SONKO ET LES MAGISTRATS, PAR-DELÀ L’ÉTERNELLE THÉORIE DU "COMPLOT"
Ousmane au pouvoir a du mal à se défaire de la tenue de combat de Sonko. Ne manquent que ses slogans guerriers comme «mortal kombat» ou autres «gatsa-gatsa». La rhétorique contre les magistrats est restée la même. Rien de nouveau sous le ciel de Dakar.

Mardi 1er juillet. A une heure un peu tardive, tout de blanc vêtu, un bonnet de même couleur sur le chef, «le citoyen» Ousmane Sonko s’adresse à ses fidèles. Le moment est solennel. Le canal choisi grand public. Le drapeau «vert-jaune-rouge» posté sur sa droite rappelle, cependant, qu’il est aussi le Premier ministre du Sénégal. Un petit compte-rendu -vite expédié- de sa tournée en Chine, sert de préambule à cette adresse nocturne. Puis, à brûle-pourpoint, il embraie sur la véritable raison de ce live (les comptes-rendus des visites officielles, c’est quand-même en conseil des ministres, non ?) : le rejet, le même jour, du rabat d’arrêt introduit par ses avocats devant la Cour suprême.
Un rejet qui confirme, par voie de conséquence, sa condamnation, au pénal, pour diffamation à une peine de six mois avec sursis et 200 millions Cfa à payer à la partie civile, l’ancien ministre, sous Macky Sall, Mame Mbaye Niang et qui le rendit inéligible. Entre-temps, l’opposant qu’il était est devenu Premier ministre, chef du gouvernement et donc patron du ministre de la Justice et de tous ceux dont ce dernier est, lui-même, le patron. Il n’en fallait pas davantage pour froisser l’amour-propre du Premier ministre qui, utilisant ses armes favorites d’opposant, cogne, bille en tête, sur la magistrature. Ses réserves sur des «magistrats intègres» qu’il oppose aux autres, qualifiés, eux, de «corrompus», n’y font rien. Chassez le naturel, il revient au galop ! Ousmane au pouvoir a du mal à se défaire de la tenue de combat de Sonko. Ne manquent que ses slogans guerriers comme «mortal kombat» ou autres «gatsa-gatsa». La rhétorique contre les magistrats est restée la même. Rien de nouveau sous le ciel étoilé de Dakar.
Flash-back !
Dans l’opposition, Ousmane Sonko a constamment cherché à convaincre son public sur une conspiration orchestrée contre sa personne. On ne change quand-même pas une stratégie qui gagne. Rappelez-vous que Sonko a, de manière régulière, dénoncé un «complot d’Etat» visant à neutraliser son ambition politique, arguant que les accusations portées contre lui, en particulier dans l’affaire Adji Sarr, sont une «commande politique» de Macky Sall et de son régime. Ses avocats, comme Me Ciré Clédor Ly, assurant le SAV, ont qualifié ces procédures de «complot mal ficelé» destiné à éliminer, au-delà de Sonko, l’opposition démocratique.
Ousmane Sonko est allé jusqu’à pointer du doigt des figures de l’Etat que sont Macky Sall himself, le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, le juge d’instruction, Oumar Maham Diallo, ainsi que d’autres acteurs comme le ministre de l’Intérieur, Antoine Diome, et Mamour Diallo, comme ayant trempé dans ce «complot». Lequel passe de national à «international». Argument relayé par son fidèle allié Guy Marius Sagna. Panafricaniste et volontiers «France dégagiste», le leader de Frapp détecte la main invisible de puissances étrangères comme la France qui, selon Sonko et Sagna, ferait tout pour contrecarrer sa marche vers le Palais.
Cette rhétorique du complot est, hélas, renforcée par le contexte politique, marqué par des soupçons d’instrumentalisation de la justice contre les opposants. Les affaires Karim Wade et Khalifa Sall, éliminés de la course à la présidentielle par des décisions de justice, plaident en faveur du leader de Pastef et enfoncent la défense de Macky. Ses partisans soulignent que les procédures judiciaires, comme son inculpation pour «corruption de jeunesse» en 2023 (plutôt que pour viol, chef d’accusation initial), ont pour effet de compromettre son éligibilité à l’élection présidentielle, tout comme Khalifa et Karim. Ou, à défaut, l’envoyer pour un séjour longue durée en prison.
Pile et face
Passons sur les accusations d’ «appels répétés à l’insurrection». Lesquelles le conduisirent finalement en prison. Pour Sonko et ses soutiens, tout cela rentre dans un même et unique objectif : le rendre inéligible. Vrai ou faux, la Cour suprême, au mois de janvier 2024, confirme sa condamnation en appel. Ousmane Sonko perd ses droits civiques et donc celui d’être candidat à la Présidentielle de 2024. Hors-jeu, il appelle à voter Bassirou Diomaye Faye au nom d’un slogan qui fait mouche : «Diomaye mooy Sonko» (Voter Diomaye, c’est voter Sonko, Ndlr». 54% des électeurs portent leur suffrage sur son poulain qui, par un tour de magie institutionnelle, devient son mentor en tant que président de la République, lui, Premier ministre.
Aujourd’hui au pouvoir, Ousmane Sonko, pas satisfait du verdict de la Cour suprême sur son recours en rabat d’arrêt, sort la vieille artillerie contre les «magistrats du système», brandit un «élément nouveau», le rapport de l’Inspection générale des finances en l’occurrence. Il demande la réouverture de tous les procès le concernant. Parce que, selon lui, ce sont des magistrats au service de Macky Sall qui les avaient conduits et qui continuent toujours à «comploter» contre lui dans les travers des cours et tribunaux.
Donc, la posture institutionnelle de Ousmane Sonko a, certes, changé. Mais, pas sa perception des magistrats qui, tant qu’ils rendront des ordonnances, jugements et arrêts qui lui seront défavorables, seront perçus comme des «ennemis du Projet» et désignés à la vindicte. La «charrette» de juges qui ont eu la malchance de tremper dans ses dossiers et qui se sont retrouvés à Tamba, à plus de 400 km de Dakar, ne démentiront pas cette thèse. Voilà pour le côté pile.
Côté face, il faut juste retenir que, en définitive, le leader du Pastef est resté constant dans sa stratégie. La théorie du complot qu’il avance a toujours été un élément central de sa défense et de sa communication politique. Elle reflète à la fois une méfiance généralisée envers les institutions judiciaires et une stratégie pour galvaniser ses troupes. Et elle doit être lue comme telle. Parce que, pour paraphraser l’autre, 2029, c’est maintenant !