LE SENEGAL DOIT SE DOTER D’UNE CINEMATHEQUE NATIONALE
Produire et n’avoir pas de lieu de conservation et de valorisation procède de l’absurde et confirme que notre cinéma marche sur la tête en dépit des efforts consentis. La création d’une Cinémathèque Sénégalaise digne de ce nom s’impose plus que jamais.

Produire et n’avoir pas de lieu de conservation et de valorisation procède de l’absurde et confirme que notre cinéma marche sur la tête en dépit des efforts consentis. La création d’une Cinémathèque Sénégalaise digne de ce nom s’impose plus que jamais.
Le cinéaste Tidiane Aw doit se retourner dans sa tombe, secoué par un haut le cœur à répétition, lui qui fut l’unique directeur de la Cinémathèque Sénégalaise au début de la décennie quatre-vingt. Une institution qui a fait long feu et qui pourtant affichait des ambitions fertilisantes pour la conservation de nos mémoires filmiques en achetant les droits non-commerciaux des films de l’époque à raison de un million cfa pour un long métrage et Cinq cents mille francs pour un Court métrage, selon l’indication du réalisateur Amadou Thior. Les acquisitions de la Cinémathèque alimentaient les semaines culturelles à l’étranger sous le ministère de Joseph Mathiam, ministre de la culture d’alors. L’argent, pour l’acquisition de films, connut un tarissement, qui précipita la chute de l’institution. Tidiane Aw aurait pu être le sauveur de notre patrimoine filmique à l’exemple de Boudjemaâ Karèche, ancien directeur de la Cinémathèque d’Alger, qui pendant trente quatre ans a soutenu de plusieurs manières les pionniers des cinémas africains et arabes ainsi que le cinéma indépendant du monde entier. Il vient de recevoir le prix Vittorio Boarini de la Cinémathèque de Bologne (Italie) à l’occasion de la 39ième Edition du Festival « Il Cinema Ritrovato » pour «son important apport à la protection et à la diffusion du Patrimoine cinématographique ».
Il n’est jamais trop tard pour s’amender ! Faire renaitre la Cinémathèque Sénégalaise est d’une exigence légitime d’autant que ces dernières décennies, on assite à une montée en flèche de la production filmique en tout genre confondu, sans tenir compte de leur qualité technique et narrative. Un recensement annuel de l’ensemble de cette production permettrait une plus grande lisibilité de cette production. Le Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique (FOPICA) accentue sa visibilité à travers des films estampillés de son logo et qui circulent dans d’importants festivals du monde (Fespaco, Carthage, Venise, Berlin, Venise et en Amérique) au gré des sélections. Mais l’absence de lieux où toute cette production annuelle serait gardée en vie pour les cinéphiles, les chercheurs, les cinéastes, les critiques, les historiens du cinéma fait terriblement défaut même si à la Direction du Cinéma, on a mis en place un embryon de salle de numérisation et de catalogage des archives des Actualités Sénégalaises. La question pour les amoureux de notre cinématographie demeure toujours sans réponse : « Où peut-on voir des films sénégalais en dehors des salles conventionnelles ? » Certes il y a une dynamique des cinéclubs qui se met en place en vue de la création d’une fédération mais ceci ne saurait remplacer une cinémathèque dans la transmission et l’approfondissement des connaissances avec à l’appui des archives, de la documentation et la possibilité de visionnage et consultation à la demande, de même que le maintien en mémoire des cinéastes talentueux qui n’ont pas bénéficié des feux de la rampe.
C’est là que le bât blesse et qu’il est à parier que dans un délai très court, une bonne partie de ces productions, qu’elles soient des films de fin d’études, des films collectifs (ciné-banlieue, etc …) des documentaires, des fictions, des films d’animation, s’effacera de notre mémoire.
La connaissance, le développement et la défense de notre cinématographie passent forcement par la création d’une cinémathèque nationale, lieu de conservation, de classement, de restauration, de transmission des savoir-faire des images en mouvement constituant le fonds culturel cinématographique. C’est en visionnant et en analysant les différentes structures filmiques et leur esthétique qu’on comprend le mieux le fonctionnement d’un film et l’évolution des esthétiques. Une cinémathèque a cet avantage de mettre à disposition non seulement la production nationale mais celle du continent et reste du monde grâce à l’appartenance à des réseaux de cinémathèques (FIAF) qui favorisent les échanges. Des liens existent entre la cinémathèque de Bologne, son festival « Il cinema ritrovato » et le Sénégal. Des liens à tisser également avec la cinémathèque québécoise. Le développement d’une cinémathèque nationale est donc possible si l’angoisse de perdre nos mémoires filmiques nous préoccupe, nous taraude, nous obsède.
Car après tout, toutes les cinématographies se valent en ce qu’elles nous offrent une vision du monde. Inutile donc de réinventer la roue, la cinémathèque a été créé à l’image de la bibliothèque, et sa raison d’être en tout point identique à celle d’une bibliothèque nationale. Il faut être reconnaissant à Henri Langlois et à Georges Franju, deux jeunes lycéens passionnés de cinéma qui en 1933, s’étaient mis en tête de rechercher et de collectionner des films muets passés de mode dès l’avènement du parlant. Ils voulaient : « sauver, dans la mesure du possible, le passé déjà historique du cinéma », indique Roger Boussinot dans son Encyclopédie du cinéma. La ténacité de ces deux jeunes fut payante parce que débouchant sur la création de la Cinémathèque française. L’idée fit florès et fut reprise par d’autres pays.
Pour nous autres, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Il suffit juste de fédérer, de créer des passerelles entre différentes structures ‘ EBAD, DCI, RTS , BU, Association Mamy Watta, pour la sauvegarde du patrimoine cinématographique autour d’une cinémathèque dont la structure serait régie par la loi 1901 à caractère d’Utilité Publique ou étendre les compétences de la DCI pour la gestion de la Cinémathèque qui requiert de la passion et de la connaissance des cinémas du monde ou alors ériger une grande bibliothèque nationale accouplée à la cinémathèque nationale.
Par Baba DIOP