BÉNIN, L'HORREUR POLITICO-JUDICIAIRE
Les procès de Joël Aïvo et celui de Reckya Madougou confirment un peu plus encore le message envoyé aux adversaires de l’actuel exécutif béninois : choisir entre l’exil ou la prison

Dans la nuit du 7 décembre 2021, la juridiction d’exception – Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) – créée par le régime du Président Patrice Talon, a condamné à 10 ans de prison l’opposant Frédéric Joël Aïvo, à l’issue d’un procès où l’aberration le disputait à l’inconcevable.
Un dossier vide de preuves et de sens, et l’incapacité patente des juges à étayer les accusations de « complot contre la sûreté de l’Etat » – variante désormais connue d’accusation de « terrorisme » – et de « blanchiment d’argent »… « Faites de moi ce que vous voulez » (1) : cette phrase fut prononcée, de guerre lasse, par l’accusé, en direction d’une Cour dont le verdict était manifestement fixé avant même la tenue de ce procès. Nous vivons une époque formidable où les nouvelles tyrannies ne s’embarrassent plus de forme ou de nuance. Inutile de nous attarder ici sur la dérive autocratique signalée au Bénin, depuis l’accession au pouvoir en 2016 de l’homme d’affaires Patrice Talon. Inutile de rappeler que dans le Bénin actuel, tout mouvement d’opposition est assimilable à une « association de malfaiteurs ». Nous avons largement développé, au cours des derniers mois et années, l’irrésistible désintégration de la démocratie béninoise à laquelle s’est attelé ce régime qui a, avec un cynisme consommé, privatisé à son profit, en plus des leviers de l’Etat, l’ensemble des secteurs vitaux de la vie nationale.
Face à cette déconstruction en règle de l’histoire politique et sociale du Bénin, Joël Aïvo, constitutionnaliste de renom, s’était donné pour projet de restaurer les valeurs démocratiques. En se portant candidat à la présidentielle du 11 avril 2021, il s’engageait à « réparer » cette démocratie abîmée par les assauts mortifères des nouveaux tenants d’une invraisemblable tyrannie. Une candidature jugée outrecuidante à l’égard du président sortant qui a banni toute concurrence et toute forme de compétition de la vie politique nationale. Le rejet de la candidature de Joël Aïvo sera suivi, le 15 avril 2021, de son arrestation et de son incarcération assortie de traitements dégradants. Il est tout aussi inutile d’insister ici sur une procédure judiciaire effarante où un prétendu « flagrant délit » fut ensuite gaillardement remplacé par une instruction aux conclusions tout aussi artificieuses. Bien que le procès – annoncé cinq jours seulement avant sa tenue – ait confirmé la vacuité de l’accusation, celui qui est devenu l’un des prisonniers personnels du régime Talon a été renvoyé en prison. Pour 10 ans, formellement. Le temps, pour la néo-dictature béninoise, de fortifier son règne, sans s’exposer à l’expression d’une opposition aussi affirmée qu’incorruptible. L’opinion qui a suivi ce simulacre de procès hésite, depuis, entre la colère et la nausée.
Au moment où nous publions ces lignes, un autre procès, gravé dans le même « format » que celui de Joël Aïvo, a été annoncé pour le 10 décembre 2021 : celui de l’opposante Reckya Madougou, candidate elle aussi empêchée à la présidentielle d’avril 2021. Elle fut appréhendée, à la manière d’un kidnapping, et incarcérée le 3 mars 2021, et poursuivie pour « association de malfaiteurs et financement du terrorisme ». Un procès tout aussi politique, semblable à une pièce de théâtre dont l’épilogue aura été préalablement consigné auprès d’une Cour aux ordres.
Les procès de Joël Aïvo et celui de Reckya Madougou confirment un peu plus encore le message envoyé aux adversaires de l’actuel exécutif béninois : choisir entre l’exil ou la prison. Cette sidérante équation ne souffre aucune forme de négociation. Après la transition autocratique entreprise par ce pouvoir, voici venu le temps de la tyrannie ordinaire et, disons-le, du terrorisme d’Etat. Nombre d’observateurs peinent encore à y croire. Et pourtant, cette réalité a déjà imposé son empire dans ce pays dont le « patrimoine démocratique » n’est plus qu’une évanescente évocation.