PARTENARIAT SINO-AFRICAIN ET DÉVELOPPEMENT
A en juger par la multiplicité des sommets, il faut convenir que l’Afrique fait l’objet d’une attention particulière depuis bientôt une vingtaine d’années, reléguant la période de l’afropessimisme et des ajustements structurels aux oubliettes

L’Afrique est économiquement considérée aujourd’hui comme le lieu de la compétition des grandes économies du monde en matière d’approvisionnement en matières premières, et, de plus en plus, comme un important marché de biens de consommation dans un futur proche, au regard du rythme de progression démographique de sa population. Des sommets sont régulièrement organisés par les pays désireux d’établir des relations d’affaires avec le continent et, contrairement à la stratégie de balkanisation du 19ème siècle basée sur la notion de chasse-gardée, ceux-ci convoquent toute l’Afrique dans la relation souhaitée ; ceci traduit que nous sommes à l’ère des grands ensembles, générateurs d’économies d’échelles, donc de rentabilité.
A en juger par la multiplicité des sommets, il faut convenir que l’Afrique fait l’objet d’une attention particulière depuis bientôt une vingtaine d’années, reléguant la période de l’afropessimisme et des ajustements structurels aux oubliettes.
Les sommets économiques foisonnent : on peut énumérer le sommet France/Afrique, le TICAD avec le Japon, celui avec la Turquie, les USA, l’Inde, la Chine dans lesquels les pays partenaires rivalisent de propositions « généreuses » en direction du continent.
Personne n’est dupe !
« La France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts !» Cette phrase, devenue fameuse, a été attribuée au Général de Gaulle. Quant à l’ancien Premier ministre chinois Deng Xiao Ping, auteur du miracle économique qui a fait de son pays la puissance qu’il est devenue, il aurait déclaré que « Peu importe qu’un chat soit noir ou gris, pourvu qu’il attrape des souris ».
A l’heure de la mondialisation, et puisque la balkanisation n’arrange plus l’économie mondiale d’inspiration néo libérale caractérisée par une plus grande liberté de commerce sur des marchés de plus en plus larges, l’Afrique, malgré sa diversité, est considérée comme un marché unique et porteur, dans un environnement international de féroce compétition économique.
L’actualité économique est aujourd’hui dominée par la tenue du Forum sino africain de Dakar qui a fait l’objet d’annonces de divers programmes de la Chine à l’endroit du continent africain sur la période 2022/2024. Lors de cette rencontre, après avoir loué les apports de la coopération chinoise dans l’enseignement, les soins médicaux et le transport, le président d’Afrique du Sud a appelé à la réduction du déficit commercial entre la Chine et l’Afrique. Son homologue du Sénégal a, quant à lui, mis l’accent sur la souveraineté pharmaceutique, la délocalisation d’entreprises, le transfert de technologies et le soutien de la Chine par la rétrocession des DTS mis à sa disposition par le FMI dans le cadre de la relance post-Covid 19.
Le président chinois XI JIN PING a énuméré 9 programmes à court terme (2022/2024) pour le renforcement de la coopération sino- africaine et portant sur divers secteurs dont la santé, l’économie numérique, le développement écologique, la promotion du commerce, la promotion des investissements, la réduction de la pauvreté et le développement de l’agriculture avec l’ouverture de « corridors verts pour les exportations vers la Chine de produits agricoles africains pour porter les importations chinoises en provenance de l’Afrique à 300 milliards de dollars américains dans les trois ans à venir », la mise en place en Chine d’une zone pilote Chine/Afrique pour la coopération économique et commerciale approfondie et un parc industriel de coopération sino africaine. De ces propositions du Président chinois, il découle que l’industrialisation de l’Afrique est d’abord du ressort des Africains auxquels il revient d’en définir les contours, la distribution géographique des industries dans l’espace africain, d’en estimer les coûts globaux, les modes et conditionnalités de financement, la faisabilité des projets y relatifs et les taux de rendement permettant le remboursement des emprunts. Du point de vue chinois, la modernisation des ports, aéroports, routes et chemins de fer africains serait engagée pour réduire les coûts des transports sur le continent qui sont parmi les plus élevés au monde, et, par conséquent, d’accroître la compétitivité des produits d’exportation chinois tout en minimisant les coûts d’accès aux matières premières. Il est donc utile de retenir que ces réalisations d’infrastructures s’inscrivent d’abord dans une vision géoéconomique chinoise, dont le but est de faire baisser le coût du commerce pour la pérennisation d’une domination du commerce extérieur mondial, via l’approvisionnement en matières premières à coûts très compétitifs, et l’exportation des produits chinois vers le reste du monde sans entraves de délais et de barrières d’ordre infrastructurel. Le paradoxe est que ces investissements sont financés sur emprunts des Etats africains auprès des banques chinoises. La Chine est le premier pays créancier de l’Afrique, et les pays bénéficiant de l’intérêt des entreprises chinoises sont le Nigeria, l’Égypte, le Kenya, la République démocratique du Congo, l’Angola, la Zambie, l’Éthiopie, le Ghana, le Zimbabwe et la Tanzanie.
La Chine tiroir-caisse de l’Afrique à laquelle elle a prêté 101.000 milliards !
Entre 2000 et 2019, la Chine aurait prêté aux pays du continent 153 milliards d’euros, soient 101.000 milliards de FCFA selon la China Africa Research Initiative. Sur la période 2000/2018, les pays les plus gros débiteurs de la Chine seraient : l’Angola pour 43,2 milliards de dollars, l’Éthiopie pour 13,7 milliards de dollars, la Zambie pour 9,7 milliards de dollars, le Nigeria pour 6,2 milliards de dollars, le Zimbabwe pour 2,9 milliards de dollars, le Soudan pour 6,8 milliards de dollars, le Cameroun pour 5,9 milliards de dollars, le Congo-Brazzaville pour 5,1 milliards de dollars et le Ghana pour 3,7 milliards de dollars.
Pour le continent africain, l’aspiration est au développement économique pour un accroissement de richesse apte à couvrir les besoins d’une population annoncée pour atteindre environ 2 milliards d’habitants en 2050. Il s’agit donc de savoir en quoi les investissements d’infrastructures chinoises pourront favoriser le développement du continent.
Pour l’instant, les exportations africaines vers la Chine sont constituées pour 80 % de matières premières. La Chine absorbe près de 75 % des exportations congolaises de cuivre, 70 % des exportations sud-africaines de fer et environ 40 % du pétrole angolais. Or le portefeuille de production africaine de biens agricoles transformés et industriels souffre d’une relative vacuité et d’un manque de diversification. En 2019, le plus grand exportateur africain vers la Chine était l’Angola (pétrole), suivi de l’Afrique du Sud (fer), et la République du Congo (cuivre).
En 2019, le Nigéria était le plus gros acheteur de produits chinois, suivi de l’Afrique du Sud et de l’Égypte. Seule l’Ile Maurice bénéficierait d’un accord de libre-échange avec la Chine (ALEMC) donnant un avantage tarifaire aux produits mauriciens tels le rhum, la bière, le textile haut de gamme, les fruits de mer, et le textile haut de gamme sans compter les sucres spéciaux. La promotion de partenariat entre entreprises africaines et chinoises, la délocalisation d’entreprises de l’Empire du Milieu en Afrique et une volonté claire et effective d’assurer la formation aux technologies de pointe, seraient des préalables à l’entrée des produits africains transformés en Chine.
La facilité et la rapidité d’octroi de financements a fait dire qu’en réalité, la dette chinoise était un « piège » pour les pays africains emprunteurs et que la perte de souveraineté qui découlait des difficultés d’en honorer les échéances, constituait une perte de souveraineté pour ces pays. Selon les mêmes analystes, le surendettement de l’Afrique par la Chine viserait pour celle-ci à s’octroyer des avantages démesurés comme la gestion de l’aéroport de l’Ouganda ayant été donnée comme gage par l’Etat au titre de garantie du prêt, suite aux difficultés de remboursement éprouvées par le débiteur africain.
L’action n’ayant pas encore été déclenchée, cette analyse devrait être rangée pour l’instant dans le lot des conjectures sur l’issue des prêts chinois en Afrique. Mais à entendre les critiques formulées contre le géant asiatique sur la dette des pays africains, on a le sentiment que la responsabilité du « surendettement » incomberait strictement à la Chine, l’Etat africain emprunteur étant considéré d’emblée comme inapte à évaluer ses besoins en investissements et incompétent à en estimer les revenus prévisionnels.
La Chine reste faiblement présente dans les pays d’Afrique de l’Ouest, à l’exception du Ghana et de la Côte d’Ivoire, avec le cacao. Au Sénégal, on peut noter des réalisations diverses comme l’autoroute Ila Touba, le Musée des civilisations noires, le Grand Théâtre national, l’Arène nationale, l’hôpital des enfants de Diamniadio, l’autoroute Mbour-Kaolack en cours de réalisation, le parc industriel de Diamniadio. On notera enfin que, dans les propositions chinoises, la question de la monnaie est passée sous silence. La Chine ne parle pas de l’ECO, alors qu’il est entendu qu’une monnaie arrimée à un euro conçu pour être fort ne peut générer une économie compétitive sur le marché international du seul fait du taux de change.
En définitive, la priorité est que l’Afrique en arrive à parler d’une seule voix et définisse ses objectifs dans le cadre du partenariat proposé par le Dragon. La question cruciale pour l’Afrique est celle du choix d’investissement, la priorité devant être accordée au développement d’un secteur manufacturier à forte composante technologique.
Dans le cadre du programme pour la promotion de l’investissement annoncé par son président, la Chine prévoit d’encourager ses entreprises à investir au moins 10 milliards de $ en Afrique et de mettre en place une plateforme pour les investissements privés. Elle réalisera également pour l’Afrique 10 projets d’industrialisation et de promotion de l’emploi. Le délai de mise en application des programmes proposés par la Chine étant fixé à 2024, nous serons vite édifiés sur leur pertinence. De ce fait, ils serviront d’appui à l’élaboration d’une stratégie africaine de promotion des exportations de produits transformés d’Afrique vers la Chine.