CETTE JEUNESSE QUI SE SOULÈVE, C'EST CELLE QUI A PORTÉ MACKY SALL AU POUVOIR
Coordonnateur de Y’en a marre, Aliou Sané livre son analyse des évènements qui ont secoué le pays. Pour lui, l’arrestation d'Ousmane Sonko n’a été qu’une « étincelle »

En 2011, ils avaient entraîné dans leur sillon des milliers de Sénégalais pour s’opposer à un troisième mandat du président Abdoulaye Wade. Depuis l’arrestation d’Ousmane Sonko, le 3 mars dernier – l’opposant, toujours visé par une plainte pour viol, a depuis été libéré et placé sous contrôle judiciaire –, Y’en a marre bat de nouveau le pavé et se positionne comme l’un des acteurs de la contestation. Les membres fondateurs du Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D) organisent la mobilisation aux côtés du leader du Pastef, de plusieurs partis d’opposition et de membres de la société civile.
Aliou Sané, coordonnateur du mouvement depuis 2019, revient pour Jeune Afrique sur l’embrasement qu’a connu le pays, son intensité et le rôle qu’entend jouer Y’en a marre dans la contestation.
Jeune Afrique : Qu’est-ce qui explique, selon vous, l’ampleur inédite des manifestations qui ont suivi l’incarcération d’Ousmane Sonko ?
Aliou Sané : L’affaire Ousmane Sonko n’a été qu’une étincelle et a suscité un sentiment d’injustice chez ses partisans, mais aussi chez des citoyens qui ne sont d’aucun bord, comme c’est le cas des membres de Y’en a marre. De nombreux Sénégalais craignent de voir leur pays se diriger vers une démocratie de façade, sans opposition. Mais les récents événements sont aussi l’expression du ras-le-bol d’une jeunesse enragée. Sous Macky Sall, l’espace civique a été extrêmement restreint, avec de nombreuses marches pacifiques interdites, des cadres d’expression supprimés.
Macky Sall n’entend pas les manifestations pacifiques. Le 31 décembre, il a assuré qu’« on ne [pouvait] pas [l]’intimider avec des brassards rouges » et que « si les gens [voulaient] attirer [son] attention, qu’ils le fassent autrement. » [Le président faisait alors référence aux brassards portés lors de manifestations dénonçant la gestion des ressources publiques, NDLR]. C’est grave ! En d’autres termes, il a dit qu’il n’entendrait le cri de son peuple qu’au prix de violences. Les Sénégalais y ont vu des signes d’arrogance et de suffisance d’un président qui défiait son peuple.
Comment expliquez-vous la part prise par la jeunesse dans ce mouvement ?
Tous les jeunes à Dakar et à travers le Sénégal ont saisi l’occasion de l’arrestation d’Ousmane Sonko pour exprimer les frustrations accumulées. Cette jeunesse qui se soulève, c’est celle qui a porté Macky Sall au pouvoir en 2012. Ce sont ces mêmes jeunes qui voyaient dans le fait d’élire un président jeune, né après les indépendances, une opportunité de rupture profonde dans la gouvernance du pays, la gestion des ressources publiques, et de réelles réformes des institutions.
Mais il n’a pas été à la hauteur des attentes, bien au contraire. Il y a également la problématique de la pauvreté dans le pays, qui pousse la jeunesse désœuvrée, faute d’avoir des perspectives d’avenir au Sénégal, à tenter l’aventure vers l’Europe en pirogue, au risque de sa vie.
Macky Sall a promis d’augmenter les budgets alloués à la formation, à l’emploi et au soutien à l’entrepreneuriat des jeunes. Ces mesures vous semblent-elles répondre aux besoins ? Ont-elles permis d’apaiser les esprits et favorisé le retour au calme que l’on observe aujourd’hui ?
Je ne commente pas les annonces, uniquement les faits. Et pour l’heure, aucun acte concret n’a été posé par Macky Sall. Ce ne sont pas ses annonces qui ont mené à l’actuelle accalmie, c’est la médiation des guides religieux, et en particulier celle du Khalife général des mourides.