuples africains’, n. 47, 1985)
Mgr Ndongmo avait créé l’entreprise “La Mungo-Plastique” en mars 1970 pour la fabrication d’objets en matière plastique parce qu’il ne voulait pas que son diocèse soit perpétuellement assisté. Au bout de 3 mois, l’entreprise enregistre un bénéfice de 9 millions de franc CFA. L’argent était destiné “à alimenter les caisses des écoles, des hôpitaux et la création d’une caisse retraite pour les prêtres âgés”. Mgr Ndongmo ne s’arrêta pas là. Le diocèse devint actionnaire dans plusieurs affaires (centre climatique et touristique de Dschang, les librairies catholiques de Nkongsamba et Douala, la boucherie de Nkongsamba, des hôtels, plusieurs plantations, etc.). Ndongmo comptait à long terme s’investir dans la production de cahiers scolaires et de chaussettes, dans la création d’une caisse mutuelle (maladie et retraite) pour tous les diocèses du Cameroun. Il confie à des expatriés la gestion de la Mungo-Plastique. En mars 1970, 70 personnes sont employées par la Mungo-Plastique. Ce dynamisme est cependant mal vu par le colonisateur français et ses pantins locaux. On a peur de ce prélat qui veut s’émanciper de la domination économique française. On le suspecte même de chercher l’argent nécessaire pour soutenir l’Union des populations du Cameroun (UPC) et renverser le régime néocolonial installé en 1960 par Paris. En avril 1970, la sûreté nationale et la BMM (Brigade mobile mixte) passent à l’attaque contre la Mungo-Plastique. Le 17 avril 1970, Christophe Tcheuleu Tientcheu, cogestionnaire de l’entreprise, est arrêté. Le 27 Juin 1970, le Belge Yves Verbeek, recruté par Mgr Ndongmo, est prié de quitter le Cameroun sans motif. Le 3 juillet 1970, c’est au tour du technicien Krzeminski d’être expulsé. Privée de ses deux principaux cadres, la Mungo-Plastique est obligée d’arrêter ses activités. L’entreprise est mise en vente mais Jean Fochivé, le tout-puissant patron de la police camerounaise, promet l’enfer à quiconque voudra la racheter. Fochivé avait emprunté 60 millions de franc CFA au diocèse de Nkongsamba. Pour ne pas rembourser sa dette, il va accuser Ndongmo d’avoir participé à un complot visant à assassiner Ahidjo.
Au terme d’un faux procès, la peine capitale est prononcée contre Mgr Ndongmo à qui les autorités camerounaises avaient pourtant demandé de nouer des contacts avec Ernest Ouandié. Sa peine est ensuite commuée en détention à vie dans un camp de “rééducation civique” du Nord-Cameroun. Le 16 mai 1975, il est libéré sous la pression de la section canadienne d’Amnesty International. Il s’exile d’abord à Rome, puis au Canada où il s’éteint, le 29 mai 1992.
Quand Ndongmo fut condamné à mort, il n’y avait personne pour protester, ce qui poussa Mongo Beti à poser la question suivante : “Pourquoi ce peuple, que Mgr Ndongmo défend tant au point de pouvoir donner sa vie pour lui, ne s’est-il pas mobilisé pour lui manifester sa solidarité, le soutenir ?” (cf. ‘Main basse sur le Cameroun’). Même ses confrères ne levèrent pas le petit doigt. Mgr Zoa estimait qu’il ne fallait pas confondre Mgr Ndongmo avec l’Église catholique. Certains pensent que c’est ce manque de solidarité qui empêcha l’archevêque de Yaoundé d’être promu cardinal.
À Bafou, avant l’enterrement de Ndongmo, l’abbé André Ségue n’y va pas de main morte dans son homélie quand il déclare : “Mgr Albert Ndongmo a été trahi par des hommes d’Église et de nombreux chrétiens qui, au moment où il en avait le plus grand besoin, n’ont pas appliqué l’Évangile à son égard en prenant le parti de l’opprimé.” Pour sa part, Mgr Thomas Nkuissi, successeur de Ndongmo, admet qu’il “n’est pas aisé d’être évêque de Nkongsamba : un peuple des plus travailleurs, et qui, depuis l’indépendance, ne reçoit pas sa part du fruit de son labeur”. Il ajoute : “Comment un Pasteur, aimant ce peuple, pourrait-il lui parler de l’espérance divine sans dire un mot sur l’espoir humain ?... Résultat : rupture du ministère, l’expérience de la torture, la mort en exil… Nous sommes nombreux à avoir collaboré à la mort de Monseigneur Ndongmo, mais nous n’en avons pas conscience, nous refusons d’en prendre conscience.”
Pendant le procès, l’Association interdiocésaine des prêtres indigènes avait interpellé les évêques du Cameroun en ces termes : “Voilà plus de trois mois que nous scrutons vainement l’horizon, attendant de vous une parole, un acte, un signe. Mais vous êtes restés étonnamment et obstinément discrets, muets, absents, et cela n’a fait qu’épaissir notre angoisse. Pourquoi, Excellences, depuis le début de l’affaire Ndongmo, avez-vous autant de prises de position aussi contradictoires ? Est-il vrai, Excellences, que pendant la détention de Mgr Ndongmo à Yaoundé, vous ou certains parmi vous n’avez pas rendu ou tenté de rendre visite à votre confrère qui était en prison ? Où étiez-vous, Excellences, pendant tous les deux procès ? Est-il vrai que vous n’avez pas assisté votre confrère lors de son jugement, malgré la promesse que vous aviez faite le 11-11-70 ?”
Il nous reste à présenter la réponse de Ndongmo à l’accusation selon laquelle il aurait demandé aux Bamilékés de faire beaucoup d’enfants afin de prendre le pouvoir d’État. Cette réponse, intitulée “Je ne peux plus me taire”, a été publiée dans la revue ‘Peuples Noirs-Peuples Africains de Mongo Beti (nn. 55/56/57/58, année 1987, pp.107-110). Voici comment Ndongmo se défend : “On dit que, le samedi 28 mars 1987 à 8 heures du matin a eu lieu le baptême des enfants de M. Tekam Jean-Michel, baptême fait par moi à 92 Neuilly-sur-Seine, dans une petite église située à côté du domicile de M. Tekam. Or la vérité est bien différente : j’ai baptisé les 4 (quatre) enfants de M. et Mme René Youmbi à 95110 Sannois, petite ville de banlieue nord de Paris, à 16 heures, et non à 8 heures du matin ; le 14 mars et non le 28… En dehors du Professeur Kapet et de Monsieur Tekam, je n’ai vu aucun de ceux qui sont mentionnés. Par contre, il y avait des Français, des Antillais, des Espagnols, des Camerounais de tribus autres que bamiléké. Pour ce qui a trait aux trois déclarations que j’aurais faites, à savoir : 1) les Bamilékés doivent conquérir le monopole dans l’Église catholique du Cameroun ; 2) « il faut encourager les naissances parmi les populations bamilékés ; 3) il faut encourager les Bamilékés à être présents dans tous les milieux, je dois dire que ces déclarations sont inventées, voire créées de toutes pièces pour me discréditer et vilipender les Camerounais d’origine bamiléké. Où ces déclarations ont-elles été faites ? À l’église ? Lors de la réception chez Youmbi ?... S’il y a un péché dont je me suis cru pur jusqu’ici, c’est bien du péché de tribalisme et de racisme. Et c’est bien de ce péché que je suis accusé, et par le mémorandum des prêtres autochtones de l’archidiocèse de Douala, et par la note de Paris. Au baptême des enfants des Youmbi, je n’ai parlé que du baptême à partir d’un texte que j’avais envoyé des mois à l’avance à M. et Mme Youmbi pour les préparer au baptême de leurs enfants. Ce même texte a été remis à M. le Curé de Sannois. J’ai prêché publiquement, et rien des trois déclarations ci-dessus n’a été prêché ni à l’église, ni en dehors de l’église, puisqu’après le baptême, j’ai juste assisté à l’ouverture de la réception, et je me suis retiré pour aller dormir. Je déclare donc devant Dieu et ma conscience d’évêque que les trois assertions ci-dessus sont de pures créations ex nihilo ou de pures sécrétions du cerveau. De vilenie... En conséquence, je déclare, par le présent article, n’avoir jamais posé un acte qui, de près ou de loin, ait poussé les Camerounais ou des Camerounais à se diviser ; je ne poserai jamais un tel acte ; je demande que les autorités camerounaises fassent une enquête sur le baptême que j’ai conféré aux 4 enfants des Youmbi, afin de vérifier mes dires, voir les photos prises, les lieux, le document sur les baptêmes chez les Youmbi et chez M. le Curé de Sannois… Ainsi on verrait de quel côté viennent les affabulations, et justice me serait faite… Si, suite à cette enquête, il s’avérait que je porte tous les péchés d’Israël, je suis prêt à renoncer à ma citoyenneté camerounaise et à remettre mon passeport camerounais à qui de droit. Je n’aurais plus, dès lors, que la consolation théologique qui consiste à savoir qu’être camerounais n’est pas un article de foi nécessaire au salut… Je déclare que le pouvoir politique ne m’intéresse point ni au Cameroun, ni ailleurs. J’ai accepté librement ma vocation de Prêtre et d’Évêque catholique pour servir Dieu, l’homme et le monde dans une sphère qui n’est point politique, mais surnaturelle.”
Albert Ndongmo a été persécuté, diffamé et injustement condamné, abandonné par les siens lors de son procès, contraint à l’exil parce qu’il était en avance sur son temps, parce qu’il réfléchissait et parlait comme les prophètes de l’Ancien et du nouveau Testaments, parce qu’il était contre la médiocrité et la facilité, parce qu’il voulait un Évangile incarné et une Église africaine qui se prenne en charge, parce qu’il rêvait d’un Cameroun libre et souverain. Il fut combattu “parce qu’un Africain autonome, c'est un nègre potentiellement lucide, donc rebelle, vrai danger mortel pour le système”. Et Mongo Beti ajoute : “Tout Africain susceptible d’exercer quelque influence, à moins qu'il ne soit déjà acquis à la cause, doit être d’abord assisté, puis retourné et enfin contrôlé. Telles sont les trois étapes qu'on a essayé de faire parcourir à Mgr Albert Ndongmo. En vain, rappelons-le.”
par Ousseynou Nar Gueye
AUCHAN SÉNÉGAL N'EST PAS LA FRANCE NÉO-COLONISATRICE
Auchan est une société de droit sénégalais à capitaux français. C'est la marque de l'accession à la société de consommation, futur indépassable de toutes les sociétés modernes, urbanisées et en progrès économique
Auchan nous est précieux, Auchan nous est utile, Auchan stabilise les prix qui font notre pouvoir d'achat. Après analyse longue : nos compatriotes empapaoutés par la paupérisation qui pillaient les rayonnages des magasins Auchan en mars 2021 ne s'en prenaient pas à un symbole français.
Ils voulaient juste accéder à un temple de la consommation qui leur est refusé en temps normal, et jouir des mêmes produits auxquels accèdent quotidiennement la rare haute bourgeoisie et la passablement étroite aussi classe moyenne qui s'escrime elle également à maintenir un niveau de vie décent, pour leurs enfants et avec les salaires des deux membres du couple.
Les supposés France-dégagistes ne s'en sont pris ni à Carrefour, ni à Casino, ni à Supéco, ni à Utile, autres enseignes de supermarchés gauloises à Djoloff.
Auchan Sénégal, ce n'est pas le symbole de la France néo-colonisatrice : c'est une société de droit sénégalais à capitaux français et c'est la marque de l'accession à la société de consommation, futur indépassable de toutes les sociétés modernes, urbanisées et en progrès économique.
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VALENTIN-YVES MUDIMBE, SORTIR L'AFRIQUE DU REGARD COLONIAL
Le philosophe congolais est l'auteur d'un ensemble de textes, de récits sur lesquels s’est construite l’image du continent. Il défend le principe d’un savoir africain à travers le principe de la gnose et une forme d’indiscipline intellectuelle
L'œuvre de Valentin-Yves Mudimbe, philosophe congolais né en 1941, a déconstruit le regard de l’Occident sur l’Afrique, notamment dans The invention of Africa (L’Invention de l’Afrique, 1988), devenu un classique des études africaines.
Il a forgé le concept de bibliothèque coloniale, un ensemble de textes, de discours et de récits sur lesquels s’est construite l’image du continent. Il défend le principe d’un savoir africain à travers le principe de la gnose et défend une forme d’indiscipline intellectuelle. Il est l’auteur de textes romanesques et poétiques qui prolongent son œuvre théorique.
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DES CONDOLÉANCES ADRESSÉES PAR MACKY SALL AUX VICTIMES DES FORTES PLUIES
Le chef de l’Etat a exprimé ‘’toute sa compassion’’ aux familles ayant perdu des proches, après les fortes pluies du samedi et leur présente ses condoléances ainsi que celles de la Nation
Le chef de l’Etat, Macky Sall, a exprimé ‘’toute sa compassion’’ aux familles ayant perdu des proches, après les fortes pluies du samedi et leur présente ses condoléances ainsi que celles de la Nation.
‘’Nous avons compté trois pertes en vie humaine avec ces pluies diluviennes qui sont tombées avec une très, très forte intensité et en très peu de temps. Ce qui fait que forcément l’eau vient avec une force redoutable (…). Je voudrais présenter toutes mes condoléances aux familles qui ont perdus des êtres proches’’, a-t-il indiqué.
Macky Sall, actuellement en visite hors du Sénégal, réagissait, dimanche, à la télévision nationale (RTS), suite aux fortes pluies tombées samedi sur plusieurs endroits du pays notamment à Dakar et sa banlieue.
Selon lui, parmi ces trois décès, l’un a été enregistré à Sadel, une localité de la commune de Bokidiawé, dans le Nord du Sénégal, l’autre à Cambèrène (Dakar) et un troisième à Yeumbeul Nord dans le département de Keur Massar (banlieue de Dakar).
‘’Donc, ça fait trois décès. C’est beaucoup’’, a fait savoir Macky Sall.
Il a rappelé avoir donné des instructions au ministre de l’Intérieur et celui en charge de l’Eau et de l’Assainissement de faire, la situation journalière, de concert avec les services de la Météorologie, et de donner des recommandations sur les mesures à prendre en cas de fortes pluies.
PAR Jean-Baptiste Placca
AU-DELÀ DU DÉSABUSEMENT
Avec le décès de l'ancien président Gorbatchev, c'est aussi une page de l'histoire de l'Afrique qui se tourne, même si elle n'a pas l'importance que lui prêtent certains. L'Afrique n'a, en tout cas, jamais eu autant besoin de se penser par elle-même
Alors que le monde salue son rôle dans la chute du Mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, les funérailles de Mikhaïl Gorbatchev se déroulent dans une relative indifférence, à Moscou. Comment expliquer que certains voient en lui l’homme qui a sonné le glas des partis uniques et des régimes autocratiques, en Afrique, et ouvert la voie à la démocratisation des pays du continent ?
Ces événements ont, certes, eu leur part d’incidence sur la fin du parti unique dans nombre d’Etats africains, mais il a fallu, en réalité, la conjonction d’une multitude d’événements pour libérer de la peur les populations contraignant les régimes autocratiques à se démocratiser, presque partout sur le continent.
Tout aussi impressionnante que la chute du Mur de Berlin, la chute de Nicolae Ceausescu, en décembre 1989, a ébranlé bien des chefs d’Etat africains, qui étaient, pour la plupart, ses amis personnels. Ce dictateur déstabilisé par la révolte d’une population jusque-là soumise, traqué, arrêté puis sommairement jugé, et aussitôt exécuté… ces images avaient donné aux peuples africains une incroyable détermination, pour affronter les petits timoniers et autres guides éclairés, qui savaient devoir concéder beaucoup, pour échapper à un sort identique à celui du « génie des Carpates ». En cette fin d’année 1989, la peur avait radicalement changé de camp. Le Bénin marxiste de Mathieu Kérékou, affaibli par une situation économique désastreuse, sera le premier à céder à une conférence nationale souveraine, qui fera école.
Quel autre événement a pu peser sur la rigidité des régimes de parti unique ?
Huit jours avant le démarrage de la Conférence nationale souveraine du Bénin, un prisonnier politique, qui a résisté, vingt-sept années durant, à toutes formes de pressions et d’intimidations, sortait de prison, sans avoir rien renié de ses convictions et des revendications de son peuple. Voir, ainsi, Nelson Mandela sortir triomphalement de prison, sous le regard admiratif de milliards de téléspectateurs, était, pour les Africains, l’indication que la résistance pouvait être payante, en tout cas plus que les compromissions.
On pourrait y rajouter le fameux discours de La Baule, dans lequel François Mitterrand, en juin 1990, exhortait ses pairs africains à démocratiser, pour espérer l’aide de la France.
OUVERTURE DES BUREAUX DE VOTE POUR L'ÉLECTION DES MEMBRES DU HCCT
Douze listes sont en compétition pour ce scrutin, où seuls 80 conseillers sur les 150 que compte cette Institution sont élus au suffrage universel indirect par les conseillers municipaux et départementaux
Le vote pour l’élection des membres du Haut Conseil des Collectivités territoriales (HCCT) a démarré ce dimanche à 8 heures, dans plusieurs lieux de vote du pays, ont constaté des reporters de l’APS.
Douze listes sont en compétition pour ce scrutin, où seuls 80 conseillers sur les 150 que compte cette Institution sont élus au suffrage universel indirect par les conseillers municipaux et départementaux.
Les 70 autres sont désignés par le chef de l’Etat parmi les membres de la société civile, les organisations socioprofessionnelles et diverses catégories de la société.
‘’Depuis 2016, le Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT), institué par le Président de la République, vise à apporter une touche nouvelle à l’acte III de la décentralisation’’, indique le site officiel de cette Institution.
Il précise que ‘’le HCCT est une Assemblée consultative qui complète l’architecture institutionnelle afin d’accompagner le processus de développement des territoires. Il intervient, opportunément, dans la formation d’avis qui reflètent les préoccupations des populations’’.
Selon la même source le HCCT compte 150 hauts conseillers désignés pour un mandat de cinq ans. Les instances et structures du HCCT sont l’Assemblée plénière, le Bureau, la conférence des présidents, les Commissions et les services administratifs.
Elle ajoute que le HCCT a pour mission de renforcer la participation active des acteurs territoriaux à la définition, l’instauration et l’évaluation des politiques publiques territoriales.
Il élargit les espaces de dialogue, de consultation et de concertation dans le processus de prise de décisions qui engagent la vie des collectivités territoriales pour une meilleure inclusion des citoyens dans l’identification des besoins et des priorités ainsi que dans la conception et la mise en œuvre des politiques de décentralisation.
L’inter-coalition Yewwi Askan Wi et Wallu Sénégal qui totalise 80 députés sur les 165 que compte l’Assemblée nationale, à l’issue des dernières législatives, a boycotté cette élection. Elle estime que cette Institution est ‘’inutile’’.
LE BURKINA FASO CONFRONTÉ À UNE DANGEREUSE VAGUE DE HAINE ANTI-PEUL
Les autorités s’inquiètent de la multiplication des appels aux attaques contre cette communauté, accusée de complicité avec les groupes jihadistes
«Il faut tuer, il faut exterminer.» L’homme qui ponctue ainsi son appel assumé à l’«épuration ethnique» a une voix posée, presque sympathique. L’«Audio du sud-ouest», tel qu’il est baptisé, a inondé les réseaux sociaux burkinabés vers la mi-août. Un discours haineux de quinze minutes, en français, qui enjoint clairement à attaquer la communauté peule. Extraits : «C’est un Rwanda qui se prépare» ; «Le gouvernement n’a qu’à [me poursuivre], moi je le dis haut et fort, il faut exterminer, il faut mater, il faut nettoyer, il faut tuer» ; «C’est la lutte à la russe qui marche».
Deuxième groupe ethnique du pays en termes de population, de tradition pastorale, la minorité peule est stigmatisée depuis l’insurrection jihadiste qui a débordé du Mali vers le Burkina Faso en 2015. Car les groupes islamistes armés ont recruté – non exclusivement –, de nombreux Peuls en leur sein.
Ces diatribes vocales ne sont ni nouvelles, ni inoffensives. Elles attisent les braises. «Les Peuls sont pris en étau entre, d’un côté les groupes armés qui tuent sans discriminer, et de l’autre, certains acteurs étatiques indélicats ou milices pro-étatiques qui n’accordent aucune présomption d’innocence aux membres de cette communauté», résume Daouda Diallo, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC).
Cette organisation a été créée au lendemain du premier massacre interethnique au Burkina Faso, à Yirgou, dans la région du Centre-Nord. Le 1er janvier 2019, en représailles à une attaque dans cette localité, des milices rurales d’autodéfense (les «Koglweogo») soutenues par des villageois étaient parties à l’assaut de villages et hameaux peuls, faisant 216 morts selon le CISC.
Indignation et justice «sélectives»
L’organisation a également documenté plus de mille exécutions extrajudiciaires depuis 2019, et recensé plus de mille cas de disparitions forcées, tortures, ou violences ciblant des femmes. Le massacre le plus récent remonte au 8 août : plus de 40 corps ont été retrouvés au bord d’une route du Centre-Nord. Selon divers témoignages, les victimes auraient été enlevées puis exécutées par «des éléments des forces de défense et de sécurité habillés en tenues noires et encagoulés», accompagnés de «volontaires pour la défense de la patrie», les supplétifs civils de l’armée. L’état-major burkinabé n’a pas fait de commentaire.
LA CRISE CASAMANÇAISE, UN CASSE-TÊTE POUR MACKY SALL
Le rejet par plusieurs franges significatives du MFDC des récents accords de paix, entre le gouvernement sénégalais et des responsables se réclamant de ce mouvement, fait craindre aux populations de la région une résurgence du conflit armé
Tout comme son prédécesseur, le président Macky Sall, a classé le règlement de la crise casamançaise parmi ses priorités mais il peine à trouver la bonne formule.
Après avoir fait des milliers de victimes et ravagé l'économie, le conflit en Casamance a persisté à petit feu. L'armée sénégalaise mène depuis février des opérations contre des bases de la rébellion.
Le conflit casamançais qui dure depuis une quarantaine d'années, demeure une préoccupation majeure pour le gouvernement sénégalais.
En effet, les derniers accords de paix signés de paix signés récemment en Guinée-Bissau entre son gouvernement et des responsables de la rébellion risquent de ne pas produire les effets escomptés. Ce qui fait craindre aux populations un retour du conflit.
Des accords qui ne font pas l’unanimité
Le rejet par plusieurs franges significatives du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) des récents accords de paix, entre le gouvernement sénégalais et des responsables se réclamant de ce mouvement, fait craindre aux populations de la région une résurgence du conflit armé.
La Casamance, séparée du nord du Sénégal par la Gambie, est le théâtre d'un vieux conflit depuis que des indépendantistes ont pris le maquis après la répression d'une marche du MFDC en décembre 1982.
''Nous avons peur de cet accord parce que ces gens l’ont dénoncé pour dire que ce n'est pas le vrai MFDC qui a signé l'accord. Nous avons peur que la rébellion revienne en Casamance. Sur le plan social, ça peut créer beaucoup de choses. Et si vraiment la rébellion revient, ça va créer des situations dramatiques'', a expliqué Antoine Mendy, originaire d'un village non loin de Ziguinchor.
Le gouvernement sénégalais aurait ainsi volontairement évité de parler avec les représentants les plus légitimes du MFDC, estime Aka Mpamy qui réside à Ziguinchor.
''Le gouvernement du Sénégal connaît très bien les gens du MFDC. Pourquoi ne sont-ils pas allés discuter avec ces gens ? S'ils se démarquent de ces accords, c'est parce que le gouvernement du Sénégal cherche à se créer ses propres interlocuteurs pour le problème de la Casamance. La question de la Casamance est entre des mains que le gouvernement du Sénégal connaît parfaitement, ils n'ont qu'à aller vers ces gens et leur dire : venez on va discuter'', a déclaré le résident de Ziguinchor.
La paix mais pas à n’importe quel prix
Les accords de paix ont été conclus à Bissau avec les bons offices du président bissau-guinéen, Umaru Sissoco Embalo.
''La Casamance veut la paix mais pas une paix bricolée. Ça il faut le dire haut et fort. Il ne faudrait pas souffler encore sur la braise'', a précisé, Aka Mpamy.
Les rebelles casamançais, accusés de faire du trafic de bois et de cannabis, se sont souvent réfugiés en Gambie ou en Guinée-Bissau, qui a également une frontière commune avec le Sénégal.
De l'avis de Seynabou Maale Cissé, coordinatrice du Comité régional de solidarité des femmes pour la paix en Casamance, très active dans la recherche de la paix, un accord signé n'incluant pas toutes les composantes du MFDC est un problème.
Selon elle, le gouvernement sénégalais doit donc poursuivre le processus pour impliquer toutes les composantes du MFDC.
''S'il y a un accord et que celui-ci n'inclut pas toutes les franges du Mouvement des forces démocratiques de Casamance, c'est un problème. Mais nous pensons que si c'est un processus qui vise effectivement à discuter avec toutes ces franges, à signer des protocoles avec toutes ces franges, nous pensons qu'il y a un espoir. Nous pensons qu'il faut continuer le processus pour que toutes les franges se sentent concernées par cette paix définitive'', a déclaré Seynabou Maale Cissé.
Parmi les signataires de cet accord du côté du MFDC, il y a le chef de guerre César Atoute Badiate, récemment condamné à la prison à perpétuité dans le cadre de la tuerie de Boffa qui avait fait 14 morts en 2018.
Les contestataires de ces accords de Bissau affirment toutefois que ce dernier aurait quitté le maquis depuis longtemps pour cause de maladie. Par conséquent, selon eux, sa signature ne pourrait pas engager leur mouvement.
Par Moustapha Diop
LE «PROCÈS» DU 05 SEPTEMBRE 1895, LA RUMEUR DE LA CONSÉCRATION
À l’heure de la commémoration du 127ème anniversaire de la convocation de Serigne Touba au palais du Gouverneur Général que d'autres appellent les rákkas de Ndar, il nous semble important de sortir un peu de l'émotionnel pour nous plonger dans un voyage
À l’heure de la commémoration du 127ème anniversaire de la convocation de Serigne Touba au palais du Gouverneur Général que d'autres appellent les rákkas de Ndar, il nous semble important de sortir un peu de l'émotionnel pour nous plonger dans un voyage historique qui s'inscrit dans une démarche de compréhension de l'ordre des choses très souvent invisible à l'émotion. Car ce « procès» résume bien l'antagonisme axiomatique entre la soumission à Dieu et la domination ou, si l'on préfère, entre Serigne Touba et les colons. Pour comprendre la posture et le parcours de Serigne Touba, il nous faut revenir sur la date du 05 septembre 1895. Celle-ci est d'autant plus importante et centrale qu'elle renvoie au rendez-vous de la foi, de l'assurance, de la confiance, de la soumission à Dieu, de la résistance et de la «non-violence».
Le nom d' Amadou Bamba est apparu pour la première fois en mars 1889 dans une correspondance officielle, lorsque le Département des Affaires Politiques écrit à l’Administrateur du Kajoor son inquiétude au sujet des rumeurs sur le « Marabout appelé Amadou Bamba installé entre Baol et Kajoor et que ralliaient de nombreux adeptes.» L’on demanda à l’administrateur Angot de procéder à une enquête très discrète. En avril 1889, il rapporte : « Au cours de ma mission, j’ai réalisé des enquêtes dans différents endroits sur les activités du marabout. Partout…j’ai entendu grand bien à son sujet. Il s’agit d’un homme pieux et tranquille dont la seule faute est qu’il s’occupe d’un grand nombre de “moins que rien” dont il fait des élèves marabouts et si ces gens ne sont pas étroitement surveillés, ils causeront progressivement des difficultés.»
À l'évidence, en 1889 , l'administration coloniale ne reprochait rien à Serigne Touba. Au contraire, l'enquête révèle de la piété allant de pair avec la tranquilité en ce qui le concerne. Il n'est, pour s'en convaincre, que de lire tout le rapport d'avril 1889. Sous ce point au moins, l'administrateur colonial voit juste. Mais l'information capitale est ce qui suit : « ...Si ces gens ne sont pas étroitement surveillés, ils causeront progressivement des difficultés. ». Autrement dit, il y avait lieu de le surveiller. Ce qui fut le cas.
En juillet 1895, Leclerc, administrateur du cercle de Saint-Louis, dit que « Serigne Touba avait tenu une réunion devant 700 hommes, dont de nombreux anciens partisans de Lat Dior.» Lisons ensemble ce qu’il rapporte : « Je ne connais pas les mots exacts de son discours, mais il est certain, pour quiconque connaît la prudence d’Amadou Bamba, qu’il n’avait pas dit de choses répréhensibles. Mais il n’en a pas moins certain que dans la soirée, alors que le marabout parlait dans sa hutte…ses talibés circulaient de groupe en groupe, donnant des instructions pour un soulèvement plus tard dans l’année.»
En 1895, le rapport de l'administrateur Leclerc renverse radicalement la perspective de l'administration coloniale sur Serigne Touba. Après quelques années, assez vite, Serigne Touba commença à faire peur et à inquiéter l'administration coloniale. Assez facilement, elle voit en Serigne Touba un concurrent, une force d'opposition. Ainsi, il devient une nouvelle donne aux yeux de l'administration coloniale, qu'elle doit faire face. C'est alors que les choses s'amorcent et dans la perspective d'une confrontation.
Dans la même période, le même Leclerc avertit en ces termes : « Tous les anciens partisans du Damel, tous les tiédos qui vivent uniquement par la guerre et le pillage et que l’actuelle administration a réduit à la misère, se sont regroupés autour du mahdi marabout, le destructeur de l’homme blanc… ». Dans le contexte de l'allégeance d'« anciens partisans du Damel» des «...Tiédos qui vivent uniquement par la guerre et le pillage... », le climat change et l'administration coloniale s'inscrit dans une véritable logique de confrontation. Une évolution dont elle mettra longtemps à saisir les conséquences.
Entre janvier et février 1895, les fils de l'intrigue sont noués. Le regard de l'administration coloniale sur Serigne Touba change en moins d'un temps qu'il n'en faut pour le dire. La même administration qui, quelques années plus tôt, affirmait la tranquilité de Serigne Touba, explique maintenant, avec la même assurance que ce dernier est devenu « le destructeur de l'homme blanc» . Rien d'étonnant, donc, à ce que, l'administration coloniale décide d'alimenter la tendance à la confrontation avec Serigne Touba. Surgit l'incontournable question. Quel argument a favorisé cette confrontation ? Une chose est sûre : la rumeur a été très décisive. Sur elle repose la stratégie et la manipulation qui vont être évoquées.
« Arrêté » le 10 août 1895, son «procès» ouvert le 05 septembre 1895, sans preuves avérées, le Conseil Privé décida de déporter Serigne Touba au Gabon au moins pour une durée de 7 ans. Serigne Touba fut déporté sur la base de rumeurs et la plus mobilisée est celle liée à la lutte armée. Regardons ce que le Conseil dit : « D’ailleurs, depuis qu’Amadou Bamba nous est connu, il n’a pas eu d’autre façon de procéder que les MABA, les AMEDOU CHEIKHOU, les MAHMADOU LAMINE et les SAMBA DIAMA… »
Le 05 septembre au matin, lors de la séance du Conseil Privé qui se terminera notamment par la déportation de Serigne Touba, la rumeur a eu des échos. Parmi les accusations contre lui aussi nombreuses que disparates, aucun élément objectif sur le projet de lutte armée. Que de la rumeur ! Lors du débat au Conseil Privé, il n'y a même pas eu débat, car Serigne Touba fut presque privé de parole. Qu’est ce que l’autorité coloniale évoque comme arguments ? La menace d’une lutte armée, la collusion des Tiédos avec Serigne Touba. De quoi se réfère-t-elle, une lettre écrite par Mame Abdou Lô avec le sceau de Samba Laobé Penda. Ainsi, aucun doute ne persiste sur l’élément clé de la fable, à savoir la lettre de Samba Laobé Penda qui était la fameuse preuve matérielle des « visées » de lutte armée de Serigne Touba. Cette lettre, rappelons-le a été écrite, déposée et lue par la même personne Mame Abdou Lo. .
Ne quittons pas encore cette journée du 05 septembre 1895 exaltée par les Mourides comme un moment de résistance héroïque de Serigne Touba contre l’autorité coloniale, perçue par les fabricants de la rumeur comme un moment pour en finir avec lui. La dénonciation de Mame Abdou Lo était bâclée, mal documentée et elle mélangeait des accusations et des motifs sans fondement. Même si la rumeur n’est pas importante aux yeux de Serigne Touba, il semble pertinent qu’on s’y attarde. Non pas pour en examiner le bien-fondé, au contraire, parce qu’elle est manifestement fausse, mais qu’elle nous permet de chercher les bases illégales de la déportation de Serigne Touba au Gabon même si ce dernier ne souhaitait que cela.
La bataille à livrer contre Serigne Touba était soigneusement préparée notamment par la rumeur de sa disparition deux ans après sa déportation au Gabon. Pour neutraliser les Mourides, l'administration coloniale fabriqua des « corpus de délits » dans une logique de travail de sape, sans quoi la déstabilisation de la confrérie ne serait pas possible. En effet, il est aisé de constater que cette fable se rattache à d’autres calomnies destinées à devenir autant de rumeurs, fabriquées de toutes pièces soit par les chefs locaux ou soit par l’autorité coloniale elle-même. Des chefs locaux perfides et ignobles n’auraient-ils préparé leur carrière par la calomnie ? Et l’autorité coloniale dans tout cela : c’est la première à avoir fabriquée et lancée la rumeur d'une prétendue lutte armée. La fable elle-même était habilement construite, avec une trame à la fois simple et attisant l’imaginaire collectif (l’achat d’armes, lutte armée) ; tout un réseau, notamment un réseau d’informateurs, était utilisé pour consolider la rumeur ; des informateurs ont été introduits au sein de la Mouridiyyah rien que pour recueillir l’information suffisante pour réaliser les coups. Les rapports que rédigeaient les officiers de l'administration coloniale se basant sur leurs informateurs étaient loin d’être neutres. Ils n’ont pas arrêtaient de déformer et de manipuler les informations rien que pour répondre aux préoccupations de l’autorité coloniale. C’est pourquoi, il est impossible de comprendre la décision de déportation de Serigne Touba sans faire référence à la rumeur.
En effet, la rumeur est réapparue tout au long de la trajectoire de Serigne Touba : une rumeur encore à propos d’une guerre armée quand Allys l’administrateur du Cercle de Tivaouane utilise son agent secret de confiance Omar Niang pour infiltrer les disciples de Serigne Touba en se faisant passer pour un talibé (disciple). Suite à cela, il fut déporté encore en mai 1903 en Mauritanie. En 1907, Serigne Touba revenu, il fut mis en « résidence surveillée» à Theyene dans le Jolof où un agent secret envoyait un rapport journalier à Saint-Louis avec le détail de ses visiteurs et de leurs présents (Ba 1982, O’Brien 1971, Coulon 1982).
Il est un lieu commun, trop souvent oublié, qu’une rumeur fausse est un fait social réel. En cela, elle recèle sa part de vérité historique non pas sur les nouvelles qu’elle fait ébruiter, mais sur les conditions de possibilité de son émergence et de sa diffusion, sur l’état d’esprit, les mentalités et l’imaginaire de ceux qui l’ont accepté comme véridique. Aussi, plus une rumeur est fausse, absurde et fantasmatique, plus son histoire promet d’être riche en enseignements. Or, la fable Serigne Touba prêcheur d’une lutte armée a été déterminante pour sa déportation vers le Gabon. Si le 05 septembre 1895, la fable a réussi à se lover dans l’imaginaire des autorités coloniales, il convient alors de s’interroger sur cet imaginaire et sur l’évènement lui-même dont la rumeur inséparable au point d’en influencer le procès, toute fausse qu’elle fut.
La rumeur s’est propagée par l’écrit ( Mame Abdou Lô et la lettre de Samba Laobé Penda, rapporté par Serigne Fallou Mbacké) et de bouche à oreille [Quand le Gouverneur Général demanda à Mame Abdou Lô : Avec les rumeurs sur sa puissance, qu’en penses-tu ? « Il faut le cueillir répond-t-il.]
C’est vrai cet épisode de la séance du 05 septembre 1895 a été souvent théâtralisé par des faits et des gestes qui renseignent sur les qualités de la finesse de Serigne Touba qui avait décidé de se battre sur le terrain de la « non-violence» face à la répression et à l'oppression. L'homme avait tenu la place d'honneur, lorsqu'il s'adressa au Gouverneur Général de l’Afrique Occidentale Française ( AOF) selon un chant populaire : « Vous n’êtes point le propriétaire de Saint-Louis, vous avez trouvé Saint-Louis et après longtemps votre mort, Saint-Louis continuera à exister. Les gens qui vous flattent sont en train de vous tromper. Votre Seigneur est Le propriétaire de Saint-Louis » dit Serigne Touba . On peut se souvenir d’autres choses, mais cette phrase est remplie de sens, car elle renseigne sur l'exercice de la servitude dans son comportement à travers la façon dont il affronte les événements. Ce qui rappelle une autre phrase chantée : « Le kun ( Soit) est plus fort que le canon », ce qui veut dire « Dieu est plus fort que le colon ». Et cela atteste la valeur de cet homme est sa dimension en matière de servitude comportementale envers Dieu qui est la base de son renoncement au monde et son humilité devant Lui.
En vérité, la rumeur est inséparable de la consécration de Serigne Touba. Celle-ci s’est nourrie de cet imaginaire de rumeur comme lui-même il l'affirme : « Ceux qui, en me déportant à travers l'océan cherchaient à me nuire, N'ont fait que contribuer à me rapprocher du Seigneur.» Mais comme on le sait, il n’est aucun événement historique qui n’épuise sa pleine signification au moment où il advient. Celle-ci, ou plutôt celles-ci, quand elles sont multiples et, de règle, contradictoires, viennent l’envahir, au fur et à mesure que ses conséquences se dégagent dans l’histoire. 127 ans plus tard, vivant du souvenir de la déportation de Serigne Touba, ressassant la grandeur de cet homme, il est important de relire cette histoire en nous interrogeant sur la façon dont Mame Abdou Lo a eu la scélératesse d’inventer une lettre avec le sceau de Samba Laobe Penda ainsi que toutes les autres pièces par lesquelles l’autorité coloniale a voulu faire passer Serigne Touba comme un instigateur de la lutte armée ? J’en ai une réponse le danger de perdre ses privilèges fait perdre la tête et donne aussi de l’imagination. Autre question Mame Abdou Lô avait-il seul inventé la fable et fabriqué la pièce à conviction ? Qui d’autre avait trempé dans cette machination ? Avait-on lancé une seule version de la rumeur et laquelle, ou plutôt plusieurs versions simultanément dans l’espoir que l’une relaierait l’autre ? On ne le saura probablement jamais, de même que ne seront jamais éclaircis plusieurs autres épisodes de cette séance du 05 septembre 1895.