«DANS CETTE NOUVELLE POLITIQUE DE L’EMPLOI, ON A CARREMENT OMIS L’ADMINISTRATION DU TRAVAIL»
Mouhamadou Fall, secrétaire chargé des revendications du Sictrass a exprimé des réserves tout en déplorant la non-implication véritable de l’administration du Travail dans la nouvelle politique de l’emploi

Au lendemain du conseil présidentiel sur l’emploi et l’insertion professionnelle, le chef de l’état a approuvé neuf mesures parmi lesquelles la création de 65 mille emplois dans le pays. Cela Suffit-il pour réduire vraiment le chômage ? Le Secrétaire chargé des revendications du Syndicat des inspecteurs et Contrôleurs du Travail et de la Sécurité Sociale (Sictrass) a exprimé des réserves tout en déplorant la non-implication véritable de l’administration du Travail dans la nouvelle politique de l’emploi.
«L’AS» : Suite au conseil présidentiel sur l’emploi des jeunes et l’insertion professionnelle jeudi dernier, le président Macky Sall a annoncé la création de 65 mille emplois à partir du mois de mai. Pensez-vous que cette mesure permettra vraiment de résorber le chômage ?
Mouhamadou FALL: En tant qu’administration du Travail, nous sommes très prudents par rapport à cette annonce. Nous pensons qu’il y a des préalables à poser par rapport à ces emplois. Sur les 65 mille annoncés, 5 mille sont dédiés au secteur de l’enseignement. Ces derniers seront épargnés, à coup sûr, des aléas futurs parce qu’ils vont rentrer dans la fonction publique. Mais il en sera autrement pour les 60 mille emplois restants. En effet, le chef de l’Etat a tendu la perche au secteur privé pour lui demander de venir appuyer la matérialisation de cette nouvelle politique. Il est évident qu’il est possible de créer ces emplois dans une durée relativement courte. Pour autant, on va se demander si c’est vraiment des emplois décents, c’est-à-dire durable et permettant à leurs bénéficiaires de vivre normalement. Maintenant, c’est là où nous nous positionnons pour dire que nous émettons quelques réserves par rapport à la pertinence même de ce programme.
Que faudrait-il pour s’assurer de la pérennité de ces emplois ?
Il faut qu’on pose des préalables en dotant l’administration du travail de moyens juridiques qui puissent permettre de sécuriser ces emplois. Il faut créer des emplois pour ceux qui n’en ont pas et permettre à ceux qui en ont déjà de sauvegarder les leurs. C’est là qu’on émet quelques inquiétudes par rapport au projet du chef de l’Etat qui, il faut le dire, est bien pertinent. Il faut aujourd’hui des préalables pour que ce programme puisse produire les effets escomptés. Il faut protéger ces emplois et protéger leurs bénéficiaires d’éventuels abus des employeurs. Le constat est qu’un employeur peut se réveiller du jour au lendemain pour licencier un travailleur juste parce que sa tête ne lui plaît pas. Donc, il faut prendre en compte tout ça.
Le chef de l’état mesure-t-il vraiment l’importance de l’administration du travail. En d’autres termes, est-ce que vous êtes suffisamment impliqués dans ce processus ?
Nous ne sommes pas impliqués vraiment. Dans cette nouvelle politique de l’emploi, on a carrément omis l’administration du travail alors que c’est un pilier essentiel. Vous verrez que dans d’autres pays, les ministères du Travail et de l’Emploi cohabitent ensemble. Ils sont indissociables. Mais au Sénégal, pour une raison ou une autre, on les a dissociés. Dans la pratique, ce sont les inspecteurs régionaux qui se chargent même de l’emploi. Parce que le service de la main d’œuvre est logé même au niveau des inspections du travail. Ces dernières représentent à la fois le ministère du Travail et de l’Emploi au niveau des régions en ce sens que beaucoup de personnes viennent déposer des offres et des demandes d’emplois. Et les inspecteurs régionaux peuvent les mettre en rapport. Maintenant, nous pensons aujourd’hui que l’administration du travail devrait être beaucoup plus impliquée parce que c’est elle seule qui peut fournir les statistiques des jeunes qui ont des contrats de travail au Sénégal. Je pense également que pour pouvoir mettre en place une bonne politique, il faudra s’en référer pour avoir des données statistiques fiables et mener à bien le programme qu’on envisage de mettre en œuvre. Le président de la République a omis à tort d’impliquer l’administration du travail. Et nous pensons que cela va se ressentir si le tir n’est pas rectifié.
La convention état-employeur a été portée de 1 à 15 milliards de FCFA et étendue à d’autres secteurs. Ne faudrait-t-il pas d’abord l’évaluer si l’on sait que beaucoup de jeunes vivent des conditions difficiles en entreprise ?
Vous avez parfaitement raison parce que cette convention-là a été signée en avril 2000. Donc elle est aujourd’hui vieille de 21 ans. Avant de l’étendre à d’autres secteurs, il va falloir l’évaluer pour voir s’il a vraiment produit les résultats escomptés dans son temps. Je pense que l’évaluation doit se faire avec la contribution de l’administration du travail puisque les principaux signataires sont les ministères du Travail et des Finances d’une part, et les représentants des travailleurs et des employeurs d’autre part. Aujourd’hui, il fallait d’ores et déjà évaluer cette convention et voir les avantages qu’elle comporte en soi et les inconvénients qu’elle renferme en essayant de réévaluer.
Selon vous, qu’est-ce qui favorise le chômage dans le pays et que faudrait-il pour le résorber?
Nous pensons aussi qu’il y a une inadéquation entre l’offre et la demande. Ce qu’on a constaté, c’est que le profil professionnel des jeunes ne correspond pas à la demande des entreprises. Vous verrez que dans nos universités, on forme beaucoup de jeunes, mais pour des métiers qui ne sont pas encore utiles pour notre économie. Donc c’est le moment pour le président de la République de cibler les formations professionnelles pour lesquelles on doit investir davantage pour former des jeunes qu’on peut très vite employer. C’est très simple parce qu’au niveau des inspections du travail, nous détenons des informations clés, des statistiques qui peuvent être exploitées pour ressortir les formations professionnelles les plus usitées pour les entreprises. Malheureusement, cela n’a pas été fait. Il y a également beaucoup de choses qu’on pouvait exploiter. Il en est ainsi du contrat de stage d’incubation, qui fait partie de la Convention Etat employeur, permettant de former les jeunes à l’entrepreneuriat. Malheureusement, les jeunes n’en signent pas. (…)Or, ce stage d’incubation aide à coacher les jeunes entrepreneurs pour qu’une fois sortis de stages, ils puissent devenir de vrais champions, de vrais capitaines d’industries. Mais malheureusement, on finance des jeunes ; mais est-ce qu’on sait vraiment si les projets sont viables ? Donc, il y a beaucoup d’inquiétudes à se faire par rapport à ce programme.