SAVOIR ACADÉMIQUE OU SAS VERS LE CHÔMAGE ?
Si le baccalauréat symbolise traditionnellement l’entrée dans le monde des études supérieures, il semble de plus en plus, pour beaucoup, n’être que le début d’un long tunnel d’attente, de précarité et de désillusion.

Alors que des milliers de jeunes Sénégalais planchent sur les épreuves du baccalauréat, il est devenu nécessaire de jeter un regard lucide sur l’avenir qui les attend à l’université. Car si le baccalauréat symbolise traditionnellement l’entrée dans le monde des études supérieures, il semble de plus en plus, pour beaucoup, n’être que le début d’un long tunnel d’attente, de précarité et de désillusion. Le paradoxe est flagrant : l’université, lieu supposé d’émancipation intellectuelle et sociale, tend à devenir un sas vers le chômage ou le sous-emploi déguisé.
Chômage des jeunes et des diplômés : des chiffres officiels... mais incomplets
Selon les dernières données publiées par l’ANSD, le taux de chômage élargi au 3ᵉ trimestre 2024 s’élève à 20,3 %, en hausse par rapport à 19,5 % en 2023. Si l’on se limite à la définition stricte du Bureau International du Travail (BIT), ce taux tombe à 5,3 %. Mais ces chiffres doivent être interprétés avec précaution : le chômage réel dépasse largement les statistiques officielles, car une large part des jeunes en situation de précarité active ou d’inactivité "non déclarée" échappe à la comptabilisation.
La catégorie des jeunes de 15 à 24 ans est particulièrement touchée. Ils sont 34,1 % à être classés NEET (ni en éducation, ni en emploi, ni en formation), avec un pic inquiétant de 42,7 % en zones rurales. Paradoxalement, un diplômé sur cinq dispose aujourd’hui d’un niveau supérieur à bac +2, mais ce capital scolaire ne garantit plus une insertion socioprofessionnelle réelle.
Diplômé ≠ inséré : la précarité invisible des vacataires
Ce que révèlent moins les statistiques, mais que vivent intensément les jeunes diplômés, c’est la prégnance du sous-emploi diplômé, notamment dans l’enseignement supérieur. Au Sénégal, plus de 70 % des enseignants du supérieur sont des vacataires, souvent titulaires d’un doctorat, mais sans contrat permanent, sans sécurité sociale, sans statut clair.
Ces hommes et femmes, qui reçoivent chaque année les nouveaux bacheliers, enseignent dans des conditions souvent indignes de leur qualification. Pourtant, parce qu’ils ont travaillé une ou deux heures pendant la semaine de référence de l’enquête, ils ne sont pas considérés comme chômeurs. Leur précarité est statistiquement invisible.
Massification sans anticipation : une fabrique d’inadaptés sociaux ?
Chaque année, des dizaines de milliers de nouveaux bacheliers intègrent l’université. Ce phénomène de massification n’est pas en soi problématique. Il devient inquiétant lorsqu’il se fait sans planification, sans vision d’ensemble, ni articulation avec le tissu économique. Les filières dites « générales » restent les plus attractives, malgré leur faible potentiel d’employabilité directe. L’enseignement y est très théorique, peu professionnalisant, et rarement connecté aux réalités du marché du travail.
De plus, l’université peine à fournir aux étudiants les compétences transférables ou les outils de créativité, d’initiative, et de savoir-être exigés par l’économie contemporaine. Le résultat : une jeunesse diplômée, mais démunie, à qui l’on a remis un papier, mais pas toujours une perspective.
Une crise de vision, plus qu’une crise de diplôme
La crise actuelle de l’université n’est pas tant une crise de quantité que de finalité. On forme, mais pour quoi ? On diplôme, mais à quel prix ? L’université semble souvent répondre à une logique d’« inflation scolaire », où l’on valorise l’accès pour l’accès, sans lien clair avec le développement national, les besoins socioéconomiques ou les aspirations des jeunes eux-mêmes.
Plus on est diplômé, plus on risque de se retrouver en décalage avec son environnement, en attente d’un emploi qui n’existe pas ou d’une reconnaissance qui ne vient jamais. Cette situation produit des inadaptés sociaux — non pas parce qu’ils sont incapables, mais parce que le système les forme hors sol.
Pour un nouveau contrat social éducatif
Ce diagnostic n’a pas pour but de décourager les jeunes, ni de jeter l’opprobre sur l’université. Au contraire. Il s’agit de poser les bonnes questions au bon moment, alors que de nouvelles générations s’apprêtent à franchir le seuil de l’enseignement supérieur.
Il est temps d’engager :
une réforme en profondeur de l’orientation post-bac ;
une refonte des programmes universitaires centrée sur les compétences utiles ;
une revalorisation du statut des enseignants vacataires et des docteurs sans postes ;
une véritable stratégie nationale d’insertion des diplômés.
Car sans cela, l’université continuera à produire ce que la société ne peut absorber : des diplômés sans avenir, et une jeunesse en panne d’espoir.