«CERTAINS MINISTRES CORROMPENT LES DÉPUTÉS EN VENANT À L’ASSEMBLÉE»
Entretien avec... Le député Serigne Cheikh Abdou Bara Dolly Mbacké

La corruption à l’Assemblée nationale, la « fumisterie » de la parité, la « mauvaise foi » du Cudis, les chances de l’opposition aux locales… rien n’a été laissé par le député Serigne Cheikh Abdou Bara Dolly qui voit aussi en la restauration du poste de Premier ministre une manœuvre politicienne de plus de Macky Sall. Entretien.
Le Témoin : Comment appréciez-vous ce qui se passe dans l’actuel marathon budgétaire ?
Serigne Cheikh Abdou Bara Dolly : Le vote de la loi des finances est une disposition constitutionnelle. Donc, c’est quelque chose à prendre au sérieux. Comme le dit la loi, le ministre des Finances doit, du début à la fin, assister au marathon budgétaire de même que son collègue chargé des relations avec les Assemblées. Et à ce niveau, il y a des manquements. L’année dernière, quand le ministre des Finances Abdoulaye Daouda Diallo s’était absenté pour des raisons de santé, nous avions, pour ne pas violer la loi, interpellé le président Macky Sall qui a pris un décret pour désigner son intérimaire. A cela s’ajoute la médiocrité intellectuelle de plusieurs députés qui ne savent même pas pourquoi ils sont présents au sein de l’hémicycle. En bon godillots, ils applaudissent et font l’éloge du ministre qui passe ou du président Macky Sall sans se soucier d’évaluer, de contrôler le budget de son ministère de l’année qui s’achève ou d’être les porte-paroles des populations éprouvées. Hélas, c’est ce manque de débat profond avec les ministres qui plombe l’Assemblée. Rien que des éloges, des insultes et des propos au ras des pâquerettes ! D’où l’urgence de revoir le mode de choix démocratique des députés. Les techniciens qui accompagnent les ministres ont d’énormes difficultés pour faire des notes à partir des interventions des députés. Certains ministres corrompent les députés en venant à l’Assemblée dans le but de se faire applaudir et d’éviter toute critique sur le fonctionnement de leurs ministères. Le ministre Moustapha Diop, pour ne citer que son exemple, a donné à chaque député des liasses pour éviter toute critique lors de son passage. D’ailleurs, il est coutumier des faits. A chaque mois de carême, il leur distribue des paniers Ramadan. Ce qui est gravissime. Si on devait classer les ministres en fonction de leur travail, Moustapha Diop aurait le bonnet d’âne mais, paradoxalement, beaucoup de députés interviennent plus dans le soutien de son budget que lors des votes des budgets d’autres ministères plus lourds financièrement. En commission, 40 députés sont intervenus pour approuver un budget qui ne fait que 17 milliards. Macky Sall doit muer sa troupe parlementaire en groupe parlementaire. Je parle de troupe parce que la plupart d’entre eux sont des moutons de Panurge qui se laissent guider par des intérêts alimentaires et non par les préoccupations populaires.
Le député est un représentant de la Nation, comme le dit l’article 100 de notre règlement intérieur, et non un caudataire du président de la République ou un pantin des ministres.
Autre point noir de l’Assemblée, c’est l’absentéisme des députés. Mais ce qui est le plus inacceptable, c’est l’absence des vice-présidents de l’Assemblée. Des personnes qui perçoivent 2 500 000 francs chaque fin du mois avec en prime 1000 litres de carburant et un crédit pour leur téléphone et qui ne sont même pas capables d’assister assidument au marathon budgétaire. C’est inacceptable. Le règlement dit que si en séance budgétaire, il n’y a pas au moins deux vice-présidents présents, on doit suspendre les travaux jusqu’à rétablissement normal. Il m’est arrivé de bloquer l’institution à cause de ce que je viens d’évoquer au point que le président Niasse a dû taper sur la table pour rappeler les vice-présidents à l’ordre. In fine, cette 13e législature est la plus nulle de l’histoire parlementaire de notre pays même si j’en suis député. Pas de débats contradictoires, pas de critiques, rien que des éloges, du griotisme et des insultes. Ce n’est pas la vocation d’un député. Mais ce qui est à la base surtout de cette nullité de l’Assemblée, c’est la parité qui a imposé des femmes qui n’ont aucun niveau. Les femmes sont les insulteuses, les applaudisseuses, les querelleuses, les polémistes. D’où l’urgence de revenir sur cette fumisterie politique qui médiocrise nos institutions. En République, seule la compétence vaut et rien d’autre.
Vos collègues femmes vont vous en vouloir… (Il nous interrompt)
Ce que je dénonce encore, c’est le manque de cohérence et de coordination dans l’exécution des budgets des différents ministères. Si on prend l’exemple des ministères de la Jeunesse, de la Femme et de l’Economie solidaire, ils ont tous des financements destinés à la femme. Et à chaque session budgétaire, aucune de ces femmes qui dirigent ces ministères n’est capable de dire le taux effectif de remboursement des prêts alloués aux militantes de Bennoo Bokk Yaakaar. Je dis militantes de Bennoo parce que les autres femmes du Sénégal ne sont pas prises en compte dans les financements octroyés par l’Etat. La plupart des femmes emprunteuses ne remboursent jamais parce que ne sachant pas comment gérer ces fonds dont elles ont bénéficié. Avant de prêter, il faut former. Or tel n’est pas le cas. Et il n’y a aucune contrainte, aucune coercition, aucune punition à l’encontre de ces non-payeuses. Les populations ne pas satisfaites de ces ministres incompétentes de même que nous députés qui transcendions nos appartenances partisanes. Les ministres ne disent jamais la vérité aux populations. Ndèye Saly Diop Dieng, ministre de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants a déclaré que 95 % des enfants ont été retirés de la rue. Ce qui est faux parce que l’on constate que, depuis l’échec de l’opération retrait des enfants de la rue, il y a plus d’enfants dans les rues. Cela montre que ces ministres sont éloignés des populations et des représentants du peuple objectifs qui mettent l’intérêt populaire audelà de leur appartenance partisane. C’est la première fois qu’il y a débat dans le vote du budget de l’Armée et qu’il y a vote contre. Cela n’est pas dirigé contre l’Armée mais contre le ministre politicien qui brille par son incompétence. Aujourd’hui, l’on constate malheureusement que l’argent du ministère des Forces armées ne profite pas à ses éléments. Je donne l’exemple des casernes ou des gendarmes qui éprouvent des difficultés pour avoir même du carburant suffisant pour mener différentes opérations de sécurisation. Le même phénomène est constatable pour la police dépourvue de moyens à tous points de vues. C’est pourquoi, j’avais demandé, à des fins de rationalisation et de cohérence, à ce que la police et la gendarmerie soit réunies dans un même corps. Si les gendarmes et les policiers sont sujets à la corruption, c’est parce qu’ils sont sous-payés et dépourvus de moyens. Et pourtant, ils participent beaucoup à renflouer les caisses de l’Etat et ne reçoivent aucun pourcentage en retour. D’où la nécessité et l’urgence de revoir leurs traitements et les mettre à l’abri du besoin. Le président Macky Sall avait pris des engagements dans ce sens quand il briguait la magistrature suprême en 2012 mais, une fois arrivé au pouvoir, il n’en fait plus une priorité. Ce pays tangue dans l’océan des difficultés parce qu’il n’y a plus de capitaine dans le navire. Et chacun veut être capitaine mais malheureusement dans le bateau, il y en a qui ne savent pas conduire.
Comment appréciez-vous la démarche du Cudis qui veut ériger une charte de la non-violence entre acteurs politiques ?
Ses membres veulent s’avilir simplement parce qu’ils ne croient pas eux-mêmes en leurs actions. Avant de s’engager dans cette voie, ils devaient faire l’évaluation des évènements sanglants de mars dernier et des engagements pris à cette occasion. Quand Serigne Mountakha a demandé aux opposants le cessez-le-feu, la tension a baissé avant de s’estomper. Jusqu’à aujourd’hui les engagements pris auprès du khalife des mourides, Macky Sall ne les a pas respectés. D’abord, le saint homme lui a demandé de laisser tomber ce dossier politico-judiciaire qui a embrasé ce pays. Mais il s’entête à le raviver. Ensuite les 14 personnes tuées lors des manifs doivent être indemnisées ; à ce jour aucune des familles éplorées n’a reçu un seul kopeck. Troisièmement, aucun parent de victime n’a été reçu conformément à la recommandation du saint homme. A cela s’ajoute l’effectivité de l’autorisation des marches. Et enfin, avoir de la commisération pour le peuple en souffrance. De ces recommandations califales, rien n’a été respecté par Macky. Donc le primum movens de la réussite de cette charte devait commencer par le respect présidentiel des recommandations du guide de Touba. Quant à l’opposition, elle a rempli son contrat vis-à-vis du khalife qui, lui-même, le lui signifié lors du Magal de Touba. Ces membres du Cudis ne sont pas des émissaires des familles religieuses même s’ils peuvent avoir leur bénédiction. Avant de demander aux opposants de signer cette charte, ils n’ont qu’à demander à Macky de respecter les engagements souscrits auprès du khalife. Moi, je ne le signe pas et mon parti fera autant.
Pourquoi le Cudis n’a-t-il pas condamné les propos du président Macky Sall à Paris et les paroles xénophobes de Gaston considérés comme une violence psychologique ?
Certains hommes religieux ont peur du pouvoir. Quand le pouvoir est dans des difficultés, ils lui envoient une bouée de sauvetage. Mais quand le peuple souffre, ils s’engoncent dans leur mutisme complice. Quand le pouvoir insulte, ils n’ont rien entendu. Quand l’opposition élève la voix, ils s’empressent de la clouer au pilori. Même à France 24, j’ai entendu un journaliste révéler qu’il y a une certaine force religieuse inféodée au pouvoir dont l’unique rôle est de le sortir du pétrin. Je nie ce que Macky a dit à Paris. C’est un peureux ! Un homme courageux ne court pas chercher secours nuitamment. Il s’est comporté ainsi auprès de Serigne Bara quand Wade voulait sa tête. Quant aux idioties de Gaston, je me m’attarde pas à ces propos d’un attardé mental. Moi, Barth, Sonko et consorts, nous faisons partie des jeunes dont l’avenir politique va audelà de 2024. C’est pourquoi nous veillons à ce que l’unité sacrée née en mars dernier soit préservée pour que nous puissions hériter d’un pays stable et le mener vers les cimes du développement.
Comment envisages-tu les locales ?
Sur Ndigël et bénédiction du Khalife des mourides, je serai sur la ligne de départ pour les départementales. J’ai la chance, en dépit de quelques difficultés et incompréhensions au sein mon parti au départ mais aplanies, de fédérer autour de ma personne le maire de Mbacké Abdou Mbacké Ndao, le représentant de l’Ujtl de la localité, Bamba Thioune, des jeunes et des femmes de toutes obédiences politiques. Et au soir du 23 janvier 2022, la représentativité de chaque candidat sera clarifiée par les résultats.
Que dites-vous sur le poste de Premier ministre restauré par Macky ?
Le Président s’est encore dédit. Il supprime le poste pour des soucis d’efficacité et voilà qu’au bout de deux ans, il le rétablit. Ce qui veut dire que le cheval, emblème de son parti, s’est vite essoufflé. Donc le fast-track a échoué. Quand d’un côté les esprits critiques indépendants l’avaient mis en garde de ne pas le supprimer, de l’autre des thuriféraires avaient chanté sa vision. Aujourd’hui, ces derniers doivent être petits dans leurs souliers avec la restauration du poste de PM. Durant deux ans, on a constaté la cacophonie de l’action gouvernementale à cause de l’absence d’un chef d’orchestre. En République, certains dossiers sont réservés au PM qui les traite avant de rendre compte au Président. C’est un auxiliaire du chef de l’Etat. Je constate que tout cela résulte d’un tâtonnement parce que, dans l’actuelle loi de finance que nous examinons, il n’est prévu nulle part le budget d’une Primature.