CONFESSIONS DE VICTIMES
Alors que les principaux protagonistes de l'affaire Sonko-Adji Sarr préparent leur défense à grand renfort médiatique, les innocents, dépourvus de protection, craignent pour leurs personnes. Des victimes de mars 2021 reviennent sur leur calvaire

Plus de deux ans après son éclatement, l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko continue de tenir en haleine le peuple sénégalais. Alors que les principaux protagonistes préparent leur défense à grand renfort de gros bras, les innocents, dépourvus de protection, craignent pour leurs personnes et leurs biens. Des victimes de mars 2021 alertent et reviennent sur leur calvaire.
Le ‘’gatsa-gatsa’’ se prépare activement dans les états-majors politiques. Depuis quelque temps, les attaques fusent de tous bords, majorité comme opposition. Si les derniers promettent ouvertement de casser du dirigeant, les partisans du pouvoir promettent cette fois-ci des ripostes à la hauteur des attaques. Chez les populations, l’inquiétude est déjà à son paroxysme.
Président de l’Association des gérants de stations-services, Ibrahima Fall alerte : ‘’On a eu à limiter les dégâts pour une première fois (lors des évènements de février-mars 2021), mais un autre mars serait catastrophique. Non seulement au plan social, mais aussi aux plans humain et sécuritaire. Que les gens manifestent s’ils le veulent, mais qu’ils épargnent nos fonds de commerce. Il faut nous aider à faire comprendre aux gens que ces stations appartiennent à des Sénégalais comme eux. Nous sommes juste en location-gérance avec Total. Quand on pille ces stations, nous sommes les seuls à perdre nos sous, nos sources de revenus.’’
Lors des événements de mars 2021, elles étaient une quarantaine de stations caillassées, en partie ou totalement. Des coffres-forts emportés, des boutiques totalement pillées…
Au total, les dégâts sont évalués à 1 milliard 102 millions F CFA. Et les gérants n’avaient que leurs yeux pour pleurer.
Depuis, certains peinent à se relever. D’autres ont définitivement fermé boutique. Malgré les nombreuses sollicitations, l’État n’a rien fait. Ibrahima Fall regrette : ‘’Aucun acte n’a été posé. On a eu à rencontrer toutes les autorités qui tournent autour du secteur. En l’occurrence le ministre du Commerce, le ministre du Pétrole avec son staff, tout le monde. On nous avait demandé de constituer un dossier avec le constat d’huissier et l’évaluation des dégâts. Tout a été fait et déposé au niveau du ministère du Commerce. Des séances de travail ont eu lieu, mais depuis lors, rien n’a été fait. Nous avons vraiment été laissés en rade.’’
Une occasion rêvée pour les malfaiteurs
A ceux qui seraient tentés de se demander pourquoi l’assurance n’a pas pris en charge les dégâts, il explique : ‘’Toutes ces stations ont souscrit des assurances certes, mais en période d’émeute, l’assurance ne prend pas en charge. L’État devrait pouvoir se substituer aux assureurs et aider les citoyens à reprendre leurs activités. Ce qui n’a pas été fait. Nous espérons seulement que de tels actes seront évités à l’avenir. Nous répétons que nous n’avons rien à voir avec ces compagnies. Il faut vraiment que les gens le comprennent une fois pour toutes.’’
Aussi, tient-il à alerter sur le danger sécuritaire que consiste l’attaque sur ces lieux très dangereux. ‘’Nous sommes dans des zones à fort taux d’explosion. Les gens qui y travaillent, on les a formés. Ce sont des stations qui ont des milliers de litres dans leurs cuves. Si ça explose, je n’ose pas imaginer la catastrophe que ça peut créer. Nous sommes aussi sénégalais qu’eux. Il faut que les gens le comprennent’’.
En vérité, il serait naïf de croire que tous ceux qui sont sortis dans la rue pour piller et voler les biens d’autrui l’ont fait pour défendre une cause quelconque.
En effet, à côté des militants et sympathisants, il y a eu également les voyous et autres délinquants qui sont sortis pour braquer tout ce qui pouvait l’être. Même des lieux de soins, censés être protégés, même en temps de guerre, en ont fait les frais. Le docteur Gazi avait une clinique à Pikine Icotaf, à côté d’Auchan. Il a tout perdu à cause des événements de février-mars. Patiente et amie du médecin, Mamy Diara Guèye témoigne : ‘’Cela m’avait fait mal. On a dilapidé tout son patrimoine en un rien de temps. Les investissements de toute une vie, alors qu’il n’a rien fait, rien à voir ni avec la politique ni avec la France. Comment des gens qui disent lutter pour la justice peuvent s’en prendre à un cabinet médical ? Ils ont tout emporté : les équipements médicaux, les meubles, même la chaise anglaise, ils l’ont emportée.’’
Des innocents qui ont tout perdu sans indemnisation
Un épisode inoubliable chez la famille Guèye, dont la demeure est située à un jet de la gare du Train express régional à Pikine. Non seulement parce que c’est un lieu médical qui a été attaqué, mais aussi parce que le médecin se trouvait être un bon samaritain. Mme Guèye : ‘’C’est quelqu’un qui faisait beaucoup de social. Je peux donner mon exemple. Au moment d’accoucher chez lui mes jumeaux, il y a eu une complication qui devrait rallonger la facture de 200 000 F. Il m’a dit de ne payer que la facture initiale. Le reste, il l’a pris en charge, parce que ce n’était pas dans le bilan de départ. C’est un homme formidable et on a bousillé comme ça tout son investissement. Et l’État n’a rien fait pour lui.’’
Depuis, Mamy et ses amies portent le combat, malgré la résignation du médecin qui s’est reclus dans son coin, obligé de travailler dans des cabinets d’autres collègues.
En décidant de s’installer dans la grande banlieue, le gynécologue avait notamment pour ambition de démocratiser les soins de qualité, d’offrir à des laissés pour compte les mêmes chances de prise en charge que leurs concitoyens des centres urbains. Son départ a rendu orphelines bien des femmes enceintes dans le voisinage immédiat. ‘’Avec lui, on avait non seulement l’assurance d’avoir accès aux meilleures prises en charge, mais aussi, il était à proximité. Avec ma première grossesse, il y avait quelques risques, mais grâce à son suivi, tout s’est très bien passé. Ici, il n’y avait que lui comme gynécologue. Aujourd’hui, pour trouver un gynéco, les femmes se voient contraintes de payer plus dans d’autres cliniques, en plus d’aller bien plus loin. Pour ma deuxième grossesse, j’ai été contrainte de me rabattre sur les postes de santé du coin où l’on se fait consulter par des sages-femmes’’, a rétorqué Fatou.
Embouchant la même trompette, Mme Diop, qui habite non loin du cabinet, exprime son amertume et demande à l’État de penser aux victimes de ces événements malheureux. ‘’J’étais vraiment choquée quand j’ai appris ce qui est arrivé au Dr Gazi. C’était très difficile. A Pikine, nous ressentons bien son absence. Aujourd’hui, on est obligé d’aller chercher ailleurs des spécialistes ou ne serait-ce que pour faire une bonne échographie. Il était non seulement compétent, empathique, mais avait des équipements très modernes. Mais ce que nous apprécions, c’est surtout son humanisme. Nous pensons que l’État devrait le soutenir à recouvrer ses biens’’.
Même les cliniques n’ont pas été épargnées
Pour Alassane Seck, la crainte est surtout de devoir revivre des scènes de violence comme il en a connu au mois de mars 2021. Témoin de ce qui s’est passé au niveau du cabinet médical, il se rappelle comme au premier jour. ‘’Nous étions dans la boulangerie qui est mitoyenne au cabinet. On a dû s’enfermer dedans pour ne pas subir le même sort. Les manifestants ont essayé de défoncer la porte, mais n’ont pas pu. Le cabinet a eu moins de chance, parce que la porte était en aluminium. Ils ont dévalisé tout ce qui pouvait l’être’’.
Revenant sur le pillage de la clinique, il précise : ‘’Après avoir vidé Auchan, ils sont venus dans la clinique. Ils ont tout pris et ont brûlé les documents. C’était de la méchanceté gratuite.’’
Avec la montée actuelle de la tension, ils sont nombreux à craindre le syndrome de 2021. Les habitants de la banlieue plus que tout le monde. Récemment, un des lutteurs les plus populaires de la banlieue était d’ailleurs monté au créneau pour mettre en garde. Il disait : ‘’Quand vous ouvrez cette porte, vous voyez le péage. J’ai été témoin direct de comment les gens bloquaient l’autoroute pour venir prendre de force les biens des gens. La plupart de ceux qui venaient semer le bordel n’habitent pas ici. Personnellement, je me suis impliqué pour que les gens ne pillent pas la station de Demba Ka, EDK. Je prends à témoin Gris Bordeaux. On lui avait confié la garde de cette station, mais il a été contraint de se sauver et de faire appel à moi, puisque c’est mon secteur. C’est grâce à notre intervention, mes amis et moi, que nous avons sauvé la station.’’
Pour Siteu, il est hors de question de vivre à nouveau ces casses dans son secteur. ‘’Nous demandons à Sonko de continuer son combat. Il fait de bonnes choses, mais il faut éviter d’y mêler la violence. Nous sommes les seuls perdants. Nous, nous n’allons pas nous battre. Ici à Diamaguene, de Fass Mbao à Sips, je vais prendre mes responsabilités. Nous allons nous battre pour la paix dans notre quartier. On prendra toutes nos responsabilités. Ils n’ont qu’à faire leur politique et nous laisser en paix’’, lâchait le lutteur qui s’était attiré les foudres des partisans de Pastef.